Cette peintre native de Bessines-sur-Gartempe, en Haute-Vienne, fait l'objet d'une grande rétrospective à Metz au centre Pompidou : "un monde à soi", la première en France depuis 60 ans.
L’atelier de Suzanne Valadon semble figé dans le temps. Le chevalet, les toiles, le canapé, et même une odeur de térébenthine, comme si l’artiste venait à l’instant de poser ses pinceaux.
Aujourd’hui, tel un sanctuaire, l’atelier de la peintre se visite au musée de Montmartre.
« On a l’impression qu’elle vient de quitter la pièce, c’est une réalité, Suzanne Valadon incarne les lieux, le musée, son histoire. Elle a vécu là de 1912 à 1926, et c’est vraiment l’âme du musée. Elle a été très imprégnée par la nature, les lieux, ça se voit dans ses œuvres, elle l’a dit, elle l’a écrit, c’est dans ce lieu de l’atelier - appartement de Suzanne Valadon - qu’elle a peint, beaucoup", explique Fanny de Lépinau, directrice du musée de Montmartre.
L'enfant du Limousin, l'enfant de Montmartre
Au fil des années, depuis cet atelier, Suzanne Valadon devient une peintre majeure et reconnue. Rien pourtant ne laissait présager d’une telle destinée. En 1865, dans cet hôtel de Bessines, Suzanne Valadon naît Marie Clémentine, de père inconnu. Sa mère y travaille comme lingère, veuve d’un bagnard mort sept auparavant, à Cayenne. Marie Clémentine a cinq ans quand sa mère, Madeleine, fuit le Limousin.
"C’était l’opprobre, les gens n’étaient pas tendres, vous vous rendez compte, c’était surtout rural ici, explique Marie-Laure Conchon, présidente de l'association "Bessines Inspiration Valadon". Avoir un bagnard sur sa commune, c’était très mal perçu, elle a souffert et puis après... quand on a un enfant sans être marié à l’époque, c’était assez redoutable, le regard des gens n’était pas tendre, ça a été pour elle une fuite oui."
Modèle de Toulouse-Lautrec et Renoir
Marie Clémentine devient une enfant de Montmartre, de la bohème. Dès 15 ans, elle commence une carrière de modèle. Pour les plus grands, Toulouse-Lautrec, Puvis de Chavannes, Renoir. Mais depuis toujours, elle dessine.
Elle a 29 ans quand Degas découvre ses croquis. Le maître s’exclame "vous êtes des nôtres".
Comme un adoubement.
Sa vie d’artiste est lancée, elle s’appelle désormais Suzanne Valadon. Autodidacte, sa peinture est avant-gardiste, sans concession /son style singulier. Ainsi décrit Saskia Ooms, responsable de la conservation au musée de Montmartre : "C’est la force de la couleur, aussi les contours noirs, c’est très important pour elle, et aussi la façon de présenter le nu, sans aucune convention, sans vouloir rentrer dans une complaisance, elle dit aussi : "ne m’amenez pas une femme qui veut être jolie", ce qui l’intéresse, c'est de montrer la réalité pour atteindre l’âme."
Dans sa peinture comme dans sa vie, Suzanne Valadon est une femme libre et audacieuse. En seconde noce, elle épouse André Utter, de 20 ans son cadet. Elle le peint en lanceur de filets. Elle est ainsi la première femme à avoir représenté la nudité d’un homme.
L'exposition s'appelle "un monde à soi" et dure jusqu'au 11 septembre 2023 à Metz, au centre Pompidou puis elle sera montrée à Nantes et Barcelone.