La Cellule Déméter fortement recadrée par le juge administratif : soulagement de l'association France Nature Environnement

Le tribunal administratif de Paris enjoint au ministre de l'Intérieur de faire cesser dans les deux mois les activités de la cellule Déméter, qui vise la prévention et le suivi d'actions de nature idéologique. Dans le dossier examiné par le juge administratif, se trouve l'intimidation exercée sur un juriste de France Nature Environnement suite à un reportage de France 3 Nouvelle-Aquitaine.

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Créée en octobre 2019 par le gouvernement au sein de la Gendarmerie nationale, la Cellule Déméter - du nom de la déesse grecque des moissons - résulte d'une convention de partenariat entre l'Etat et deux syndicats agricoles, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs (JA). Une création par ailleurs contestée par les autres syndicats agricoles qui constataient, de fait, une discrimination dans la protection des exploitations.

Cette convention avait pour but de faciliter les relations entre les membres de ces deux syndicats agricoles productivistes et la gendarmerie nationale, pour une action plus réactive aux atteintes de leurs exploitations, notamment les vols de matériels et d'outillages. Mais les instructions du ministère de l'Intérieur et du ministère de l'Agriculture ont rapidement été au-delà de ce qui était acté dans cette convention. Très vite, autant dans le communiqué de presse du gouvernement que dans les circulaires des ministères, on a pu lire que cette cellule Déméter devait lutter contre les vols de matériel dans les exploitations, mais aussi "contre les actes de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques ».

Une convention contestée par les associations depuis plusieurs mois

Dans son jugement du 1er février, le tribunal administratif de Paris enjoint au ministre de l’Intérieur de faire cesser les activités de suivi des atteintes symboliques au monde agricole dans un délai de deux mois, sous peine d’une astreinte de 10.000 euros par jour. Le juge administratif juge illégal le suivi de ces actions car il s’agit « de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole » qui relèvent de la liberté d'expression et d'information des citoyens.

L'existence de la cellule Déméter n'est pas remise en question en ce qu'elle permet à la gendarmerie nationale de lutter contre les infractions commises sur les exploitations agricoles - puisque cette mission relève tout simplement du code pénal et de procédure pénale. En revanche, sont déclarées illégales toutes actions de la gendarmerie nationale pour prévenir et suivre les actions des associations dénonçant le modèle agro-industriel.

Une illégalité que demandaient à faire reconnaître 27 associations. Elles demandaient au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin de faire cesser ces actions, qu'elles qualifiaient de graves atteintes à la liberté d'expression. Devant le refus implicite par défaut de réponse du ministre, trois de ces associations ont saisi le tribunal administratif de Paris, l'ONG Pollinis, l'ONG Générations-futures et l'association L214 Ethiques & animaux.

C'est par ce jugement du 1er février 2022 que le tribunal administratif de Paris  annule le refus du ministre de l’intérieur de mettre fin à une partie des activités de la cellule Demeter. Il motive sa décision sur le fait que "la prévention des "actions de nature idéologique" ne se rattache pas aux missions de la gendarmerie nationale, telles que définies à l’article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure." Estimant que "ces missions ne reposent dès lors sur aucune base légale", il annule en conséquence le refus du ministre d’y mettre fin.

Le juriste de l'association nationale France Nature Environnement, Antoine Gatet, réagit à cette décision. Rappelons qu'il a lui-même été inquiété par une action de la gendarmerie nationale à la suite de l'une des interviews que notre rédaction sollicite régulièrement pour des faits d'actualité.

En janvier 2020, l'une de nos équipes réalise un reportage sur de nouvelles serres de culture de tomates hors-sol, sur la commune de Rosiers d'Egletons en Corrèze. Après avoir rencontré le porteur du projet, nos journalistes rencontrent le juriste de France Nature Environnement, pour respecter le contradictoire de l'information. Or, à la suite de cette intervention, Antoine Gatet recevra à son domicile, un samedi dès l'aube alors qu'il est en famille, la visite de deux gendarmes lui précisant qu'il recevrait dans les jours à suivre une convocation pour s'expliquer sur une violation de domicile. Aucune suite pourtant ne sera donnée.

"Ce genre d'intimidations, nous avons été plusieurs à en faire l'objet dans les associations environnementales, souligne le juriste. La convention initiale a été volontairement détournée par les ministres de l’Intérieur et de l’Agriculture pour empêcher les actions dénonçant l’agro-industrie. Bien sûr qu'on ne pouvait qu'être choqué, nous savions qu'il s'agissait de méthodes illégales mais seul le juge peut constater cette illégalité. On ne peut qu'être soulagé de voir la liberté d'expression et d'information rappelée par nos juges.

Le dispositif de cette cellule Déméter exacerbe des tensions déjà vives autour du modèle de production agricole intensif, montré du doigt en ces temps de réchauffement climatique.

« La cellule Déméter a été créée avec une focalisation sur les critiques du modèle d’agriculture intensive, défendue par les syndicats majoritaires, et pas pour des vols de tracteurs, a déclaré Brigitte Gothière, cofondatrice de L214, à l’AFP. Aujourd’hui, Déméter est une coquille vide : c’est exactement ce que nous demandions. »

Une cellule qui va continuer à exister, mais "recadrée"

Le gouvernement réagit au jugement du tribunal administratif de Paris et annonce ce mercredi dans un communiqué que la cellule Déméter sera «précisée et cadrée dans un nouveau texte d'organisation interne» en ce qui concerne les activités visant la prévention et le suivi des "actions de nature idéologique."

Pour le reste des activités de la cellule Déméter, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, et Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, confirment dans ce communiqué commun "l'efficacité de la cellule, soulignant qu'elle a permis d'obtenir de très bons résultats : les vols de véhicules dans les exploitations agricoles en 2021 ont reculé de 8% et les dégradations de 7% par rapport à 2020. Par ailleurs, des enquêtes judiciaires d'importance ont été couronnées de succès, en particulier à l'encontre d'un réseau criminel international spécialisé dans les vols de GPS agricoles ou des auteurs présumés d'un incendie volontaire d'un hangar agricole dans l'Ain. Cette activité n'est donc pas remise en question» concluent les ministres.

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