La race limousine évolue avec son temps. Des acteurs de la filière étudient comment produire de la viande le plus justement possible avec un défi de taille : améliorer la qualité du produit, mieux rémunérer les éleveurs tout en conciliant les enjeux environnementaux. Une ferme expérimentale a opté pour le croisement avec l’Angus. Explications.

L'essentiel du jour : notre sélection exclusive
Chaque jour, notre rédaction vous réserve le meilleur de l'info régionale. Une sélection rien que pour vous, pour rester en lien avec vos régions.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "L'essentiel du jour : notre sélection exclusive". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Une fois n’est pas coutume : on va sortir du Limousin pour parler de la race limousine. Direction Thorigné-d’Anjou, au nord d’Angers (Maine-et-Loire). Là-bas, deux chercheurs, Julien Fortin et Pierre Bruneau, mènent une expérimentation sur leur ferme labellisée Agriculture biologique (AB).

Depuis 6 ans, quand un nouveau-né voit le jour. Il n’est pas marron doré comme sa mère, ni complètement noir comme son père. C’est un croisé entre la race limousine et la race Angus.

Notre ferme est un outil de recherche pour toute la profession, pour tous les éleveurs. Ici, on travaille pour le marché français. L’enjeu, c’est la souverainté alimentaire du pays. Une grosse partie de nos bovins sont vendus à l’export pour être engraissés ailleurs.

Julien Fortin, responsable de la ferme expérimentale de Thorigné-d'Anjou

La ferme questionne le modèle dominant de production de viande bovine sans le stigmatiser. Ses chercheurs proposent des solutions d’avenir face au dérèglement climatique. C’est loin d’être un repère de mordus de génétique qui bricolent dans leur coin une nouvelle espèce : les animaux croisés terminent dans nos assiettes et ne sont pas reproduits entre eux. C’est un produit « terminal ».

L’entreprise a, dans son conseil d’administration, des représentants de la chambre d’agriculture, de coopératives locales, de banques, de techniciens et d’étudiants de l’École supérieure d’agriculture d’Angers. Bref, tout ce qu’il y a de plus sérieux.

Des animaux plus économes

« D’ordinaire en agriculture biologique, un bœuf limousin de 32 mois aura mangé 800 kilos de céréales dans sa vie, en plus de l’herbe, explique Julien Fortin. 800 kilos car il faut faire du muscle et du gras pour le goût et la conservation des carcasses. C’est discutable. »

Le dernier mois d’engraissement coûte cher, toute production confondue. En particulier chez les femelles avec des gabarits plus élevés et donc plus longs à finir.

Il y a un besoin d’animaux de petits gabarits. On mange moins de viande qu’avant. Et des morceaux plus petits, c’est aussi des barquettes plus petites et donc moins de plastique.

Julien Fortin, responsable de la ferme expérimentale

Le levier pour produire des bêtes moins épaisses, c’est de gagner en précocité. C’est-à-dire d’agir sur la capacité à déposer du gras plus facilement. Autrement dit : à atteindre l’âge adulte plus facilement. Et c’est ce que vient apporter la race Angus. La race anglo-saxonne est par ailleurs la plus répandue au monde en troupeaux allaitants.

 

Selon l’étude de Roland Jussiau et d’Alain Papet, parue en 2015 sous le titre « Croissance des animaux d’élevage », la précocité permettrait de produire des carcasses plus légères mais également de réduire l’âge d’abattage et de maximiser le pâturage sur la vie de l’animal.

À lire aussi : "Les Pimpin, champions de la vache limousine"

 

Avec deux périodes de mise bas, la ferme a pu mettre en évidence deux résultats. Les vaches nées au printemps vivent 100 % en plein air. « 77% de ce qu’elles ingèrent dans leur vie, c’est de l’herbe. Elles n’ont besoin que de 160 kg de céréales en tout. Bien loin des 800 en moyenne. » Pour leurs cousins et cousines nés à l’automne, on descend à 66 % d’herbe et davantage de céréales (420 kg brut).

 

Naturellement, on n’atteint pas les mêmes gabarits quand on mange différemment à la cantine. Selon l’étude menée à la ferme : un bœuf limousin dispose de 450 kilos de carcasse contre 350 kilos pour les croisé(e)s en Anjou. Sauf que son rendement est bien meilleur car, pour 100 kilos d’écart seulement, un(e) croisé(e) aura consommé 5 fois moins de céréales quand elle est née au printemps. « Celles et ceux nés à l’automne ont toutefois une efficacité énergétique légèrement supérieure. »

Perdre du poids, ou plutôt arrêter d’en prendre

Le Pôle de Lanaud, le siège politique et technique de la race limousine, s’accorde sur la croissance poussée des animaux. Sur le coût élevé de finir des animaux tardivement pour en faire des poids lourds. Partout en France, on a fabriqué des Formule 1, ceux qui vous pouvez admirer au Salon de l’agriculture. Mais ce n’est pas l’avenir préviennent les chercheurs.  

