Dans son dernier ouvrage, l’agronome limousin, Christophe Gatineau pose la question de la pertinence de la méthanisation. Preuves et sources à l’appui, il montre les limites et les ravages d’une source d’énergie pourtant présentée comme vertueuse. Il le rappelle, son essai de 140 pages n’est pas du tout à charge contre les agriculteurs. Bien au contraire. Rencontre.
Fausse énergie verte ?
« La méthanisation est un atout pour la transition énergétique ». Ce sont ces déclarations d’un sénateur de surcroît écologiste qui ont provoqué l’écriture du livre de Christophe Gatineau. Pour lui, le rapporteur de la commission sénatoriale en charge d’évaluer la méthanisation agricole dans le mix énergétique, le sénateur Daniel Salmon se trompe en faisant croire qu’il s’agit d’une énergie verte. « On la présente comme l’énergie du FUTUR, quand 71% de nos émissions de CO2 restent dans l’air ou acidifient les océans » écrit l’agronome. « La méthanisation agricole en émet énormément pour produire ce soi-disant gaz vert qui finira au bout du compte en CO2 ! De surcroît, ce gaz est produit à partir du carbone qui nourrit habituellement les vers de terre et qui est indispensable à leur reproduction. » argumente-t-il. Ce qui le motive avant tout à Christophe Gatineau, c’est de comprendre. Après avoir creusé le sujet, il explique « Si on cultive 1 ha de maïs, et qu’on le vend à une coopérative ça vous rapporte à peu près 1200 euros, si ce maïs vous le valorisez pour de l’ensilage pour nourrir les animaux ça peut rapporter à l’agriculteur 2000 euros. Par contre si ce même maïs, il le met dans un méthaniseur pour faire du gaz ça peut lui rapporter 4000 euros l’hectare ». La démonstration est simple. Les agriculteurs sont subventionnés pour produire du gaz de méthane mais cela se fait en abîmant le sol. C’est l’idée force de l’ouvrage de l’agronome Christophe Gatineau. « Ce qu’on peut dire, c’est que sur le plan agricole c’est rentable de continuer dans cette voie, tant que le secteur sera subventionné », autrement dit si l’on veut protéger le sol, il suffit d’une volonté politique pour le faire.
La région Nouvelle Aquitaine pointée du doigt
Aujourd’hui, alors que d’autres régions se désengagent de la méthanisation agricole, "la région Nouvelle Aquitaine investie beaucoup sur l’énergiculture », regrette Christophe Gatineau.
La méthanisation pose deux problèmes majeurs : "climatique et agronomique », détaille-t-il. Pourquoi ? « Parce que le problème climatique est aujourd’hui lié à la trop grande concentration de gaz carbonique qui, associé à l’oxygène augmente l’effet de serre et augmente le réchauffement climatique en bouleversant le climat. On en voit aujourd’hui les effets, avec la fonte des glaciers dans l’arctique. Ou plus proche de nous, l’absence de gel en hiver », prévient Christophe Gatineau. « Quand j’étais enfant au bord de la mer, se souvient-il, du côté de l’île d’Oléron, j’ai vu une fois de la neige, et ça a duré 5 minutes. Il ne neigeait plus à cette époque, et les hivers étaient déjà moins froids puisque du temps de mon père et de mon grand-père, le ruisseau qui passe encore aujourd’hui en contrebas du village était gelé quand ils étaient enfants, ils pouvaient même s’amuser à faire du patin à glace. Ils s’amusaient sur la neige, l’hiver était rude en bord de mer, comparé à aujourd’hui. L’an dernier il n’a pas neigé, les températures ne sont pas descendues en dessous de 0 ce qui prouve bien que sur une durée de 90 ans, on a dérèglement climatique. » C’est en échangeant récemment avec son père issu du milieu agricole que l’agronome a pris conscience de ce détail concret sur le dérèglement climatique.
Mauvais choix de société ?
