Déraillement du Paris-Limoges à Brétigny le 12 juillet 2013 : ouverture du procès ce lundi 25 avril

Bientôt 9 ans que les familles des sept personnes décédées et les victimes blessées et traumatisées par la catastrophe de Brétigny attendent le procès. La SNCF et un cadre cheminot comparaissent pour huit semaines au tribunal correctionnel d'Evry. Ils sont renvoyés pour homicides et blessures involontaires.

Au cœur de la gare de Limoges, une plaque pour se souvenir. Parmi les sept victimes décédées ce 12 juillet 2013 à Brétigny dans le déraillement de l'intercités Paris-Limoges, trois étaient attendues par leurs familles à La Souterraine et à Limoges.

Morgane Blondy rentrait d’une semaine à Prague avec son amoureux pour fêter ses 27 ans avec ses parents, son frère, ses amis à Limoges. Régine Jannot, de Rimondeix en Creuse, rentrait d’une semaine chez ses enfants à Drancy. Dan Germiquet, 63 ans, directeur géologue chez Imerys, rentrait lui d'une réunion de travail à Paris pour retrouver son épouse à Limoges.

Dix-huit minutes après son départ de la gare d’Austerlitz, avec à son bord 385 passagers, le train n°3657 traverse la gare de Brétigny-sur-Orge à 137 km/h. Il est 17h11 quand il déraille au passage de la quatrième voiture. Ce wagon décolle, se renverse, s’allonge alors sur le flanc droit et poursuit sa route pendant deux cent mètres, entrainant les suivantes sur les quais. Une scène de guerre. Quatre personnes qui attendaient leur RER sont fauchées sur les quais.

Pour celles et ceux qui ont vécu ce drame, les souvenirs se conjuguent encore au présent. "J’ai senti que le train n’était plus les rails, je revois le serveur qui venait de rentrer dans le wagon et qui est parti sur le côté, des cris, de la poutre de la caténaire qui est rentrée violemment par une vitre, d’une femme âgée coincée mais consciente… j’ai donné un coup de pied dans une vitre et j’ai réussi à sortir sur le quai" confie Jean-Luc Marissal. Il s'en sort avec de multiples contusions et hématomes. 

Les victimes se savent désormais unies par une communauté de destin

Un billet, un numéro de siège, une vie fauchée ou épargnée. Michel Rigaud est alors chef du centre de secours d'Ahun. Des situations traumatiques, il en a vues pendant toutes ses années d'intervention en tant que pompier volontaire.

Ce jour là, il rentre d'une réunion à Paris comme administrateur de l'Oeuvre des pupilles. "J’étais en plein soleil dans le wagon et j’allais changer de place pour passer de l’autre côté du wagon et je ne l’ai pas fait, ça m'a peut-être sauvé la vie. Une poutre du quai a traversé le wagon et a atterri aux places devant, voilà c’est ça le destin" confie Michel Rigaud. Après le choc et la sidération, Michel Rigaud retrouve ses réflexes de sauveteur. Il enjambe la poutre de caténaire, légèrement blessé au genou, et prête secours aux quatre blessés autour de lui en attendant le relais des pompiers qui arrivent sur les lieux. "Je ne me souviens pas de cris, personne ne dit rien à ce moment là, il n'y a pas de plaintes comme on pourrait s'y attendre, la personne qui avait l'épaule déboitée disait seulement j'ai mal... j'ai vu ce que je pouvais faire avec ce que j'avais sous la main, on ne pense pas à soi dans ces moments là"

Ce qu’il a ressenti en tant que victime le rattrape dans le temps. "Au début, tout se passe bien, je suis en vie, j'ai eu de la chance... mais c'est un an, deux ans, trois ans après, on s'aperçoit qu'on a une modification de son comportement, je suis devenu émotif, je ne l'étais pas avant, il y a les insommies qui viennent après, mais on ne sait pas pourquoi" ajoute Michel Rigaud.

