Ce mercredi 25 septembre, l'Agence Régionale de Santé de Nouvelle-Aquitaine (ARS) a présenté un plan d'attractivité pour tenter de combler le déficit de médecins dans la région. Aujourd’hui, 160 000 Haut-Viennois vivent dans un désert médical. Parmi les professions en manque de praticiens, les dentistes se placent dans le haut du panier. La Haute-Vienne, la Creuse et la Corrèze font partie des cinq départements les moins dotés en chirurgiens-dentistes dans toute la Nouvelle-Aquitaine.
Jour de fête à Évaux-les-Bains, en Creuse. Ce jeudi 26 septembre, la mairie célèbre un événement très particulier, et surtout, rarissime. Un nouveau dentiste va s'installer dans cette commune de 1 300 habitants. Avec lui, son assistante et épouse, ainsi que ses deux enfants. “Un immense soulagement”, selon le maire de la commune, Bruno Papineau. Le pot d’arrivée prévu pour l’occasion a beau surprendre, mais il s’agit bien d’un petit tremblement de terre pour Évaux-les-Bains. “Nous en étions arrivés au stade où nous avions engagé un cabinet de chasseurs de têtes pour recruter des dentistes”, explique Bruno Papineau. En 2017, la ville a inauguré une maison de santé qui n’a cessé de s'étoffer, sans jamais accueillir de dentiste. “Nous avions eu des pistes d’un dentiste venu de Roumanie, mais rien de concret”, explique le maire.
Des arrivées, mais plus de départs
Dans les minutes qui ont suivi, jusqu’à encore aujourd’hui, nous recevons des appels à la mairie pour des prises de rendez-vous
Bruno PapineauMaire d'Evaux-les-Bains
Deux ans plus tôt, la commune d’Evaux-les-Bains avait posté une offre d’emploi, “que l’on avait nous-même oublié depuis” explique le maire. Il y a deux semaines, la ville reçoit un appel d’un dentiste étranger qui a exercé au Portugal, puis en France, disposé à venir s’installer en Creuse en tant que praticien libéral. “Un article est paru assez rapidement dans la presse pour annoncer la nouvelle, et dans les minutes qui ont suivi, jusqu’à encore aujourd’hui, nous recevons des appels à la mairie pour des prises de rendez-vous”, explique Bruno Papineau. Selon lui, le cabinet devrait pouvoir accueillir ses premiers patients la semaine prochaine. Une aide bienvenue pour la ville, qui ne dispose d’aucun chirurgien-dentiste à 25 kilomètres à la ronde.
362 dentistes en Limousin
En Nouvelle-Aquitaine, on compte 4081 chirurgiens-dentistes en 2024 selon les données de l’ordre national des chirurgiens-dentistes.
→ Haute-Vienne : 189 chirurgiens-dentistes
→ Corrèze : 134 chirurgiens-dentistes
→ Creuse : 39 chirurgiens-dentistes
Les disparités entre les départements s’expliquent par un manque d’attractivité général du Limousin. “On est dans une région où toutes les communes sont en zone sous-dotée, sauf Limoges et Saint Yrieix qui sont en zone intermédiaire”, explique Sébastien Dapy, secrétaire général du conseil de l'ordre des dentistes de la Haute-Vienne. Mais les écarts sont encore plus flagrants avec les grands centres urbains. “Il y a une hyperconcentration des dentistes dans les très grandes villes comme Bordeaux, puis plus rien”, déplore-t-il. En conséquence, les inégalités entre départements se creusent avec le temps, et les arrivées ne compensent plus les départs. C’est notamment le cas en Creuse. “Cette année, il y aura sept départs de dentistes pour trois arrivées”, constate Pierre Adant, président du conseil de l’ordre des dentistes de Creuse. “Cette nouvelle arrivée à Évaux-les-Bains est une bonne nouvelle, mais le praticien va très vite être débordé par les demandes”, poursuit-il.
“Certains patients font une heure de route pour me voir”
En France, la moyenne nationale est de 64 dentistes pour 100 000 habitants. En Creuse, il y a 28 dentistes pour 100 000 habitants et 50 dentistes pour 100 000 habitants en Haute-Vienne. “La situation est catastrophique, il ne faut pas se leurrer”, constate le président du conseil de l’ordre des dentistes de Creuse, département le plus touché par le manque de dentistes en Nouvelle-Aquitaine. “D'ici la fin de l’année, le plus gros cabinet dentiste de Guéret va fermer ses portes et il n’y aura pas de repreneur. Ce qui m’inquiète, c'est la fermeture de nombreux cabinets qui ne rouvriront pas. C’est beaucoup plus facile d’accueillir un professionnel dans une structure existante”, explique-t-il.