Toutes les races ont suivi le chemin du poids qui était et qui est toujours le système de valorisation. Il y a de l’affect chez les éleveurs. Avoir une belle vache, c’est en avoir une bien formée, grosse. Ce modèle est ancré.

Julien Mante, directeur technique de France Limousin Sélection au Pôle de Lanaud

Comparée à la race charolaise, la vache limousine était pointée du doigt pour son manque de croissance dans la décennie 1970-1980. « Les éleveurs ont mis le paquet et ont rattrapé le retard : on a gagné 1 kg par an en 30 ans sur les jeunes veaux de 7 mois (les broutards) », explique  Julien Mante, le directeur technique de France Limousin Sélection au Pôle de Lanaud.

Si, dans le champ, la couleur n’a pas changé. En 40 ans, une vache limousine a pris en moyenne entre 100 et 200 kg. Elle pesait autour de 650 kg dans les années 1970-1980. Dans le même temps, la Charolaise s’est aussi développée mais les écarts se sont resserrés.

Sauf que les carcasses épaisses donnent davantage de viande dure. La fameuse semelle. Pourtant, l’aval de la filière continue de payer plus cher pour les gros volumes. Autrement dit : plus la vache est lourde, plus le chèque est épais. « C’est notre paradoxe du quotidien. Faire comprendre aux éleveurs installés dans leurs habitudes qu’il faut mieux sélectionner et davantage travailler sur la précocité. Les bœufs les plus gros et les mieux finis ne sont pas des atouts pour l’avenir de la race. Et ce sont les plus chers à produire », détaille Julien Mante.

Croiser la Limousine ne fait pas l’unanimité

Le Pôle de Lanaud est géré par des éleveurs, ils sont les décideurs. Ils se basent sur le travail des ingénieurs agronomes, des chercheurs en génomie et en développement. L’avenir de la race est entre les mains des éleveurs eux-mêmes.

Des éleveurs, qui ne voient pas d’un bon œil les croisements. Les défenseurs de la race limousine pure voient dans les croisements une perte d’homogénéité dans la carcasse. Ce qui complique le travail des bouchers. Mais le mal est plus profond.

« L’Angus vient mettre du gras très vite. Finir des animaux plus facilement avec des systèmes de conduite orientés vers l’herbe, commente Julien Mante, directeur technique de France Limousin Sélection. Le revers de la médaille, c’est un rendement moindre, moins conformé. D’autant que la race limousine a une palette large dans sa génétique. Elle est connue pour avoir des lignées très précoces, pour produire du veau de lait sous la mère, qui déposent du gras très tôt et il y a également des lignées pour des finitions plus tardives. » Autrement dit, pas besoin d’aller voir ailleurs !

Quelle qualité de viande croisée ?

On le sait, le Français a un bon coup de fourchette. Même s’il mange moins de viande que dans le passé (85,1 kg équivalent-carcasse (kgec) par habitant en moyenne sur 2013-2022 à 83,5 kgec en 2023, selon l’Agreste), il la préfère rouge, plutôt saignante et un peu grasse.

La ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou a fait tester le produit fini de ses bovins croisés à l’Institut de l’Élevage. Lequel a mis en avant deux caractères recherchés par les consommateurs : le persillé et la tendreté. « Ce fut une belle surprise pour nous ! Avec des animaux plus jeunes, nous craignions pour la couleur de la viande et la part de gras. Nous savions que la viande serait de qualité mais nous ne nous attendions pas à de tels résultats, confie Julien Fortin. Ce qui est intéressant pour la filière, c’est qu’il n’y a pas de différences entre mâles et femelles. »

Un modèle vertueux pour l'éleveur...

En plus de maximiser la part de viande sur la carcasse, le croisement donne un avantage financier au producteur.

Le coût de production est très faible sur ces animaux. Nous avons montré que techniquement, c’est possible ! La marge par animal par hectare dégage un meilleur revenu à l’éleveur.

Julien Fortin, responsable de la ferme expérimentale

La valeur produite est inférieure à celle d’une race pure mais le coût par vache diminue fortement. 

« La qualité du produit est là, les proportions correspondent au marché de consommateurs et l’approche sociétale et environnementale est complète », se réjouit le chercheur angevin.

Autre enjeu non négligeable : le bien-être animal. Selon les chercheurs angevins, « le croisement sur les génisses, les vaches qui vont faire leur premier veau, sécurise le premier vêlage grâce à l’apport de l’Angus ». Car quand on augmente le poids d’une vache, on accroît aussi ses difficultés de vêlage.

Un argument moins bien reçu au quartier général des vaches marron doré. « La race limousine se distingue sur ce point, précise Julien Mante, du Pôle de Lanaud. Nous avons monté la croissance des limousines sans trop augmenter le poids de naissance des veaux (38 à 44 kg en 40 ans). La Limousine est également  connue pour sa capacité à vêler en autonomie, c’est moins de contraintes pour les éleveurs. »

...et pour la planète !

