Un nouveau livre sur « l’affaire Barataud », star des affaires criminelles de Limoges du XXe siècle

C’est l’une des plus grandes affaires criminelles limougeaudes du XXe siècle, qui ne cesse depuis de défrayer la chronique : l’affaire Barataud. Vincent Brousse et Philippe Grancoing, qui l’avaient déjà évoqué dans un précédent ouvrage, consacrent un livre entier à cette incroyable histoire, qui vient de paraître chez Geste Éditions, avec Thierry Moreau : «L’affaire Barataud, une enquête dans le Limoges des années vingt ».

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Quand l’histoire est, malgré les drames, presque trop belle pour être vraie…

Un cocktail même, aux ingrédients hallucinants :
Prenez, comme contenant, un Limoges de la fin des années folles, estampillé 1928.
Versez un dandy décadent. Ajoutez son jeune amant.
Mélangez avec deux crimes, dont l’un toujours mystérieux.
Un trait de scandale, un zeste de parisianisme, une grosse dose de justice, une ombre de peine de mort.
Secouez au shaker des luttes et tensions sociales.
Terminez avec un piment (du bagne) de Cayenne.
Servez, et appelez le… l’Affaire Barataud !  

Le « contenant »

Limoges des années 20. D’un côté, une ville aux fortunes porcelainières et à la bourgeoisie « discrète », dans son « entre-soi », qui ne s’affiche guère, d’un conservatisme de bon aloi.

De l’autre, un fort prolétariat ouvrier, marqué entre PC et SFIO à gauche, et toujours traumatisé par la Grande Guerre.
« La ville ouest, celle de la bourgeoisie aisée, contre le reste de la ville qui est ouvrier, modeste, qui trime 55 heures par semaine, qui se choisit des leaders politiques marqués très à gauche et qui a un jeune prolétariat disponible pour pratiquer l’émeute ». Vincent Brousse

Le dandy

Charles Barataud, 33 ans, le « beau Charley » de son surnom, est fils d'un industriel dans la porcelaine, bien connu.
Officier de réserve, décoré de la Grande Guerre, sportif accompli sur les terrains de foot, de rubgy et de tennis, dandy donc, au luxe ostentatoire dans son milieu traditionnellement si discret, aux mœurs supposées dissolues, puisqu’il s’adonnerait aux stupéfiants et serait, sinon inverti comme on disait alors, du moins « à voile et à vapeur », et pire, pédéraste.  

Le jeune amant

Bertrand Peynet, de quinze ans son cadet, mineur donc à l’époque, fils d’un teinturier aisé.
Il participerait, avec Barataud, à quelques « parties fines », dans une villa du sud de la ville.
Mais il semble s’être emmêlé dans ce qui apparait être un projet d'escroquerie avec des marchands de bois, où Barataud aurait rendu service jusqu’à ce qu’il se sente trahi.

Les crimes

  • Le premier, celui qui reste mystérieux.

Le jeudi 12 janvier 1928 disparaît un chauffeur de taxi de Limoges, Etienne Faure.
Cinq jours après, la police arrête Charles Barataud, qu’un témoin dit avoir vu dans la voiture-taxi de Faure, une Chenard & Walker de chez Panhard.
En garde à vue au commissariat municipal de Limoges, Barataud craque et passe aux aveux.
Problème, tout ce qu’il reconnaît ne cadre pas avec les éléments de l’enquête.
Par la suite, il niera toujours sa responsabilité dans ce crime.  

  • Le deuxième, le meurtre de l’amant !

Le commissaire de police autorise Barataud à passer prendre quelques affaires chez lui et embrasser son père avant d’être déferré.
Les inspecteurs qui l’accompagnent restent à la porte. Une demi-heure, un coup de feu retentit, venant du premier étage.
Les policiers y trouvent Bertrand Peynet, tué un coup de Winchester, et Barataud, qui tente de suicider avec la même arme.
Il aurait dit : «Nous avions décidé de mourir ensemble, je devais le tuer puis me suicider, je n'ai pas eu le temps, je n'ai pas eu le courage ».  

Le scandale 

La « latitude » laissée à Barataud avant son incarcération passe déjà mal dans l’opinion publique.
On parle, notamment Le Travailleur du Centre et le Populaire, presses de gauche, de «cette partie pourrie de la société bourgeoise, parmi les fils à papa, les viveurs, les jouisseurs, les catins de la haute » !  

Le zeste de parisianisme

Une bonne partie de la presse de la capitale « s’entiche » de l’affaire, et « descend » la couvrir à Limoges, relatant la moindre audience, le moindre commentaire.
De plus, l’un des avocats de Barataud est un ténor du barreau de Paris, Pierre Masse.
Il est pourtant peu familier des Assises, mais M. Allégret, l’autre avocat de l’accusé, avait été particulièrement impressionné dans une affaire où il avait eu son confrère comme adversaire !

