La cour d'assises de la Haute-Vienne examinait vendredi 26 mars 2021 le recours d'une jeune femme, victime dans un procès. En septembre 2020, son compagnon avait été condamné pour violences aggravées, mais acquitté pour viol. Elle soutient ne pas avoir été prévenue de la tenue de ce procès.
Les faits remontent au 25 septembre 2020. Un homme est jugé devant la cour d'assises de la Haute-Vienne pour des faits de violences aggravées et de viol sur son ex-compagne. Il sera condamné à 8 ans de prison ferme pour le premier chef d'accusation, acquitté pour le viol dont l'accuse la victime.
L'affaire aurait pu être close ici, au détail près que la victime n'était pas présente au procès. Cette dernière justifie son absence par le fait de ne pas avoir reçu de convocation et dénonce un "vide juridique".
Vendredi 26 mars 2021, la cour d'Assises de la Haute-Vienne examinait le recours de la jeune femme. L'affaire a été mise en délibéré au 24 juin 2021.
Une convocation envoyée à la mauvaise adresse
Le législateur n'a pas prévu ce recours. Pour autant, Me Pauline Rongier, avocate parisienne de la victime, a demandé à la Cour d'Assises de la Haute-Vienne d'examiner une opposition qu'elle forme contre le verdict prononcé le 25 septembre 2020. A ses yeux en effet, les droits de sa cliente ont été "bafoués" ne lui permettant pas de se faire entendre lors du procès d'assises de son agresseur, en septembre dernier, elle qui "pourtant avait été présente tout le long de l'instruction et avait répondu à toutes les convocations".
En cause, l'envoi de la convocation à une mauvaise adresse, celle de l'ancien domicile de la victime, qu'elle aurait quitté dès 2017, précise l'avocate, "elle avait élu domicile au cabinet de son ancien avocat, elle ne voulait pas donner son adresse personnelle, car elle avait peur".
Une adresse erronée, l'absence d'avocat au moment du procès de septembre et l'enquête des magistrats restée infructueuse...
Pour la défense, le recours exercé par la victime n'est pas justifié : "Ce qui est inadmissible, à mon sens, c'est de remettre en cause une décision de justice qui a été rendue dans la plus parfaite des règles de la procédure pénale. Ce qui n'est pas admissible non plus, c'est de déplacer le débat judiciaire dans la rue, de se permettre de plaider le dossier seule, face à des gens qui n'ont pas le dossier" explique Me Julia Benaïm, avocate de la défense. Samedi 14 mars, une association avait manifesté Place d'Aisne à Limoges ainsi qu'à Paris, en soutien à la victime.
Me Frédéric Olivé, avocat de la défense, rappelle également la restitution, pendant les débats devant la Cour d'Assises, de la parole de la victime recueillie pendant l'instruction, malgré son absence le jour du procès : d'une part, par la lecture intégrale de ses déclaration par la Présidente, de l'autre, par la présence de sa famille, ce jour-là : "rien n'a été décidé dans l'ombre et les jurés ont entendu tout ça pendant ces trois jours d'audience et la décision qu'ils ont rendue au nom du peuple français dont on se moque un peu aujourd'hui a été rendue en leur âme et conscience".
Enfin, Bruno Robinet, avocat général du procès d'assises de septembre 2020, rappelle l'enquête menée pour que puisse lui être remise sa convocation au procès de septembre, sur renvoi de celui de mars pour cause de covid. Il rappelle que l'Avocate qui était intervenue pendant l'instruction avait fait savoir qu'elle n'intervenait plus au soutien des intérêts de Khadija D. pour le procès initialement fixé au mois de mars. Il précise également que la victime est finalement entrée en contact avec le greffe de la Cour alors que les débats du procès de septembre étaient en cours, ajoutant qu'annonçant sa venue, il avait été demandé à des policiers de l'attendre à la gare pour faciliter son arrivée au plus tôt. En vain, puisqu'elle ne s'est finalement jamais présentée.
L'avocate de la partie civile le martelle à plusieurs reprises, "on ne peut pas considérer une seule seconde que ma cliente ait été citée à comparaître à cette audience".
La vérité est donc entre les mains de la cour d'Assises. Délibéré au 24 juin prochain.
La voie de l'opposition pour "l'intêret général"
L'avocate de la défense soulève une question prioritaire de constitutionnalité. Elle demande en effet à saisir le Conseil constitutionnel pour qu'il reconnaisse le droit à toute victime non présente à un procès d'assises d'exercer une voie de recours. En l'état actuel du droit, seul l'appel est en effet prévu par la loi. Un appel peut être interjeté par l'accusé pour voir diminuer la sanction pénale prononcée à son encontre, par le Parquet général pour voir augmenter la peine prononcée si elle lui semble inappropriée, et par la partie civile si elle n'est pas satisfaite des indemnités qui lui ont été accordées en réparation du préjudice subi, donc sur les seules dispositions civiles.
La question prioritaire de constitutionnalité peut être posée au cours de toute instance devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, quelle que soit la nature du litige (civile, pénale, commerciale, sociale, administrative, fiscale, etc.). La question peut être posée, en première instance, en appel ou en cassation. Une exception cependant : une QPC ne peut pas être posée devant une cour d’assises. En matière criminelle, la question de constitutionnalité peut être posée soit avant le procès devant le juge d’instruction, soit après le procès, en appel ou en cassation.
Cette demande formulée devant la Cour d'Assises de la Haute-Vienne ce vendredi 25 mars n'a donc pas de cadre juridique. C'est à titre exceptionnel qu'elle s'est tenue, et c'est une première. Elle a permis d'entendre Me Pauline Rongier soulever cette question prioritaire de constitutionnalité sur cette absence de recours. Le Parquet Général et les avocats de l'accusé ont soulevé quant à eux l'absence de cadre légal.
La Cour rendra sa décision le 24 juin prochain. Me Pauline Rongier espère beaucoup de cette question prioritaire de constitutionnalité "nous espérons qu'elle sera transmise, dans la mesure où l'affaire fait son chemin devant la Cour de cassation, sur la voie de l'appel" confie Me Pauline Rongier, avocate de la partie civile, qui attend également une reconnaissance de "l'erreur faite" dans ce dossier, de la part des juges de la cour d'assises de la Haute-Vienne.
Rappel des faits
Le 26 avril 2017, une jeune femme se présente au commissariat de Police de Limoges et porte plainte contre son ex-concubin pour des actes de violences et de torture. Elle l'accuse également de l'avoir violée, le jour de sa sortie de l'établissement pénitentiaire. Des accusations lourdes justifiées par plusieurs éléments : un extrait de vidéosurveillance sur laquelle un homme frappe une femme devant le commissariat de police et un dossier médical relevant de nombreuses marques de coups sur le corps de la jeune femme.
Trois ans plus tard, le 23 septembre 2020, l'ex-compagnon de la jeune femme est jugé aux assises de la Haute-Vienne. Le 25 septembre 2020, il est condamné à 8 ans de réclusion criminelle pour violences aggravées mais acquitté pour le viol, dont elle l'accuse.