Moins de viande par vache par hectare, cela veut dire moins de charges pour la ferme angevine. Et c’est la Terre qui dit merci : dans ce modèle, il y a moins de recours aux intrants. Moins de fioul car moins de mécanisation. Car, quand les vaches sont dehors, il n’y a pas besoin de sortir le tracteur pour travailler la terre.

On oppose souvent protection du climat et perte de revenus des éleveurs, « or, travailler sur la réduction du méthane et réduire la pression environnementale va de pair avec l’économique, avance Julien Mante. Quand une femelle vêle plus tôt, à 2 ans au lieu de 3, elle produira un veau de plus dans sa vie, donc plus de viande et moins de méthane en proportion car il ne faut pas une vache supplémentaire pour produire ce veau supplémentaire. »

La race pure, une passion française

Avec son nouveau modèle, Julien Fortin fait face à des interrogations et des critiques. Dans une filière agricole traversée par des crises et de rudes batailles sur les prix, certains s’inquiètent d’une proposition décroissance. « Or, notre système produit plus de viande par hectare, donc ce n’est pas un système anti-production », répond le responsable de la ferme de 16 ha.

Certains éleveurs n’ont pas attendu la publication des conclusions de l’expérimentation à Thorigné-d’Anjou en mai dernier, ils se sont lancés directement à partir des premières études scientifiques sur la croissance animale. Mais la norme française reste la race pure. Selon où l’on se balade en France, on entendra « la Limousine, c’est la meilleure » ou « la Charolaise, c’est la meilleure ».

Ailleurs en Europe et dans le monde, on croise à tout va. « En Irlande, il n’y a pas une vache qui se ressemble dans le pré. Tout est croisé, recroisé, sourit Julien Mante. C’est vrai qu’il y a des effets d’hétérosis, c’est-à-dire que l’enfant est meilleur que ses deux parents quand on croise deux races pures. » Pour autant, la France a ses traditions et l’amour des races pures pèse lourd.  

La ferme expérimentale ne dit pas le contraire, elle ne veut pas tout déréguler et anticipe de futures critiques : « Les races font partie du patrimoine français. En tant que chercheurs, nous avons un souci de transposabilité. Nous ne croisons d’ailleurs qu’une partie du troupeau sur la ferme. »

« Nous sommes allés trop loin »

Même s’il défend une race pure, 100 % limousine, le Pôle de Lanaud ne stigmatise pas non plus le test expérimental mené en Anjou. De son côté, France Limousin Sélection recrute chaque année 700 bovins partout en France pour sélectionner les meilleurs. En vivant dans le même environnement, avec la même nourriture, on ne laisse pas de place aux aléas illisibles en génétique : le savoir-faire de l’éleveur et l’influence du milieu. Pour savoir quels sont les mâles et femelles sur lesquels il faut parier pour l’avenir, les chercheurs regardent leur ADN – sans jamais le modifier – et ce, depuis les années 1970-1980. Un long chemin depuis la création du livre de la race en 1886.

Si les qualités maternelles ont avancé dans le bon sens, les chercheurs spécialistes de la race expliquent avancent sans détour : « Nous sommes allés trop loin dans les habitudes bouchères ces dernières années ».

« Maintenant, nous portons une attention sur la finesse d’os car elle s’est légèrement dégradée et elle complique le travail des bouchers. C’est un gros chantier », témoigne le directeur technique de France Limousin Sélection.

Parmi les autres chantiers : préserver la rusticité, améliorer la résilience en particulier l’été pour que les animaux subissent moins les coups de chaud répétés. Enfin, la race doit évoluer pour correspondre au programme national visant la réduction du méthane en 2030. « On ne progressera pas avant, on sera prêts à partir de cette date mais la génétique c’est du temps long. »

Un enjeu de souveraineté colossal

Il n'y a pas qu'en Anjou qu'on croise. D’autres croisements ont lieu en France, à deux pas du Limousin par exemple : des Salers sont croisées avec des taureaux charolais dans le Cantal pour « fabriquer » des mastodontes à destination du marché italien. Ce n’est pas la ligne à suivre pour France Sélection Limousin ni pour la ferme expérimentale angevine. « Bien évidemment que tous les éleveurs français ne vont pas croiser, reste à savoir comment la société va s’en emparer avec les enjeux de demain, quelle part de marché le croisement va-t-il prendre », s’interroge Julien Fortin. Il n’utilise pas de conditionnel mais du futur simple. « On en revient à la logique de souveraineté, est-ce qu’on veut faire en France en compensant le départ des animaux à l’export ou garder notre modèle existant ? »

L’enjeu, c’est bien de produire français. Car 85 % de nos taurillons (jeunes mâles non castrés pour produire de la viande ou être géniteurs) sont exportés. Et plus d’un million de broutards finissent leur engraissement à l’extérieur (705 000 mâles en 2022).  

L’éleveur-chercheur angevin interviendra d’ici quelques jours auprès de la filière biologique. Histoire de planter une graine. Mais comme en génétique, les résultats nécessitent du temps.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information