La qualité d’offre de service dentaire en Creuse est catastrophique, on refuse dix patients par jour
Pierre AdantPrésident du conseil de l’ordre des dentistes de Creuse
Les médecins se font de plus en plus rares, mais la patientèle, elle, ne faiblit pas. En Limousin, les délais pour obtenir un rendez-vous sont de plus en plus longs. “La qualité d’offre service dentaire en Creuse est catastrophique, on refuse 10 patients par jour” indique Pierre Adant. “Aujourd’hui, en Creuse, il n’y a plus aucun dentiste qui prend de nouveaux patients. Pour avoir un rendez-vous dans mon cabinet, vous avez quatre mois de délai, alors qu’il y a quelques années ce délai était de trois semaines”, explique le praticien.
Même constat chez Sébastien Dapy, secrétaire général conseil de l'ordre des dentistes de Haute-Vienne, lui aussi praticien. D'ici le 31 décembre, il y aura huit dentistes de moins dans le département. Un manque qui pousse les patients à faire de plus en plus de kilomètres pour un accès aux soins. “Cela pose surtout problème pour des patients qui se retrouvent sans praticien et qui parfois abandonnent le soin, ce qui conduit à avoir des pathologies qui s’alourdissent, ou à consulter en urgence”, détaille-t-il. “Il n’est pas rare que des gens doivent faire 1h30 de route pour venir me voir. Une dame un jour a appelé 45 collègues, mais en vain”, conclut le dentiste.
Un problème multifactoriel
Pour lutter contre les déserts médicaux en Nouvelle-Aquitaine et plus particulièrement en Haute-Vienne, l’ARS a présenté ce mercredi 25 septembre un plan d'attractivité médical pour attirer des médecins. Deux axes sont prioritaires : œuvrer en faveur des étudiants en médecine de la faculté de Limoges, et faciliter l'installation des praticiens dans le département alors que 160 000 Haut-Viennois vivent dans un désert médical.
Une bonne action selon les chirurgiens-dentistes concernés, mais qui ne règle pas le problème de fond. “La problématique générale est liée à l’attractivité du département. Nous sommes un département sans faculté dentaire. Poitiers a été privilégié pour l’ouverture d’une nouvelle faculté et les voies de circulation sont de plus en plus bouchées pour venir dans le département”, explique Sébastien Dapy, secrétaire général conseil de l'ordre des dentistes de Haute-Vienne. Des efforts sont réalisés pour tenter de relancer cette attractivité en berne. Cette année, six externes en médecine dentaire effectuent leur stage de sixième année au CHU de Limoges. L’objectif est de leur faire connaître la région et de les inciter à y rester. “On ne peut pas obliger des gens à s’installer à des endroits où il n’y a plus aucun service, où l’Etat a déserté” clame Sébastien Dapy “Les communes ont beaucoup fait appel à des chasseurs de professionnel de santé, mais cela coûte cher et les praticiens partent souvent au bout de quelques années, car ils n’ont pas d’attache avec le territoire”.
Autre problème auquel les dentistes font face : le besoin de matériel. “Assurer la formation d’un chirurgien-dentiste nécessite du matériel. Ce n’est pas tant un problème de manque de dentistes en formation car il faut pouvoir répondre à leurs besoins en termes de matériel et d’infrastructures”, précise Pierre Adant, président du conseil de l’ordre des dentistes de Creuse.
Des solutions d’urgence pour trouver un rendez-vous
Alors que les départs à la retraite se multiplient et que l’inquiétude des praticiens se fait sentir, une solution d’urgence pour trouver un rendez-vous est pilotée par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de la Haute-Vienne, de la Creuse et de la Corrèze. La Mission Accompagnement Santé a été mise en place à l'échelle nationale pour détecter les assurés en écart de soin. “Cette mission est ouverte et libre, beaucoup de personnes sont éligibles au dispositif” explique Anthony Ponticaud, directeur adjoint de la CPAM de la Haute-Vienne. “On est en relation étroite avec le conseil de l'ordre des dentistes, on essaye de trouver des actions pour rendre le territoire plus attractif”, précise-t-il. En 2023, 1411 assurés ont été orientés vers la Mission Acompagnement Santé de la CPAM de la Haute-Vienne. Une augmentation de 33% des demandes d'accompagnement par rapport à 2022 pour l'accès à un dentiste et/ou un médecin traitant.