Le procès en appel de "l'affaire Séréna" a débuté à Limoges. L'audition d'un expert en gynécologie-obstétrique, en fin d'après-midi ce lundi 7 octobre, a fait vivement réagir, tant l'Avocat Général que les avocats des parties civiles.
Pour une reconnaissance médicale et sociétale du déni de grossesse
Pour le professeur Michel-Henri Delcroix, Gynécologue-obstétricien expert près la Cour d'Appel de Douai, le déni de grossesse est une pathologie beaucoup plus fréquente qu'on ne le pense. C'est le fait d'être enceinte sans en avoir conscience. Une grossesse sur 10 000 en France serait concernée, ce qui toucherait entre 600 et 1800 femmes chaque année. Des femmes peuvent même consulter un jour un médecin pour une grippe ou une fatigue sans que le médecin lui-même ne constate l'état de grossesse. Car une femme qui ne sait pas qu'elle est enceinte ne donnera pas à voir cette grossesse.
Mais l'expert regrette qu'on en parle qu'à l'occasion de drames, notamment lorsque les femmes sont poursuivies devant les cours d'assises.
A la barre ce lundi, il est venu dire que la science méconnaissait le déni de grossesse et le déni d'accouchement. Il soutient qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, cet état de sidération dans lequel est plongée la femme à l'annonce de sa grossesse ou devant le foetus qu'elle vient d'expulser n'est nullement pris en considération.
"Au contraire, il est souvent l'objet de railleries, de moqueries... Du coup, au lieu d'être aidée et accompagnée pour comprendre ce qui s'est passé, la femme se renferme sur elle-même et n'en parle plus".
L'expert préconise de sortir le déni de grossesse du fait divers pour que la société prenne la mesure de ce qui est à ses yeux un fait de santé publique, qui mérite une prise de conscience et une vraie prise en charge.
Une femme qui ne comprend pas ce qui lui arrive va faire en sorte de passer outre la réalité, très vite. C'est pour ça qu'on trouve alors le corps sans vie dans une poubelle par exemple
Pour cet expert, il serait normal que le déni soit reconnu en tant que situation pathologique ou trouble mental. Seuls les travaux de recherches, les publications scientifiques et des actions de prévention permettront cette reconnaissance. L'enjeu est de permettre aux acteurs de la santé d'y penser, voire de le diagnostiquer. La femme se retrouve en effet souvent seule dans l'épreuve. Le traumatisme psychologique d'accoucher d'un enfant dont elle n'avait pas conscience s'ajoute au traumatisme physique de l'accouchement. Ces femmes se retrouvent dans l'incapacité de donner les premiers soins à leur enfant. Les professionnels devraient être formés pour accompagner au mieux ces femmes.
"Au niveau légal, ajoute t-il, c'est la double peine. Quand une femme en situation de déni total accouche seule et que son enfant meurt, elle est placée en garde à vue et généralement poursuivie pour meurtre sur enfant de moins de 15 ans. Leur expertise psychologique et psychiatrique se fait souvent 6 mois plus tard, lorsqu'elle ne présente plus de trouble mental".
La parole de Rosa Maria Da Cruz
A la demande de la Présidente de la Cour d'Assises, Rosa Maria Da Cruz a dû sortir de sa réserve naturelle pour s'exprimer sur ses maternités.
Le premier est arrivé après quatre ans de vie commune. Rosa Maria Da Cruz a alors 34 ans.
Je suis tombée enceinte, ma grossesse s'est passée normalement, j'ai accouché, on a quitté aussitôt le Portugal, on est rentré en France.
Le second, un garçon, est arrivé l'année suivante sans qu'elle ne se soit aperçue de rien. Ils étaient invités au Portugal pour un baptême, c'est elle qui a conduit, 18h sans s'arrêter. Le lendemain, la famille est sortie avec les autres membres. Au 3e jour, l'enfant est arrivé, d'un coup. Ils ont été aussitôt séparés. Il a été hospitalisé pendant 8 jours, elle 4.
Ma famille était là, elle s'est occupée de tout, c'est ça qui a sauvé mon fils. Moi je ne savais pas que c'était un bébé.
Puis 6 ans plus tard, c'est une petite fille qu'elle découvre qu'elle attend. Elle est déjà à 6 mois de grossesse et là non plus, Rosa Maria Da Cruz ne s'est aperçue de rien. Mais là encore, elle se retrouve entourée. Alors la vie a repris le dessus et aujourd'hui ses enfants se portent bien, ils sont scolarisés normalement. Ils viennent souvent lui rendre visite à la maison d'arrêt "On parle de tout".
Et puis, le 24 novembre 2011, à 6h30, elle est à nouveau prise de sévères maux de ventre. Elle accouche seule au rez-de-chaussée, dans cette maison encore endormie. C'est la petite Séréna.
La Cour annonce qu'elle reviendra plus tard sur ce qui s'est passé avec cette enfant.Là non plus, je n'ai pas su que c'était un bébé.
Thèse inacceptable pour l'Avocat Général et les parties civiles
Au moment des questions, l'expert Michel-Henri Delcroix insiste : "Lorsque j'ai expertisé Maria Rosa Da Cruz, j'ai vu que tout dans son récit allait dans le sens de cet état de sidération psychique. La mort accidentelle de sa mère, qui l'a choquée, elle venait d'être maman pour la première fois. La mort de son père quelques années plus tôt. Le compagnon absent."
Alors l'expert franchit un pas qui fait hurler les avocats des associations de défense de l'enfance : il va jusqu'à dire que cet état de sidération a altéré le discernement de l'accusée. Or attention, ces mots-là laissent entrevoir juridiquement autre chose : l'irresponsabilité pénale.
Trop c'est trop. Voici l'expert qualifié de militant par Rodolphe Constantino, avocat de l'association Enfance et partage. Certes, il collabore régulièrement aux publications de l'Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse (AFRDG), mais il se défend de toute prise de position militante. Il avance ses 40 ans d'expérience sur le terrain, au plus près des femmes démunies.
"Vous n'avez pas connaissance du dossier pénal, vous ne savez pas les paroles qu'a prononcées Rosa Maria Da Cruz lorsqu'elle a été gardée à vue, vous ne pouvez pas affirmer que Rosa Maria Da Cruz entre dans ce profil de femme démunie que vous venez de décrire !"
lance Marie Grimaud, Avocate de l'association Innocence en danger.
"Rien chez Rosa Maria Da Cruz ne peut donner raison à l'expert. Il y a bien eu reconnaissance de l'enfant en tant qu'enfant puisqu'elle l'a nourrie - mal mais nourrie quand même, elle l'a maintenue en vie - dans des conditions effroyables mais quand même... il y a eu un lien avec cet être, c'est une reconnaissance - insuffisante, mais quand même. Il y a donc maltraitance, il y a donc violences volontaires" rectifie Isabelle Faure-Roche, Avocate du Conseil départemental de la Corrèze, représentant ad-hoc de la petite Séréna.