La France vise l’autonomie en gaz pour 2050. « Et pour l’atteindre, elle s’appuie sur les agriculteurs », constate Christophe Gatineau. « Mais les sols agricoles, pourront-ils soutenir durablement la production de gaz et nourrir en même temps ? Personne n’en sait rien, le sujet n’a pas été étudié » s’interroge l’agronome. Avec la méthanisation « on a détourné le cycle naturel de la circulation du carbone, qui ne passe plus par le sol » accuse Christophe Gatineau, très préoccupé par le sort des vers de terre à quoi il a consacré deux autres livres. « Ça partait d’une bonne intention qui était d’être autonome au niveau énergétique et de ne pas dépendre du gaz russe en l’occurrence et on peut aisément le comprendre aujourd’hui ». La technique de la méthanisation on la connaît depuis un siècle. « Entre les deux guerres, on avait besoin de cette énergie, sauf que sur le plan économique et agronomique, ce n’était pas rentable, explique Christophe Gatineau. Elle avait été abandonnée au profit de l’énergie hydraulique, du pétrole, des énergies fossiles, et du nucléaire. Elle est revenue au goût du jour, avec l’épuisement des énergies fossiles, et la dépendance d’un pays comme La France au gaz de Poutine ». Pour l’agronome, « on est déjà dans la guerre du feu, c’est la guerre de l’énergie, et de l’approvisionnement de l’énergie. La France n’a pas de ressource d’énergie en dehors du solaire ou de l’éolien, ou de l’hydraulique, donc elle est obligée de trouver des solutions » constate Christophe Gatineau.
Bouse ou lait ?
La France a jeté son dévolu sur la méthanisation, car elle se demande pourquoi elle ne valoriserait pas les déchets agricoles, la biomasse. « Sauf qu’on se rend compte que pour valoriser ces déchets il faut planter intensivement des plantes comme le maïs qui sont riches en carbone et qui vont produire du gaz. Cela a été possible grâce à l’argent publique, aux subventions liées à la croissance verte, parce que la méthanisation en dehors de la subvention n’est pas rentable du tout. Pour les agriculteurs c’est un vrai complément de revenu, donc ils n’ont pas intérêt à l’arrêter » explique l’auteur.
Christophe Gatineau a grandi dans le milieu agricole et prend la précaution dès les préambules de son livre de ne pas incriminer les agriculteurs. « On encourage les agriculteurs à investir dans la méthanisation parce que c’est rentable pour eux ; produire du gaz de méthane aujourd’hui rapporte plus que de produire du lait. La bouse de vache a plus de valeur que le lait que l’animal produit », sourit l’auteur. « On a une pression sur le sol pour produire de l’énergie, on s’éloigne du coté nourricier, dans 30 ans ça va poser des problèmes. Quand il n’y a pas de l’énergie dans le sol, plus rien n’y pousse. On dit aux agriculteurs produisez de l’énergie du gaz, de l’électricité et des biocarburants, avec l’énergie de leur sol, sauf qu’à terme quand les sols seront pauvres on ne pourra plus les exploiter. Il suffit d’observer les déserts, qui ont été des régions fertiles, le sol qui nous nourrit est une ressource rare, qui n’est pas renouvelable. On devrait en prendre soin » argumente l’agronome. Christophe Gatineau s’appuie sur des travaux de chercheurs comme Daniel Châtaignier pour étayer ses arguments. « J’ai travaillé avec Daniel Châtaignier qui est physicien, il a validé le contenu scientifique du livre. » Il est chercheur à l’université de Caen Normandie. Avant le livre, Christophe Gatineau a entretenu des échanges réguliers avec ce physicien autour du climat, de la méthanisation et des gaz à effet de serre. C’est un travail qui a duré un an d’investigation. Le professeur est aussi coordinateur du Collectif Scientifique National pour une méthanisation raisonnable.
Christophe Gatineau cite également L’ADEME qui a publié une note disant que pour la neutralité carbone on doit « séquestrer le carbone dans le sol, les experts disent aussi la même chose, on doit émettre le moins possible de carbone dans l’atmosphère car sinon on amplifie le réchauffement climatique ».
Quid du Limousin ?