La justice

Le procès, qui s’ouvre le 29 mai 1929 fait donc grand bruit.
La presse est là, tout comme la foule qui se masse souvent devant le tribunal, à la salle prise d’assaut, où, on l’a dit, Barataud ne reconnaît plus qu’un seul crime.

Chaque partie des « baveux » étant marquée politiquement, la scission se crée, au-delà des crimes, entre les « classes sociales ».
Au final, l’Avocat général réclame la peine de mort, les défenseurs, sinon les bénéfices du doute, du moins les circonstances atténuantes.

Le shaker

Stupeur, bien que reconnu coupable, Barataud sauve sa tête !

Il est condamné au bagne, aux travaux forcés, à perpétuité.
Alors que le maire, Léon Betoulle, s’est déplacé sur place pour appeler au calme, poussée par des militants communistes, la foule récrimine.
Des barricades sont levées, certains veulent prendre d’assaut la prison.
Les gardes mobiles à cheval, bientôt renforcées par des soldats du 20e Dragon et une compagnie de fantassins, interviennent avec vigueur : il y a soixante-douze arrestations !

« Ce qui se passe en juin 1929 est peut-être la dernière réplique de 1905, de cet affrontement ouvrier dans la ville de Limoges sous une forme aussi violente, qui impressionne même les journaux parisiens ». Vincent Brousse

Le piment : Cayenne

Barataud est donc envoyé au bagne.

Entre surveillance renforcée et/ou « avantage », il n’est pas dans la jungle mais sur l’île Royale, plus dure mais aussi plus saine.
Car si les conditions y sont effroyables, surtout pour un « dandy inverti », il semble, notamment à la lecture de l’ouvrage de Brousse et de Grancoing, que Barataud, plus que jamais là-bas, a montré un double-visage, un côté Janus manipulateur, qu’aura même noté Henry Charrière, le célèbre Papillon, dans son ouvrage éponyme.
Exemple : Barataud aurait été l’un, sinon le seul détenu, à pouvoir avoir des cheveux longs, pour « raisons médicales » !

Cayenne sera toutefois le tombeau de Barataud.
Le bagne est fermé en 1945, et Barataud libéré, puis gracié en 1948.
Il décide toutefois de rester sur place, sa famille l’ayant renié et, dit-on, pouvant vivre son homosexualité plus facilement qu’en en métropole.
Il vit de petits travaux et de la charité d’anciens compagnons de détention, et meurt, de la tuberculose, dans la rue, clochard, près d’un dancing, au printemps 1961, à l’âge de 66 ans.

Dès le début, l’affaire Barataud a donc fasciné, et plus encore fait parler !  

Il y a déjà ce mystère autour du meurtre du taxi.
Lors de sa garde-à-vue, Charles Barataud avoue le meurtre, d’un coup de revolver, parce que, dit-il, Étienne Faure ne roule pas assez vite.
« Or l’enquête va montrer que Faure est mort de coups portés à la tête, absolument pas d’arme à feu » Philippe Grancoing  

Il dit aussi que le corps se trouve dans une carrière abandonnée appartenant à sa famille, du côté de Razé, le long de la Nationale 20.

« Ce qui est faux aussi, puisque le corps sera retrouvé au pont de la Varrogne [NDLR : sur la 147], caché sous un fagot, au bord de la rivière ». Philippe Grancoing  

On a donc pensé que pour ce meurtre, Barataud « couvrait » quelqu’un.
La première idée est celle de son amant, Bertrand Peynet.
Possible, mais à Cayenne, Barataud aurait évoqué, auprès de co-détenus, «une femme qu’il protégeait au prix de sa liberté».

Mais les carnets intimes de Barataud ont disparu.
On a longtemps pensé que l’un de ses avocats, M Allégret, en possédait une version, ou qu’il aurait consigné la « vérité », dans le secret de son cabinet…
Mais il a tout détruit avant de mourir.  

Au-delà de tout ce que la presse a pu écrire au moment des faits et du procès, on trouve donc des traces de Barataud dans «Les hommes punis», du journaliste de « Détective » Marius Larique, dans les années 30, dans « Papillon » donc, paru en 1969, dans de nombreux autres ouvrages, dont le dernier en date, et même à la télévision, dans la célèbre « docu-fiction » En votre âme et conscience, de Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et Claude Barma, qui sera diffusée par la RTF le 23 octobre 1959 !  

Ce film sera d’ailleurs projeté par la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine, ce 4 juin, en présence de Vincent Brousse et de Philippe Grancoing, à l’auditorium Clancier de la BFM de Limoges.  

« L’affaire Barataud, une enquête dans le Limoges des années vingt », par Vincent Brousse, Philippe Grandcoing et Thierry Moreau, Geste éditions. Reportage Isabelle Rio Carole Maillard Xavier Beaudlet

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