"Il faut avoir souffert à Limoges pour comprendre" : le Limoges-bashing existe depuis le moyen âge

Ces dernières semaines, des humoristes de radios ont glosé, ou se sont gaussés, de Limoges, dans certaines de leurs chroniques, jusqu’à provoquer l’ire de politiques locaux. Bons mots ou saillies, chacun est juge, mais ce qui est sûr, c’est ce que le "Limoges-bashing" ne date pas d’hier. On en trouve des traces dès le Moyen-Âge ! Et les Limougeauds eux-mêmes ne sont pas insensibles à la pratique.

Limoges moquée... à la radio !

Ce mercredi 8 novembre, alors que la matinale de RTL recevait Marine Le Pen, Philippe Caverivière, auteur, scénariste, comédien, chroniqueur et humoriste sur la radio périphérique, son chat dans les bras, s’est laissé aller à une réflexion sur l’équipe de football de Bar-le-Duc, précisant alors "j’ai lâché Limoges sur les vannes, parce que j’[y] ai une fatwa !"

Il faut dire que ces dernières semaines, dans plusieurs de ses chroniques, Philippe Caverivière avait pris la capitale limousine comme cible, notamment le 1er novembre dernier, disant, alors qu’il parlait de l’IVG, que "l'IVG est un droit fondamental des femmes à disposer de leur corps et à économiser 80 euros de couches par mois. Et 80 euros, c'est quand même quatre spritz à Paris et 42 spritz en Province. C'est pour ça que vous êtes plus alcooliques, mesdames, en Province, surtout à Limoges".

L’hilarité avait alors saisi le studio, avant que la journaliste Amandine Begot ne le reprenne d’un "mais arrêtez avec Limoges, je vous jure qu'on va aller y faire une émission", tandis qu’Yves Calvi, le présentateur, rajoutait, hilare, "On peut prendre l'avion pour Limoges ?"

Colère des élus locaux

Bons mots ou saillies, c’est selon, mais qui n’ont pas laissés insensibles Guillaume Guérin, le président de Limoges Métropole, et Émile Roger Lombertie, le maire. 

Le premier s’est notamment fendu sur les réseaux sociaux d’un courrier, mi- humoristique, mi- cinglant, parlant d’attaques "heurtantes, humiliantes, pour ne pas dire idiotes.".

Joint par téléphone ce 8 novembre, Guillaume Guérin persiste et signe : "J’ai de l’humour, ou pas, on peut en juger, et d’accord, on peut rire de tout. Mais là, c’est l’élu qui s’indigne. J’en ai assez, ça me gonfle. Ce "Limoges-bashing" venant de gens qui, RTL me l’a confirmé, ne connaissent pas notre ville, c’est insupportable. Quand on a une ville qui a autant de richesses, historiques, patrimoniales, culturelles, universitaires, associatives, et même économiques, quand on a autant de gens qui se bougent pour faire de leur territoire ce qu’il est, ce parisianisme anti-Province est inaudible. Et je penserais de même s’il avait pris une autre cible que Limoges. Mais comme il s’agit de nous, j'ai réagi et je les ai tous invité à venir se rendre compte sur place.".

Dont acte, que l’on trouve drôle ou non les réflexions de l’humoriste, que l’on approuve ou pas la démarche des politiques, que l’on entende ou pas la timide la contrition radiophonique, que l’on attende ou pas l’éventuelle venue de la station, façon "Canossa" ou "fière-à-bras".

Une vieille tradition française

Sauf que…
Sauf que persifler sur Limoges est une vieille tradition française, remontant presque au Moyen-Âge, et dont certains des plus célèbres noms de la littérature et de l’humour se sont fait les hérauts ! 

" Il y a comme une corruption d’image ainsi qu’un phénomène d’accression [NDLR : l’accrétion étant, dans diverses matières scientifiques, la constitution et l'accroissement d'un corps, d'une structure ou d'un objet, par apport et/ou agglomération de matière, généralement en surface ou en périphérie de celui-ci.] sur Limoges. Et si c’est vrai pour bon nombre de villes, ou de régions françaises, et que l’on pense au fossé Paris-Province né, quelque part, de l’antagonisme entre Jacobins et Girondins durant la Révolution, c’est encore plus vrai et plus vieux pour notre ville, d’autant plus renforcé par l’histoire récente.". Pascal Plas, historien.

Le poids du "limogeage"

Beaucoup pensent en effet que, hors de la querelle entre la capitale et les régions, le "Limoges-bashing" date de la Première Guerre Mondiale, quand est née l’expression "limogeage".

On connait l’anecdote : en août 1914, alors que les Allemands mènent une offensive stratégique vers l’Alsace-Lorraine et la Belgique, le (alors) général Joffre tient certains de ses officiers généraux pour des incapables, et responsables des premiers revers.
Se servant d’une note du ministère de la Guerre, expliquant que des officiers n’apportant pas satisfaction peuvent être mis à la retraite sur simple rapport motivé, Joffre disgracie en moins de deux semaines 40 % des hauts gradés de l’armée, les envoyant d’abord à l’arrière du front, puis dans la XIIe région, laquelle comprenait la Charente, la Corrèze, la Creuse, la Dordogne et…la Haute-Vienne.
Dans les faits, seule une douzaine de ces officiers se retrouvera effectivement à Limoges, mais les faits marqueront, et l’expression fera son entrée dans le langage courant deux ans plus tard.

On prête d’ailleurs à Adolphe Messimy, alors ministre de la guerre, cette citation apocryphe : "Mieux vaut Limoges que Bordeaux, mieux vaut limoger que bordeliser !".

Si depuis et souvent, les Limougeauds s’en plaignent (Michel Toulet, président de l’association « Rennaissance du Vieux Limoges » y a même consacré un ouvrage, en 2010, "Les limogeages de 1914, entre mythe et réalité »), le dénigrement de Limoges est pourtant beaucoup plus vieux que la Première Guerre Mondiale.

Des origines encore plus anciennes

Pour Pascal Texier, universitaire limougeaud, spécialiste de droit et d’histoire, il remonterait même au Moyen-Âge !

"Cela tient en partie à l’aspect terre de résistance du Limousin. Et je ne parle pas de la Résistance, de la Deuxième Guerre Mondiale. Songez que quand les Carolingiens prennent le pouvoir en France, on est alors au VIII siècle, le Limousin, enfin ce qui y correspond aujourd’hui, est plutôt mérovingien. Plus tard, à l’avènement des Capétiens, le Limousin est terre anglaise. Plus récemment, sous le second Empire, lorsqu’on faisait élaborer aux élèves-officiers des plans d’attaque et/ou de défense des villes, Limoges était l’un des plans récurrents. Enfin, entre la fin du XIX et le début du XX, Limoges a été le berceau de la création des syndicats, des premières grandes grèves, et de certaines répressions les accompagnants. Tout cela fait qu’il y a, depuis très longtemps, un antagonisme entre le pouvoir central en France, et le Limousin."

Antagonisme qui expliquerait donc en partie ce "Limoges-bashing".

La raillerie des Grandes Lettres

Mais Pascal Texier ajoute qu’il n’y a pas que l’histoire, mais aussi la littérature, et parmi ses plus grands noms, qui ont pesé sur cette tendance. 

"On pense bien sûr d’abord à l’écolier limousin, dans le Pantagruel de Rabelais, qui rend le limougeaud ridicule. On pense ensuite à Monsieur de Pourceaugnac, où Molière persiffle Limoges. Plus tard, chez Balzac, "un magistrat, un soldat, il vient de Limoges, c’est tout dire". Enfin, dans le théâtre bourgeois du XX siècle, dès qu’il y a un plouc, il vient de Limoges !"

Et de conclure : "Comme aurait pu dire Voltaire, tout cela a fait de nous comme une seconde Béotie, une terre d'inculture.Tout cela a concouru à créer sur Limoges ce qu’on appelle un biais de confirmation, c’est-à-dire cette tendance instinctive de l'esprit humain qui recherche en priorité les informations qui confirment sa manière de penser, et qui néglige tout ce qui pourrait la remettre en cause. C’est caricatural, mais c’est admis. ». 

Des exemples innombrables

Et c’est ainsi qu’il n’y eut point besoin d’attendre Philippe Caverivière pour voir Limoges moquée. 

Les exemples sont innombrables.
Sur grand écran, avec Quelques Jours avec moi de Claude Sautet en 1988.
Dans des articles satiriques du Gorafi, qui expliquait en 2015 qu’évoluant en fonction de son environnement, le pigeon limougeaud sécrétait désormais naturellement des antidépresseurs, essentiels pour pourvoir survivre dans la cité comme dans l’ensemble de la région Limousine.
Ou chez bien d’autres humoristes, sur les ondes, sur les planches ou à la télévision, eux pour qui Limoges est souvent synonyme de punition ou d’arrière-pays reculé et obscur.

Jusqu'aux Limougeauds qui se moquent d'eux-mêmes

Les Limougeauds, et Limousins, eux-mêmes, n’ont pas toujours cherché à contrecarrer cet état, en amoureux de la gnorle, ou nhòrla, ces histoires drôles emplies d’autodérision, d’Édouard Cholet à Yves Déshautard, en passant par Panazô

Enfin, comment ne pas penser à Pierre Desproges, qui, bien que parisien de naissance, était originaire de Châlus, et se revendiquait parfois comme le "seul dépositaire de l'humour limousin" ?

Un célébrissime mais souvent incompris sketch de son spectacle de 1986, sinon inaudible aujourd’hui, du moins indiffusable sans énormément de mise en contexte, se terminait par ces mots :

"Moi qui suis Limousin, j’ai complètement raté mon mariage, parce que j’ai épousé une non-Limousine. […] Nous avons notre sensibilité limousine, nous avons notre humour limousin… qui n’appartient qu’à nous. Nous partageons entre nous une certaine angoisse de la porcelaine […]. Il faut avoir souffert à Limoges pour comprendre !".

Ou alors y venir et même, pourquoi pas mieux, y rester.

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