Après des mois de lutte pour faire entendre leurs droits, une cinquantaine de mineurs non accompagnés (MNA) qui vivaient sous des tentes dans un camp de fortune installé quartier Bois Blancs à Lille ont obtenu des places dans des foyers. Un grand soulagement pour eux, mais aussi pour les habitants qui les soutenaient, organisés en un collectif solidaire.
Hamidou, Sekou, Thierno, Kalil et une cinquantaine de migrants mineurs qui vivaient à la rue dans un quartier de Lille ont enfin obtenu ce mercredi 20 novembre 2024, après des mois de lutte, des places dans des foyers du Nord.
"C'est la première nuit que je dors d'une traite depuis très longtemps." Émilie Bouvier est soulagée. Elle est l'une des premières habitantes de Bois Blancs à s'être souciée du sort des quelque 70 migrants mineurs débarqués là au printemps 2024. Hébergés dans des paroisses le temps de l'hiver et à nouveau à la rue, ils avaient installé leurs tentes dans ce quartier lillois, aidés par l'association Utopia 56.
"L'idée, c'était qu'ils restent ensemble. À l'époque, Utopia avait fait le tour de tous les parcs de la Ville pour trouver un endroit à peu près correct. Quand ils ont repéré la plaine des Vachers, ils ont organisé une réunion d'information avec les habitants et tout de suite, je n'ai pas pu faire autrement que de m'impliquer."
L'été dernier, elle a spontanément prêté son logement à quatre mineurs, et en héberge encore régulièrement un. Sans compter les organisations par les riverains de douches, petit-déjeuners, repas... "Ces jeunes nous expriment tellement leur gratitude. On s'est très fortement attachés à eux. Même si certains ont des problèmes de santé, physique et mentale, ils sont pleins d'énergie et il y a beaucoup de joie dans la rencontre."
Dans le Nord, entre 12 et 30% sont reconnus mineurs d'emblée. Les 70 autres pourcents sont mis à la rue.
Émilie BouvierCollectif des habitant.es solidaires et indigné.es de Bois Blancs
"C'est terrible ce qu'il se passe, déplore Émilie. Tous ceux qui étaient dans le camp jusqu'à hier soir étaient en attente de recours. C'est un système administratif très compliqué." Et d'expliquer : "Quand des exilés mineurs arrivent dans une ville de France, ils doivent se présenter au commissariat qui les oriente pour que l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) les évalue pour reconnaître leur minorité."
"Dans le Nord, entre 12 et 30% sont reconnus mineurs d'emblée. Les 70 autres pourcents sont mis à la rue. Non reconnus mineurs, ils ne sont pas pour autant considérés comme adultes. Ils peuvent déposer un recours auprès du tribunal pour enfants, mais les délais chez nous sont très longs pour obtenir une audience, plus que dans d'autres départements. Il faut compter entre 6 et 9 mois."
"Pendant ce temps, il devrait y avoir présomption de minorité pour que l'ASE puisse les prendre en charge dans l'attente, mais ça ne se fait pas." Contacté, le département du Nord qui a en charge l'ASE n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Le soutien des habitants
Les habitants se sont montés en collectif et pendant des mois, ont lutté contre "l'immobilisme des organes politiques de la métropole et du département". "Le 7 novembre, constatant que rien ne bougeait depuis des mois et qu'on approchait de la trève hivernale, on a écrit un appel pour que la ville et le département se mobilisent." Cette pétition a obtenu plus de 1 500 signatures en moins de 48 heures et avoisine désormais les 3 300.
"Elle va pouvoir être retirée", sourit Émilie. Ce mercredi 20 novembre, à l'occasion du 35ème anniversaire de l’adoption de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) par l’ONU, le collectif des habitant.es des Bois Blancs a manifesté place de la République à Lille pour l’application des principes fondamentaux du texte - et notamment le respect de la présomption de minorité - qui oblige l’Etat à mettre à l’abri les personnes en attente de reconnaissance de leur statut de mineur.
Une forte mobilisation des mineurs eux-mêmes
Et si les habitants se sont investis, les mineurs dits non accompagnés (MNA) ne sont pas restés inactifs. "Ce qu'on a obtenu, tient à préciser Émilie, c'est à force de la mobilisation des jeunes. Régulièrement, ils ont interpellé les élus, comme en septembre lors des Journées du patrimoine. Ils avaient appelé ça le patrimoine de la honte."
