Au Vigen, le petit hameau autour du château Ligoure est sens dessus dessous. Depuis novembre 2020, les habitants attendent vainement le règlement de la succession des terres et des bâtiments après le décès de la propriétaire. Privés d'interlocuteurs, leurs locations se dégradent et rien ne bouge.
"Ça fait une grande saignée, il n'y a plus de goudron, il n'y a plus rien. On est obligés de slalomer." Accéder à la ferme de Thibault Nouaillas, c'est un peu comme participer à Koh Lanta. Au lieu de chemin, on peut plutôt parler d'une rigole servant à l'évacuation des eaux de pluie. On sent bien qu'à un moment ça dû être une route goudronnée, mais il y a bien longtemps que ça ne l'est plus. "Personne n'entretient les fossés, donc ça empire" précise encore l'infortuné locataire.
Succession bloquée
Thibault, éleveur de brebis et de volailles, est installé depuis une dizaine d'années sur ces terres et dans ces bâtiments, locataire de Béatrice Thomas-Mouzon. Grande propriétaire terrienne, elle possédait le château de Ligoure, six exploitations agricoles et neuf maisons individuelles sur une surface totale de 240 hectares. À son décès en novembre 2020, elle a légué le tout à la commune du Vigen. Là où le bât blesse, c'est qu'une fille adoptive s'est manifestée entre-temps et qu'en tant qu'héritière et réclame, elle aussi, sa part du gâteau. Cet imbroglio n'en finit pas et exaspère les locataires.
"Ça fait trois ans et demi qu'on a l'impression d'être pris en otage par la mairie et l'héritière. Ils font traîner les choses. La succession représente six fermes, des locations et un château et ce qui intéresse la commune, c'est simplement le château. On veut du concret maintenant, plus de promesses, on veut du vrai." Thibault Nouaillas est à bout. Il voudrait savoir à quoi s'en tenir. D'après les termes du bail, le clos et le couvert sont théoriquement à la charge du propriétaire. Mais depuis trois ans, il a dû mettre la main à la poche pour en suppléer l'absence. Le remplacement de la chaudière a été effectué à sa charge. Il faudrait également remplacer le simple vitrage et les portes. Thibault se dit prêt à racheter les bâtiments, mais personne ne peut lui vendre.
Toiture qui fuit : "Il va falloir qu'on achète des parapluies"
Un peu plus loin, Philippe Bazire, locataire lui aussi, vit dans une maison dans laquelle il pleut régulièrement. La toiture aurait besoin d'être refaite. Mais il n'y a personne vers qui se retourner. "Nos interlocuteurs nous répondent depuis trois ans qu'ils ont besoin de temps. Je n'y crois plus. On ne comprend pas la raison de cette non-décision. Ça peut durer quinze ans. Il va falloir qu'on achète des parapluies."
Empêché de partir en retraite
Philippe Fischer ronge lui aussi son frein. Cet éleveur de chèvres aimerait bien partir en retraite et transmettre l'exploitation qu'il louait pareillement à Béatrice Thomas-Mouzon. Mais avec le conflit de succession, tout est bloqué. Impossible de transmettre. "Je suis en relation avec la chambre d'agriculture. D'éventuels successeurs seraient intéressés, y compris pour acheter la ferme, mais dans les conditions actuelles, on ne peut pas leur donner de délais, il n'y a rien qui bouge, il ne se passe rien". Désabusé, l'agriculteur veut jeter l'éponge. Il veut vendre son cheptel et son matériel et partir en février 2026, même si cela doit signifier la disparition d'une ferme qui approvisionnait pourtant en circuit court le marché du Vigen.
Le château navigue à vue
Le château de Ligoure abrite une association qui le loue pour recevoir des groupes "ils viennent pratiquer une activité de loisir (danse, musique, peinture, développement personnel…), de rencontre associative, de rencontre interculturelle, syndicale, universitaire…" Son responsable, Vincent Bellan navigue aussi à vue depuis trois ans.
"On est à la fois une association et une entreprise. Comme toute entreprise, c'est plus facile de s'organiser et de gérer si on connaît un peu mieux l'avenir. Là, depuis trois ans, on ne répond plus à nos questions. On ne peut ni anticiper ni s'adapter. On a des chantiers, mais plus d'interlocuteur pour les mener à bien. On est coincés".
La volonté de l'association serait que le bâtiment devienne communal conformément aux dernières volontés de la propriétaire. Le château n'appartiendrait ainsi à personne, serait la propriété de tous et l'activité d'accueil pourrait continuer. "L'ancienne propriétaire avait coconstruit une gestion originale et intéressante. Elle voulait transmettre ça à la commune. La mémoire de Béatrice est en partie bafouée", se désole Vincent Bellan.
Quelle voie de sortie ?
Contacté par téléphone, le maire du Vigen, Jean-Luc Bonnet dit comprendre l'exaspération des locataires. Il s'engage à organiser d'ici au mois de juin une grande réunion de concertation avec toutes les parties impliquées.
L'héritière, quant à elle, n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations.