Témoignage. "La France est en train de saborder ses entreprises spécialisées dans le dispositif médical par l'excès de contrôles", estime le PDG d'I.Ceram

Publié le Écrit par Nassuf Djailani

Placée en redressement judiciaire, l'entreprise I.Ceram avait rendez-vous, ce mercredi 26 juin, devant le tribunal de commerce. Une nouvelle audience doit se tenir le 24 juillet prochain. Quel sort sera réservé à l'entreprise cotée en Bourse, mais qui rencontre des difficultés ? Dans quel état d'esprit se trouve le fondateur de l'entreprise ? Il nous a accordé un entretien.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"Je n'ai pas tout bien fait, mais l'excès de normes en tous genres nous asphyxie", rage André Kérisit quand on l'interroge sur les suites du placement en redressement de son entreprise d'implants basée à Esther Limoges.

"En France, pour accéder à la mise en place sur le marché des produits, vous êtes obligés de passer par un organisme notifié par l'Union européenne. Sachant que La France n'a qu'un seul organisme notifié qui est le GEMED. Il y a un deuxième organisme, c'est l'AFNOR qui est l'organisme créateur des normes en France. Ce qui est un vrai paradoxe, car cet organisme crée et contrôle des normes. Les Allemands en ont dix, les Italiens en ont plus de dix, les Turques en ont quatre ou cinq et la France un seul organisme". Ce qui complexifie la vie des sociétés. 

Normes contraignantes 

En clair, explique l'industriel, "il y a une nouvelle directive européenne qui est devenue un règlement. Des normes qui sont adaptables en fonction de chaque pays européen. C'est un règlement qui s'impose à toutes les entreprises européennes".

La réglementation dit que, tout produit implantable à l'humain, et donc potentiellement dangereux, doit subir des contrôles plus poussés. "C'est un préalable, c'est fondamental, il s'agit du corps humain, on ne peut pas faire n'importe quoi, mais cette réglementation ajoute des contraintes sur la production des prothèses de hanches ou de chevilles par exemple. Ce process de normes coûte cher, avec des évaluations cliniques, biologiques qui sont de plus en plus contraignantes."

Une situation qui crée un goulot d'étranglement. Conséquence, aujourd'hui, il y a une augmentation des prix des rares organismes qui peuvent homologuer. 

660.000 euros : le prix de l'homologation aujourd'hui ; 50.000 euros en 2017

André Kérisit

PDG d'I.Ceram

Aujourd'hui, I.Ceram lance une gamme de prothèse de hanche, et sur son cycle d'homologation, l'entreprise doit débourser 660.000 euros. Le problème, c'est que le prix des prothèses a été baissé de 18% en 15 ans, par l'État français. Sachant qu'avant 2017, le prix de l'homologation était de 50.000 euros par an pour le même produit.

"Imaginez, pour un produit comme le sternum chargé en antibiotique, les complexités réglementaires. Surtout qu'avant de pouvoir soumettre le produit à l'homologation, il faut avoir fait les études cliniques, qui au minimum coûtent entre 100.000 et 300.000 euros en fonction du produit", relève André Kerisit. Comment font les entreprises pour mieux rémunérer les salariés dans ces conditions ? 

De l'autre côte, ajoute le chef d'entreprise, "le prix des produits baisse à cause du renchérissement des coûts de santé. Quand vous augmentez le SMIC, vous faites croire que les gens vont mieux vivre, ce qui au demeurant est défendable, sauf que cette augmentation du coût doit être répercuté sur les coûts des produits. Du coup, les prix des produits augmentent, et les budgets des hôpitaux n'augmentent pas en conséquence. Les pharmaciens se retrouvent obligés de gérer des budgets contraints. I.Ceram se retrouve coincé dans ces difficultés", détaille-t-il.

OPA américaines notamment sur les entreprises françaises

En France, il y a, à ce jour, 120 entreprises spécialisées dans le dispositif médical qui ont déposé le bilan ou ont été rachetées ou ont tout simplement cessé leurs activités. Une des très belles entreprises, l'entreprise Serf, basée à Lyon entre autres, vient d'être vendue au groupe américain Stryker Corporation. (SERF conçoit et fabrique des implants de haute qualité pour les hanches, les genoux et les pieds).

Il ne reste plus que cinq à six sociétés qui fabriquent encore des prothèses en France. I.Ceram fait partie de ces dernières entreprises. Elle conçoit, produit, emballe et commercialise ses produits. "Il y a de plus en plus d'OPA, des rachats d'entreprises françaises par les Américains, les Allemands, entre autres, ce qui veut dire qu'il y a une réelle menace sur l'industrie française", prévient André Kerisit.

Dettes et déception

Créée en 2005, l'entreprise compte vingt et un salariés. Elle est spécialisée dans les implants, notamment en céramique, des implants orthopédiques innovants en céramique d’alumine à destination du squelette humain offrant une biocompatibilité unique.

Des innovations brevetées sont implantées par des chirurgiens spécialisés, dans le cadre du traitement des infections osseuses et des métastases osseuses (crâne, rachis, hanches, thorax, chevilles, pieds, tibia). La société I.Ceram est cotée sur Euronext Growth depuis 2014.

Elle connaît des difficultés financières : elle a perdu 400 000 de chiffre d'affaires en 2023 et sa dette s'élève à 700 000 euros, plus 1 million d'euros de PGE à rembourser, d'où son placement en redressement judiciaire. 

"Tout cela est vrai", reconnaît le PDG, mais pour lui, il y a d'autres éléments à prendre en compte. "On vient de déposer un dossier de remboursement des sternums auprès du ministère de la Santé, mais ils nous redemandent des justificatifs de plus en plus contraignants et qui nous mobilisent du temps que l'on n'a pas ". 

Pour mémoire, le premier sternum a été posé en 2016, une première mondiale. "Figurez-vous qu'on n'a toujours pas été remboursé des coûts d'investissement qui sont très lourds", s'inquiète le chef d'entreprise. Des coûts qui s'élèvent, selon ce dernier, à trois millions d'euros.

L'homme dit s'être tourné vers la classe politique, sans réponse.  "On se sent un peu délaissé", confie le chef d'entreprise. "Pourtant, c'est la France qui a beaucoup poussé pour faire adopter et appliquer la réglementation européenne", note André Kerisit. "On a l'impression que la France est en train de saborder ses entreprises spécialisées dans le dispositif médical. La chirurgie française est pourtant l'une des plus reconnues dans le monde."

Responsabilité

"Il y a des chirurgiens qui nous ont commandés des sternums à implanter sur des patients qui ont des maladies extrêmement graves, et les chirurgiens sont obligés d'obtenir des dérogations auprès du ministre de la Santé pour avoir l'autorisation d'acquérir le produit, sauf que ce n'est pas le chirurgien qui demande la dérogation qui porte la responsabilité, mais la société qui fabrique le produit !", se désole le chef d'entreprise.

"Est-ce qu'on veut nous dissuader de faire de l'innovation ? J'ai l'impression que ce pays n'aime pas le risque. Cela fait trois ans que j'écris au gouvernement, mais personne ne semble être préoccupé", ajoute-t-il tout en admettant ne pas vouloir se plaindre.

Perspectives ?

Malgré le redressement judiciaire, André Kerisit ne veut pas se résigner. "On est en contact avec d'autres hôpitaux de France, comme La Pitié Salpêtrière par exemple, pour faire réaliser des essais cliniques de nos produits, car à Limoges ça devient compliqué. Je ne sais pas ce qui se passe au CHU de Limoges", s'inquiète le chef d'entreprise.

Après près de deux heures d'audience au tribunal de commerce ce 26 juin, l'affaire a été renvoyée au 24 juillet prochain. Le PDG de la société dit avoir eu "le sentiment d'avoir été écouté". Il annonce que l'entreprise "va pouvoir garantir et payer les salaires ce mois-ci et pour les mois à venir".  Il compte beaucoup sur le versement du crédit impôt recherche "qui doit tomber rapidement". Il admet néanmoins rentrer dans une période compliquée, la période estivale au cours de laquelle les affaires tournent au ralenti.

D'ores et déjà, le PDG d'I.Ceram annonce chercher activement des partenaires et de nouveaux investisseurs qui veulent rentrer au capital "parce que je crois en la viabilité de l'entreprise", répète André Kerisit.

L'Assemblée générale de l'entreprise, devant statuer sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2023 d'I.Ceram, doit se tenir d'ici au 30 septembre.

Qu’avez-vous pensé de ce témoignage ?
Cela pourrait vous intéresser :
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information