Un droit du travail malmené dans un contexte de confinement et d'incertitudes

Les questions se posent de part et d'autre en tant que salariés ou employeurs. Si l'heure est au dialogue, dans les faits les situations peuvent tourner aux conflits. Et ce, avec une juridiction prud'homale qui tourne beaucoup trop au ralenti. Exemple à Limoges.

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Sur les portes du Conseil de Prud'hommes de Limoges fermées au public depuis le 16 mars, peu d'informations. Respectant les directives nationales et particulièrement celles du ministère de la Justice, aucune audience courante ne s'est tenue depuis plus le début du confinement. Tous les dossiers qui devaient être plaidés ont été renvoyés sine die. Le Bâtonnier s'est chargé de transmettre à l'ensemble des avocats les dates de renvois.
 

Mais contrairement aux autres juridictions, il n'y a eu aucune audience du tout. Ni référé, ni audience en mode dégradé pendant cinq semaines, jusqu'à ce jeudi 23 avril : un dossier, renvoyé plusieurs fois pendant la grève du Barreau avant le confinement, a été plaidé parce qu'il rentrait dans les deux seuls cas urgents autorisés, comme le rappelle le Président du Conseil de Prud'hommes, Laurent Guéry
 

Tous les dossiers pour des impayés de salaires ou pour obtenir des documents nécessaires à une inscription à Pôle Emploi peuvent en effet être jugés en référé, et cela depuis le début du confinement. Notre greffe travaille trois jours sur cinq depuis le 16 mars, des requêtes peuvent être déposées par les avocats en lettre recommandée avec accusé de réception, mais c'est vrai qu'on constate qu'aucune requête n'a été jusqu'ici déposée.


Les avocats que nous avons contactés ont tous été surpris de l'apprendre. Il apparaît donc qu'il y a eu un dysfonctionnement dans la transmission des informations, ce qui expliquerait l'absence de saisine du Conseil de Prud'hommes. Le malentendu a été levé ce jeudi, ce qui soulage Richard Doudet, avocat spécialisé en droit du travail et délégué du bâtonnier auprès de la juridiction prud'homale.
 

Je suis ravi d'apprendre que ce malentendu soit dissipé, évidemment nous allons présenter sous peu nos requêtes pour saisir le Conseil au nom de nos clients, ce qui permettra de débuter les procédures, à charge pour le Greffe d'informer la partie adverse. La limite est qu'il n'y a pas de fonctionnement dématérialisé avec la juridiction prud'homale, nous n'avons pas avec elle le réseau qu'on peut avoir avec le Tribunal Judiciaire. Il nous faut physiquement nous rencontrer pour faire avancer le dossier. Et c'est là que nous sentons les réticences de la direction du Greffe quant à un retour à une ouverture au public compte-tenu des faibles moyens pour assurer les règles sanitaires qui s'imposent


Pour Frédéric Olivé, bâtonnier de l'Ordre des avocats, il ne faut pas non plus tomber dans la paranoïa ni céder à la panique. Il demande une organisation qui puisse rationnaliser ces audiences pour aller au-delà de la simple urgence, pour une continuité du service de la Justice. Il y a des dossiers de fond qui peuvent être jugés si une organisation est trouvée de concert avec les magistrats, au cas par cas.
 

Les ordonnances du 25 mars 2020 peuvent s'appliquer jusqu'au 24 juin, soit jusqu'à un mois après l'état d'urgence sanitaire fixé au 24 mai. Nous pouvons donc avoir des audiences à huis clos, c'est-à-dire sans la présence du public. Là où nous avions des audiences collégiales à plusieurs juges, nous pouvons n'avoir que des juges uniques, là où les avocats se présentaient physiquement pour plaider leurs dossiers, nous pouvons seulement déposer nos dossiers de plaidoirie, là où tout le monde était convoqué à une seule et même heure, nous pouvons envisager des convocations échelonnées... Bref, les solutions existent pour limiter les présences physiques et limiter le temps de ces audiences

 


De nombreuses questions et une vague de conflits à venir

Le contexte est également compliqué pour avoir accès aux conseils. Les avocats ont maintenu une activité minimum, souvent de chez eux mais également partiellement à leur cabinet pour accéder à l'ensemble de leurs dossiers, aux logiciels professionnels en réseau, relever leur courrier etc. Ils répondent au téléphone mais ne reçoivent plus leurs clients. Leur personnel est, quant à lui, en télétravail à domicile.

Or, salariés et employeurs se posent un tas de questions sur les modalités du télétravail, sur ce que peut ou ne pas demander l'entreprise, ce que peut ou ne peut pas faire le salarié.
 

Pour Mathieu Plas, avocat au Barreau de Limoges, il y a eu deux vagues de consultations téléphoniques. Une première, par les salariés qui assistaient à une organisation de leur employeur face à l'obligation de fermeture, dans l'intérêt de l'entreprise mais qui leur posait question : par exemple, le fait de demander au salarié de prendre ses congés ou des RTT pendant cette période de fermeture, ou des RTT découpées sur la matinée ou seulement l'après-midi, les pertes de salaires... les employeurs étaient dans le flou des instructions gouvernementales.
 

Une seconde vague d'appels est arrivée au lendemain de l'annonce d'un déconfinement possible le 11 mai. Ce sont davantage les entreprises qui s'inquiètent des modalités de l'organisation de la reprise du travail, comment faire lorsque les situations matérielles ne se prêtent pas aux conditions sanitaires de sécurité. Certaines entreprises ont opté pour le démontage des portes et des poignées, pour un sens de circulation mais les questions vont au-delà : ai-je le droit de flasher la température de mes salariés à leur arrivée par exemple, sachant que ça peut être considéré comme une donnée médicale personnelle et protégée...
 

Il y a aussi des comportements qui se révèlent avec la crise. Certains secteurs ont une économie souterraine. Par exemple, les pourboires dans la restauration qui représentent, pour certains salariés, une partie de leur rémunération. Ce manque à gagner est une perte sèche, car elle ne sera pas prise en compte dans le cadre d'un chômage partiel... J'ai par exemple un cas d'employeur qui s'est vu menacé par son salarié pour cette absence de liquidités ajoute Maître Mathieu Plas.

Pour son confrère Philippe Clerc, également avocat au Barreau de Limoges spécialisé en droit du travail, les licenciements continuent, pour des raisons antérieures à la situation sanitaire. Il y a aussi des salariés qui se mettent en tort.


Il y a des salariés qui font aussi n'importe quoi, ceux qui ne peuvent pas être en télétravail mais qui refusent de poursuivre leur travail alors même que toutes les conditions pour le maintien de leur santé sont assurées par l'employeur. On voit aussi des employeurs qui ont déclaré leur personnel en chômage partiel, donc pris en charge par l'Etat, mais qui continuent à faire travailler ces salariés en télétravail. Il y a aussi les employeurs qui demandent à leurs cadres de venir travailler pour montrer l'exemple aux ouvriers, alors même que c'est l'intérêt de tous de respecter le télétravail le plus possible. On voit de tout.


Le droit de retrait du salarié va aussi être soulevé dans les semaines après-confinement. Certains vont estimer qu'ils se retrouvent face à un danger grave et imminent si toutes les conditions sanitaires ne sont pas respectées. La responsabilité de l'employeur pourra être recherchée en cas de contamination.

Tous s'attendent, dans les mois à venir, à voir une forte activité prud'homale.



 
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