Ce dont on s’aperçoit, c’est qu’en Limousin on a très peu de méthaniseurs contrairement à d’autres régions comme la Bretagne, ou l’Est de la France. « On a un retour d’expérience qui montre que dans l’Est on a un tiers des méthaniseurs qui sont en fonctionnement, un tiers qui sont à l’arrêt et un tiers qui sont définitivement à l’arrêt. Si on prend le cas de Bretagne, la région a cessé de subventionner les agriculteurs, contrairement à la Nouvelle aquitaine qui investit énormément d’argent pour développer la méthanisation » semble accuser l’auteur.
Pourquoi la Bretagne a-t-elle arrêté ? « Parce que c’était une manne pour les agriculteurs, mais au bout de dix ans il y a beaucoup d’agriculteurs qui arrêtent. Parce qu’ils s’aperçoivent qu’il sont obligés de produire du gaz au lieu de produire de la nourriture. On a oublié que l’agriculture c’est pour nourrir et pas produire du gaz » tempête Christophe Gatineau.
Refus du manichéisme
Avec ce livre, rappelle Christophe Gatineau, « je voulais faire un état des lieux, sur la méthanisation, et sur les conséquences sur les sols et l’alimentation de demain. J’ai choisi de lancer un financement participatif pour éditer le livre via l’association du Jardin vivant et en quatre jours, j’ai réuni les fonds pour éditer le livre » se félicite l’auteur. D’ailleurs, la plateforme qui a hébergé la collecte de fond, c’est Mimosa, une plateforme qui soutient la méthanisation. « Ce qui les a intéressés c’est ce travail d’enquête qui ne pointait pas du doigt le monde agricole », suppose l’auteur. « Je suis agronome, je viens du monde agricole, je me suis toujours demandé si les agriculteurs ne finiraient pas par être les dindons de la farce dans la course à l’énergie. On encourage les agriculteurs à mettre des engrais chimiques, et aujourd’hui on leur dit qu’ils sont les pollueurs », regrette Christophe Gatineau. C’est nécessaire d’apporter des éclaircissement sur plein de points, pour lesquels il n’y a pas encore eu d’enquête. Est-ce qu’on reproche au soldat de s’être battu, ou est-ce que les responsables sont ceux qui les ont envoyés se battre ? » tente-t-il une comparaison.
Biodiversité en danger
S’il s’appuie sur les travaux d’autres scientifiques pour son plaidoyer contre la méthanisation, la spécialité de Christophe Gatineau c’est la bonne santé des sols avec une affection particulière pour les vers de terre. « Les trois quarts de la biodiversité terrestre sont stockés dans le sol, on a une richesse incroyable, par ces nourritures que vivent les vers de terre. Les méthaniseurs rentrent donc en concurrence directe avec la vie dans les sols, et consomment la nourriture de la vie des sols, et de la mort des vers de terre, pour faire du gaz. Si on leur enlève la nourriture ils ne vont pas se reproduire et enrichir les sols. On sera encore plus dépendants des engrais chimiques qu’on essaye d’interdire car ils appauvrissent le sol, source de pollution » insiste Christophe Gatineau.
Pour mieux faire comprendre son raisonnement, le livre de Christophe Gatineau regorge de d’efforts de pédagogie pour parler à tout le monde. « Dans le sol ce sont toujours des processus lents, c’est-à-dire que le cycle naturel du carbone, il passe par le sol durant à peu près 25 ans avant de repartir dans l’atmosphère, avec la méthanisation, elle ne passe plus par les sols, et c’est catastrophique à long terme. On accélère le cycle du carbone. On casse le cycle, il y en a toujours mais on tire sur la réserve. L’élément de la vie c’est le carbone, qui passe par le sol, si on l’élimine du sol, il n’y a plus de vie ».
Sans être alarmiste, dans son ouvrage Christophe Gatineau rappelle un chiffre éclairant : « 60% des sols dans le monde sont abîmés, on a des sols nourriciers qui ont disparu, et on a une population mondiale qui augmente. Et en face on diminue les surfaces cultivables ». Le livre pose toutes ces questions pour aider le débat à s’éclairer, pour que chacun comprenne les implications de la production du gaz par la méthanisation.