Serge Jannot est alors le maire de la commune de Rimondeix en Creuse. Il pensait profiter de sa retraite avec son épouse, après 34 ans de vie commune. Mais son téléphone sonne ce 12 juillet 2013, une médecin lui passe son épouse, très gravement blessée mais encore consciente. Placée en comas artificiel, elle est évacuée. Il prend aussitôt la route. Son épouse décède quatorze jours plus tard à la veille d'une lourde opération.  "La période difficile est jusqu’à fin août début septembre, heureusement ma fille m’a aidée en région parisienne parce que j’étais complètement perdu, j’avais fait une procuration à mon premier-adjoint parce que j’étais incapable de faire quoique ce soit… après j’ai repris du poil de la bête parce que je suis un combatif, je me suis battu mais la plaie est là, elle ne s’effacera jamais".

Les rapatriés par bus sont identifiés par France Victimes 87 à leur arrivée à la gare de Limoges. Dix familles sont présentes, l'émotion est intense. "Je me souviens aussi d'une personne seule, nous nous sommes inquiétés de savoir comment elle allait, ce qu'elle allait faire. Il y a les personnes qui s'expriment et celles qui sont encore dans un état d'effroi, avec un regard vide comme si ils étaient ailleurs" précise Catherine Boisseau, Psychologue à France Victimes 87. 

Cinquante six passagers et proches de victimes ont été suivis par les psychologues de France Victimes 87 pendant plusieurs mois. "Ce sont les mécanismes des psycho-trauma avec la mémoire traumatique de l'événement, chaque être humain réagit différemment, cette confrontation avec la mort possible, tout le monde ne l'a pas eu mais beaucoup ont manifesté des signes de repli sur soi, de cauchemars, de flash-back au cours de leurs journées, l'enregistrement d'images traumatiques et la difficulté aussi de reprendre le train, il y avait beaucoup de professionnels dans le train, avec des déplacements professionnels fréquents entre Limoges et Paris"

La mémoire traumatique est enfouie, refoulée, la personne met en place un mécanisme d'évitement voire de déni

Catherine Boisseau, Psychologue à France Victimes 87

Un groupe de paroles a permis aux victimes d'extérioriser leur ressenti traumatique au fil du temps. D’autres ont voulu très vite ne plus en parler. "La mémoire traumatique est enfouie, refoulée, la personne met en place un mécanisme d'évitement voire de déni, si elle n'a pas été physiquement blessée elle ne se sent pas légitime à engager des démarches pour être indemnisée, elle n'imagine pas qu'elle puisse être blessée psychiquement. Après on ne sait pas comment ça va évoluer, il peut y avoir un temps de latence de plusieurs années et, à l'occasion d'un événement comme un décès, ce traumatisme de Brétigny peut se réveiller" explique Catherine Boisseau, Psychologue à France Victimes 87. 

Peu se déplaceront à Evry pour le procès. Seules quelques victimes attendent ce moment judiciaire pour se faire entendre. La SNCF et ses avocats n'ont pas souhaité prendre la parole pendant les années d'instruction "par respect pour les victimes"

Un procès de huit semaines 

Philippe Clerc et Pascal Dubois, tous deux avocats au Barreau de Limoges, suivent le dossier depuis l'ouverture de l'instruction. Ils ont intégré le groupe des quatre avocats  qui a vocation à participer aux débats techniques de l'audience. Dans ce procès hors normes pour le tribunal correctionnel d'Evry, près de cinquante avocats ont été saisis par les personnes se constituant parties civiles. Mais il convient de ne pas multiplier les interventions, d'éviter les questions en doublon pour ne pas agacer le tribunal et allonger le temps d'audience.

Beaucoup de ces avocats plaideront les intérêts civils des victimes, aux fins d'indemnisation. Ils ne participeront pas forcément aux échanges autour des expertises et contre-expertises qui ont justifié les sept ans de l'instruction, close depuis juin 2020.

On nous a pas considérés pendant toute cette période, malgré tous les beaux discours lors des commémorations, les victimes ont dû se battre, certaines ont eu le courage de le faire, d’autres ont laissé tomber parce qu’ils n’avaient plus envie ou ont perdu patience.

