Lancé sur internet il y a un an au début du premier confinement, le projet de comptines pour enfants initié par François Gibert, journaliste, et Christophe Rio, ingénieur du son, a séduit le chinois VTech, géant mondial du jeux interactif.
Celle-là, elle n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. C'est l'histoire d'un vieux confrère (ou d'un jeune retraité, c'est vous qui voyez) qui, en mars 2020, avec un autre collègue d'un certain âge (ou d'un âge certain), décide d'en raconter, des histoires, à tous les enfants qui se retrouvent, du jour au lendemain, confinés à la maison à cause d'un méchant virus. La petite, histoire, retiendra que le dit virus est d'abord apparu en Chine. Mais ça, c'est pour plus tard dans l'histoire.
"C'est quand même une rencontre improbable."
François était donc journaliste et Christophe est encore Chef Opérateur de Prise de son (OPS). Tous deux ont oeuvré, souvent en commun, durant de longues années pour le service public et sa télévision régionale en couleur avec des images qui bougent, bref, France 3, nous quoi. Des "Histoires pour les oreilles", c'est une idée de Christophe le Rochelais, bidouilleur de voix et de musique. Très vite, les comptines enregistrées par nos deux compères et illustrées par Clémentine, une jeune graphiste, trouvent leur public sur les plateformes numériques. "On cumule plus de 100.000 écoutes", nous explique Christophe, "avec bien sûr des pics les mercredis et les week-ends". Tant et si bien qu'un beau jour, François le Poitevin reçoit un surprenant e-mail. "Nous avons découvert vos histoires contées pour les enfants et avons été séduit par leur qualité, tant pour la voix, que pour les fonds sonores et les illustrations", signé VTech.
VTech ? Kesako, moteur de recherche, wikipedia : "VTech est une société multinationale de produits électroniques basée à Hong Kong. Elle fait partie des plus grands fabricants mondiaux de jouets éducatifs électroniques". "Des plus grands fabricants mondiaux" ! Dans son mini studio aménagé dans la buanderie de sa maison de Poitiers, François reste, au début, aussi perplexe qu'Agate, sa chatte angora qui, blottie sur le dressing, ne comprend toujours pas pourquoi son maître raconte des histoires à son ordinateur depuis un an. Ni une ni deux, notre journaliste prend pourtant son téléphone avec un fil et appelle donc à Paris la responsable du département européen de recherche de VTech.
Ça nous a fait marrer. C’est quand même une rencontre totalement improbable entre un géant de Hong-Kong qui pèse des milliards de dollars et notre petite entreprise de pré retraités ! C’est gratifiant de savoir qu’ils sont venus nous chercher pour la qualité de ce qu’on le fait. Ça veut dire qu’on ne s’était pas trompé dans ce qu’on avait envie de faire.
"D'habitude, on crée nos propres histoires."
Pour écouter les nouvelles créations HPO ("Histoires pour les oreilles", c'est trop long et maintenant ils se la pètent un peu forcément), il vous faudra donc acheter les conteurs d'histoires interactifs Storikid ou Storikid Pocket de la société hongkongaise. Autant dire que cela va lui faire sûrement tout bizarre à François d'entendre sa voix sortir de cette bestiole en plastique les premières fois. Nos deux compères vont rejoindre les quelques 2.000 contenus (vidéos, jeux, applications) disponibles sur le "store" VTech. "D’habitude, on crée nos propres histoires, on les adapte, on les enregistre dans nos studios", nous explique Marianne Motte-Danilovic, cheffe de projet, "c’est un gros travail et on voulait agrandir notre offre sans passer autant de temps de production". Une petite recherche sur internet et, magie de l'ordinateur, allo Poitiers ? ici la Chine...
C’était vraiment une recherche faite au hasard et on est tombé très vite sur Histoire pour les oreilles. Le courant est très bien passé. Ils étaient surpris et contents. On voulait vraiment qu’il y ait des bruitages, un fond sonore, que ce ne soit pas juste de la narration et qu’il y ait de l’émotion dans les histoires et c’est vraiment ce qu’ils proposaient. Ça tombait vraiment bien avec ce qu’on cherchait. On est quand même une marque connue et réputée par la qualité de nos jouets et notamment du son qui sort de nos jouets. On voulait quelque chose de bien. Pour le Storikid, on propose un pack de téléchargement gratuit. Ils nous ont donc fourni des histoires qui étaient déjà disponibles sur leur réseau. Et pour la création de nouvelles histoires, on échange régulièrement notamment sur le choix des thématiques. On a nos habitudes et il faut par exemple que le niveau sonore soit identique à celui que les consommateurs peuvent généralement télécharger. Et dans la création, on s’adresse à des enfants assez jeunes, de 3 à 8 ans, donc il ne faut pas qu’il y ait trop de violences ou d’histoires qui font trop peur, donc on a retravaillé quelques histoires pour qu’elles soient agréables à l’oreille. On a quelques petites exigences, mais, de toute façon, ils n’étaient pas hors sujet d’emblée.
"C'est de l'artisanat qui débarque à Hong-Kong."
"On travaille maintenant en exclusivité pour eux", se réjouit François, "c’est un partenariat de deux ans à hauteur de 16 histoires en quatre packs pour 2021, "histoires d’animaux", "la rentrée des classes", "les quatre saisons" et "Histoires pour frissonner" au moment d’Halloween. Ce qu’on a exigé, c’est qu'elles soient identifiées "histoires pour les oreilles". Chaque conte qu’on leur fait commence par le même jingle et, sur leur plateforme de téléchargement, on garde les illustrations de Clémentine". Bref, HPO, c'est une petite entreprise qui ne connait pas la crise.
C’est quand même du boulot et, maintenant, il y a un peu une pression. Mais, ce qui est bien, c’est qu’il y a un échange. Il y a un comité de relecture, un travail de réflexion comme entre un réalisateur et un monteur où chacun argumente. Il faut que le résultat soit satisfaisant pour tout le monde. Les personnes à qui on a à faire sont des professionnels qui savent parfaitement ce qu’il faut pour des jouets pour enfants. Mais il n’est pas question que l’on devienne une entreprise de vingt personnes avec des traducteurs, des voix, des machins. On reste comme on est et on s’échange nos fichiers par mail. C’est de l’artisanat qui débarque à Hong-Kong.
Et la morale de cette histoire, nous direz-vous ? Et bien, comme disait un autre conteur d'un certain âge, Pierre Corneille, "aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années". Mais ça peut aider...