Car depuis août 2024, les mineurs isolés du camp ont décidé de s’organiser à leur tour et ont officialisé leur regroupement sur les réseaux sociaux afin de faire entendre leur voix, encouragés par la mobilisation nationale d’autres jeunes dans la même situation qu’eux dans d’autres villes de France comme à Lyon, Tours et Marseille.
Voir cette publication sur Instagram
Nos conditions de survie sont extrêmement précaires et il nous faut agir.
ThiernoPorte-parole des mineurs non accompagnés (MNA) de Bois Blancs à Lille
Thierno est l'un des porte-paroles des MNA qui vivaient dans le campement. "Certains d’entre nous n’ont jamais eu à affronter l’hiver et encore moins en vivant sous la tente, racontait-il il y a quelques jours dans un communiqué. C’est plus particulièrement l’humidité qui nous tue à petit feu. Le moral des jeunes baisse avec la chute des températures et j’en vois certains qui n’arrivent même plus à se lever pour aller manger le matin."
"On se serre les coudes et nous sommes au-delà de la gratitude envers les habitants des Bois Blancs, mais nos conditions de survie sont extrêmement précaires et il nous faut agir."
Un déblocage in extremis avant le grand froid
Après des mois d'investissement, les choses ont bougé rapidement à l'approche de l'arrivée du grand froid. Émilie retrace la chronologie des dernières heures : "Mardi 19 novembre, quelqu'un du département est venu sur le camp à 18 heures - sous la pluie, avec les rats, c'était lunaire - pour dire qu'ils allaient débloquer des places mais qu'ils ne savaient pas combien. Les jeunes ont dit : « C'est tout le monde ou personne. »."
"On ne croyait pas vraiment que la situation s'arrangerait, c'était tellement bloqué. L'an dernier, sous prétexte qu'ils n'étaient ni mineurs ni majeurs (sic.), ils n'avaient même pas droit au plan Grand froid. On nous disait que comme ils n'étaient pas majeurs, ils ne pouvaient pas être mélangés à des majeurs en foyer. On répondait ah, d'accord, alors ils sont mineurs. Mais non, ils ne l'étaient pas non plus. Et voilà qu'ils se retrouvent avec des places dans des foyers pour majeurs. Comme quoi c'est possible, finalement."
Un investissement collectif
Jeunes, associations, habitants, mais aussi élus ont contribué à ce dénouement. Depuis le début, la ville de Lille est très mobilisée auprès de ces jeunes - même si ce n'est pas sa compétence, mais celle du département - et soutient les associations engagées sur ce secteur, affirmant être "soucieuse de la situation de ces mineurs". "Nous travaillons notamment avec l'association La Deûle pour qu'ils disposent d'un accès à des bains douches."
Quant à la question du relogement, "le maire Martine Aubry a obtenu du Préfet qu'il hausse le ton auprès du département pour que ces jeunes soient mis à l'abri."
Un soulagement pour tous
Selon Emilie, c'est le lendemain, avant même la manifestation, qu'une réunion a eu lieu avec la Ville de Lille et l'adjoint du quartier et qu'enfin, "52 places ont été débloquées dans des foyers, la majorité dans la métropole, à Armentières et Tourcoing et 10 à Saint-Pol-sur-Mer". Ces informations n'ont pas été confirmées par le département, mais les membres du collectif d'habitants sont formels : le camp était vide mercredi soir.
"C'est un très grand soulagement !", soupire Emilie qui, avec ses voisins, s'était organisée pour les héberger tous, avec le froid annoncé pour la nuit. Cela n'aura pas été nécessaire.
Une victoire provisoire et partielle
Si les habitants du camp ont été placés dans des foyers, tous les jeunes actuellement hébergés par les riverains n'ont pas été pris en charge. "Et puis il ne faut pas oublier, ajoute Emilie, que des MNA arrivent à Lille tous les jours et que le problème se reproduira."
Pour le collectif, qui a trois revendications, c'est une victoire, mais partielle seulement. "Le problème de l'hébergement des mineurs à la rue a provisoirement été réglé, se réjouit Emilie, mais il reste les questions de la scolarisation dans le public et de la réduction de la durée du recours."
Le collectif reste donc vigilant et, s'il le faut, prêt à se mobiliser encore. Nombreux sont d'ailleurs les membres qui abritent toujours des mineurs en attente de leur recours.