Jean-Luc Marissal vice-président de l'association Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny

Pour l’association Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny, ce procès représente l'instant de vérité attendu depuis bientôt 9 ans. Jean-Luc Marissal vice-président de l'association précise : "On a eu que deux réunions d'information en 9 ans, on nous a pas considérés pendant toute cette période, malgré tous les beaux discours lors des commémorations, les victimes ont dû se battre, certaines ont eu le courage de le faire, d’autres ont laissé tomber parce qu’ils n’avaient plus envie ou ont perdu patience, on est victime et on doit aller au-devant pour affronter cette adversité alors qu’on a déjà eu une adversité avec cette catastrophe, ce n'est pas normal".

Maître Dubois précise "On va dire à minima que la SNCF n’a pas coopéré, il y a des écoutes téléphoniques qui le rapportent. On peut même aller plus loin, certains parlent de tentative d’obstruction, l’ordinateur de l’agent poursuivi a été volé juste après l’accident, on l’a retrouvé or plus rien dedans, le disque dur vidé, bizarre… il y a des documents sur la traçabilité des visites d’inspection, le juge d’instruction même s’il n’y a pas de poursuite à ce niveau-là, dit qu’on peut douter de l’authenticité des documents… tout ceci étant contesté par la SNCF qui soutient avoir tout fait pour collaborer à la manifestation de la vérité".

Au tribunal correctionnel d’Evry, sur le banc des prévenus, prendront place les représentants de deux sociétés de la SNCF et l'ingénieur de 24 ans, chef de service appelé responsable de proximité et le dernier à avoir personnellement vérifié la voie. Il lui sera reproché d'avoir assuré ce contrôle seul et de jour quand les prescriptions suggèrent un contrôle en duo et de nuit lorsque le trafic a diminué.

Le dossier s’annonce technique, autour de la défaillance d’une éclisse d’un aiguillage double, particularité de la gare de Brétigny.  

La gare de Brétigny-sur-Orge est en effet le nœud ferroviaire le plus important en France, ce sont 200 trains tous les jours dans les deux sens, des lignes RER, régionales, le fret et la traverse de jonction double est le système d’aiguillage le plus complexe qui existe. Cette pièce de 4 ou 5 tonnes, découpée pour devenir un scellé du dossier, est actuellement remisée sur un site militaire, elle sera au cœur des débats devant le tribunal. C'est sur cette traverse que se trouve la pièce à l'origine du déraillement, une éclisse servant à raccorder deux rails. La traverse de jonction datait de 1991 et devait être remplacée en 2016. Un boulon sur les quatre que devait contenir l'éclisse manquait avant le déraillement. Un défaut de nivellement avait également été signalé lors de la dernière inspection, huit jours avant le drame.

Toutes les étapes de l’accident vont être abordées pendant les huit semaines de procès : les défaillances techniques comme les incompétences ou les choix politiques de se consacrer à la LGV au détriment de la maintenance du réseau secondaire.

Pascal Dubois précise "On a découvert qu’en 2008 et en 2009 la SNCF avait fait une enquête interne et qu’il en ressortait qu’il allait avoir des problèmes de sécurité et rien n’a été fait. Les travaux sont faits pour parer au plus pressé, au coup par coup. Il y a aussi des problèmes de management, il ressort par exemple du dossier qu’un cadre a été formé à cette époque pour travailler sur un logiciel de maintenance des voies pour lequel il n’a pas été formé… "

Mais pour Maître Clerc, le drame humain doit rester au coeur de ces semaines à venir.  "Tout au long de l’instruction ça a été ça : technique technique technique. Nous on répond d’accord, technique mais humain, humain, humain". 

SNCF voyageurs et SNCF réseau risquent une amende. Le cheminot, dont l'avocat n'a pas voulu s'exprimer non plus, encourt jusqu'à 3 ans de prison.  Certaines victimes ont, depuis le drame, accepté une indemnisation transactionnelle avec la SNCF. Les autres veulent une condamnation par la Justice.

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