Déserts médicaux : vers des transferts de soins des médecins vers d’autres professions médicales

Les ordres professionnels des médecins, infirmiers, kinés ou pharmaciens se sont mis d’accord pour imaginer un partage des tâches plus important. Les premières applications devraient arriver en 2023.

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Les mesures restent à concrétiser, mais faute de médecin traitant disponible, les kinés pourraient bientôt soigner, en accès direct, certaines entorses ou douleurs à l'épaule, avec l'autorisation de prescrire des antalgiques et même un arrêt de travail. Les infirmiers pourraient, quant à eux,  renouveler des ordonnances, prescrire des prélèvements, ou établir des certificats de décès.

On attend encore de nombreuses précisions, mais le principe est officiellement partagé selon un communiqué commun publié par les conseils de l’ordre des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, ou encore des kinésithérapeutes. 

De nouvelles collaborations ?

Le docteur Pierre Bourras, président de l’ordre des médecins de Haute-Vienne, explique : "Les médecins, les pharmaciens ou les infirmières, ont toujours travaillé main dans la main. Le Covid a encore plus ancré cette notion de collaboration, où tout le monde donne le meilleur de lui-même en fonction de ses compétences. Les conseils de l’ordre ont demandé que ce soit écrit, formalisé."

Comment tout cela pourrait se concrétiser ? Pierre Bourras détaille : "Les professionnels de santé vont avoir ce qu’on appelle des arbres décisionnels. Dans le cas d’une éruption, on demandera au patient si elle démange, s’il y a des vésicules, s’il y a de la fièvre… et on peut suspecter un diagnostic. Ensuite, on demande confirmation au médecin par téléphone." Il précise : "Le médecin reste responsable du diagnostic et des traitements, mais il peut déléguer des tâches."

Pas de "désert infirmier"

Cette position s’explique aussi par un maillage plus dense par exemple des infirmiers par rapport aux médecins : on compte en Nouvelle Aquitaine  8 374 médecins généralistes libéraux en activité pour 14 508 infirmières libérales.

Exemple en Limousin : pour la Haute-Vienne, le rapport est de 1 pour 2,5, avec 398 généralistes pour 970 infirmières. En Corrèze, le rapport est même de 1 pour 4 avec 185 généralistes pour 734 infirmières, comme en Creuse, département également très rural, où l’on trouve 93 médecins généralistes pour 364 infirmières.

Des réactions mitigées

Le communiqué des institutions ordinales a fait grincer des dents, notamment au syndicat de médecins MG France. Claude Landos, son représentant en Creuse, veut que le médecin reste le coordinateur des soins : "On ne peut pas faire n’importe quoi. Les tâches du médecin généraliste sont le premier recours et la coordination. S’il n’y a plus la coordination, on va finir par faire n’importe quoi."

Mais sur le fond, dans un contexte de pénurie médicale de plus en plus problématique, Claude Landos reste constructif : "Des protocoles bien écrits sur certaines maladies bien connues de tout le monde peuvent être utiles, à condition d’être entérinés par un médecin (…). La condition, c’est la coordination. Ça veut dire que la responsabilité est médicale."

Est-ce une révolution ?

Pour savoir s'il s'agit d'un grand bouleversement, il faut attendre de connaître les actes concernés. Mais clairement, il s’agit d’un changement d’époque. C’est une nouvelle logique pour gérer la démographie médicale et garantir la prise en charge des patients. Petit retour en arrière…

D’abord, dans les années 50, il y avait beaucoup de médecins en ville et peu à la campagne : on s'y soignait moins, pour des questions d’instruction et de coûts.

Ensuite, les ruraux ont commencé à se soigner eux aussi, et les villes avaient toujours trop de médecins. Conséquence : dans les années 70, beaucoup de communes rurales voient arriver des médecins qui n’étaient pas là auparavant. On parle même de pléthore médicale, et il y a du chômage chez les médecins : en 1979, 1000 médecins pointent à l’ANPE.

C’est l’origine du fameux numerus clausus mis en place en 1971 pour limiter le nombre de médecins formés. Plusieurs acteurs y avaient intérêt : les facultés de médecine avaient trop d’étudiants, l’Assurance-maladie voulait limiter ses dépenses, et les syndicats médicaux voulaient limiter la concurrence entre médecins.

C’est alors une nouvelle phase qui s’ouvre, car le numerus clausus est diablement efficace : on passe de 8500 médecins formés en 1972 à 3500 en 1992, 20 ans plus tard ; moins de la moitié. Doucement, on arrive à la pénurie actuelle.

De précédentes mesures inefficaces ?

Ces dernières années, on n’a sans doute pas soigné la bonne maladie. En 2000, on voyait déjà le problème arriver, mais au lieu de se concentrer sur le nombre de médecins ou sur l’organisation des soins, les débats ont principalement porté sur l’attractivité des zones rurales. Il faut inciter les médecins à s’y installer, ou il faut les obliger. On crée des primes, des incitations fiscales, et tous les projets du gouvernement sont annoncés dans des communes rurales, comme à Châlus, en Haute-Vienne, en 2017, ou à Scorbé-Clairvaux, dans la Vienne, en 2012.

Mais aujourd’hui, on sait que Paris est un vaste désert médical, et que malgré la fin du numerus clausus, le nombre de médecins diplômés ne va pas augmenter avant au moins 10 ans. Avec une population vieillissante et des maladies chroniques en augmentation, la situation n'est plus tenable, et ce qui explique ce nouveau changement de philosophie.

Encore des négociations

Il reste du travail pour mettre en œuvre le transfert des tâches : il faut définir précisément les actes concernés, et leur tarification pour les soignants. Selon le gouvernement, "dans les prochaines semaines, l’État et l’Assurance-maladie travailleront en collaboration avec les ordres pour accompagner et traduire en actes concrets ces évolutions". Les premiers changements visibles pour les patients sans médecin traitant devraient intervenir début 2023.

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