Les défenseurs de la pratique louent l'animal de combat, respecté jusque dans la mort. Les opposants dénoncent la cruauté de la pratique. Alors qu'une loi sur la fin de la corrida en France doit être examinée jeudi 24 novembre, le débat sur ce combat entre l'homme et l'animal est à son apogée.
"Vous voyez, il y en a deux qui se battent. Le troisième qui arrive, il va aller pour défendre le plus fort : il va s'attaquer au plus faible, c'est toujours comme ça." Tout en discutant avec l'équipe de reportage de France 3 Aquitaine, Philippe Bats garde un œil sur ses taureaux de combats. À la tête de la ganaderia "Alma Serena" à Cauna dans les Landes, l'éleveur regorge d'anecdotes sur ses bêtes. Deux-cent-trente au total, soigneusement sélectionnées et élevées sur une centaine d'hectares.
"Le taureau, c'est un animal unique. Je n'en connais pas d'autre aussi sauvage, qui nous respecte, avec lequel on vit bien. Il est extraordinaire de bravoure, de gentillesse, explique-t-il. Avant de préciser : Mais c'est un animal qui est fait pour combattre, dans une arène. C'est un animal de combat".
"Tout peut tomber à l'eau"
Le métier de Philippe Bats, qu'il définit à la fois comme exigeant et passionnant, est menacé. Aymeric Caron, député LFI-Nupes a déposé une proposition de loi visant à bannir la corrida partout en France. Jusqu'à présent, les 56 villes taurines de l'Hexagone bénéficient d'une exception à la loi qui interdit la pratique sur le territoire national.
"Tout peut tomber à l'eau. Si le taureau de combat n'a plus de raison d'être, on arrête tout, déplore Philippe Bats. Ces forêts tout autour, elles sont entretenues parce qu'il y a des bêtes. S'il n'y en a plus, on aura des ronces". Des conséquences mesurables sur la biodiversité, mais aussi économiques. Outre l'arrêt de l'élevage et la fin de la carrière des toreros, la fin de la corrida aurait aussi des répercussions sur une autre tradition taurine du sud ouest.
"Toutes les bêtes que nous ne gardons pas, elles ne vont pas à l'abattoir. Elles vont à la course landaise. Donc la course landaise aussi sera impactée. Sans renouvellement de bêtes, à un moment donné, elle aura aussi des soucis", prédit Philippe Bats.
Rejet "absolu" de l'antispécisme
Selon un récent sondage Ifop réalisé pour le JDD, 74 % des Français sont favorables à une interdiction totale de la corrida. Mais dans les Landes, département de France qui compte le plus d'arènes, la question est loin de faire l'unanimité. Ancien matador et représentant de l'union des villes taurines de France, André Viard explique avoir milité auprès des élus sur le sujet. "Dès les élections législatives, l'objectif a été de prendre le député Caron de vitesse, explique le Landais. On a voulu imposer les éléments du débat, plutôt que de devoir répondre aux siens".
Pour nous, le débat se situe sur la liberté culturelle, l'identité des territoires, mais aussi sur le rejet absolu de l'antispécisme, qui est le fonds de commerce du député Caron.
André Viard, président des villes taurines de Franceà France 3 Aquitaine
Pour l'ancien matador, le débat sur le bien-être animal n'a pas lieu d'être dans le contexte de la tauromachie. "Le taureau n'est pas un animal de compagnie. Il a sans doute la vie la plus heureuse et la plus conforme sa nature. Et il a aussi la mort qui correspond le plus à sa nature", assure-t-il. André Viard dénonce l'hypocrisie des Français qui " mangent de la viande, mais ne sont pas prêts à voir la mort".
Nous, on assume de tuer l'animal en public et de lui rendre hommage. Il y a plus de souffrance dans les abattoirs que dans l'arène.
André Viard, président des villes taurines de Franceà France 3 Aquitaine
"Pour nous, le fait qu'il meure dans l'arène, c'est la plus grande marque de respect que nous pouvons lui offrir", poursuit-il. Un raisonnement qu'il reconnaît, "un peu difficile à comprendre, quand on habite à Lille ou à Tourcoing. Mais pas quand on habite dans le sud. C'est ce qui fait que la tauromachie est une culture".
"Il reste un animal qui souffre, et qu'on tue à la fin"
Lisa Lou (son prénom a été modifié), elle, habite bien dans le sud ouest. Elle est pourtant farouchement opposée à ce qu'elle qualifie de "torture". "J'ai assisté à une corrida. Si on enlève les flonflons, les costumes à parade avec les choux à pompons et les costumes à paillette des toreros, qu'est-ce qui nous reste ? L'animal, qui souffre, et qu'on tue à la fin" résume la militante, qui garde en tête le "cri du taureau blessé". Un point de vue difficile à faire entendre localement.
"Ce n'est pas facile de militer dans le premier département taurin de France, encore plus pour les femmes, car j'entends beaucoup de paroles sexistes", assure-t-elle, dénonçant des agressions, verbales et des crachats à son encontre. Elle tient à souligner un paradoxe.
"Je me demande s'ils n'ont pas un peu conscience de ce qu'ils font. Après tout, ce sont des gens qui ont des chats ou des chiens dont ils s'occupent très bien et qu'ils aiment. Et là, ils sont capables d'aller voir un autre animal se faire planter par des banderilles, agoniser puis mourir".
Le taureau est peut-être un animal à part pour eux, mais ça reste un mammifère, avec un système nerveux, qui ressent de la peur et de la souffrance.
Lisa Lou, militante de la cause animaleà France 3 Aquitaine
Vers la fin de la corrida ?
"Je ne peux pas comprendre ce désir que l'on a d'aller voir une corrida, qu'on puisse s'amuser, à notre époque, sur une souffrance animale, s'indigne Lisa Lou, rejetant l'argument de la tradition. Quand une tradition est cruelle, aberrante, malsaine, on peut l'abolir". Les espoirs de la militante reposent sur la jeunesse, qu'elle sent moins encline à assister à des corridas. "Je pense que la corrida va mourir d'elle-même".
Et c'est peut-être le point sur lequel pros et antis tombent d'accord. L'ex-matador André Viard ne se fait guère d'illusion sur la fin annoncée de la corrida. "La société française n'a plus, dans sa majorité, le courage de regarder la mort en face. On est en train de créer des générations de pleutres en France".
"Toutes les cultures disparaissent à partir du moment où elles ne sont plus en adéquation avec les populations qui les ont fait vivre, analyse-t-il. Un jour ou l'autre, la corrida disparaitra, mais nous serons le dernier village gaulois !"
► Reportage de Maria Laforcade et Alexis Dumoulin
Ce jeudi 24 novembre, les députés doivent se pencher sur la proposition de loi d'Aymeric Caron. Rejetée en commission des lois, elle sera examinée à la faveur de la niche parlementaire de la France insoumise qui bénéficie d'une journée pour inscrire ses propositions à l'ordre du jour. Celle sur la corrida arrivera en 4e position. Les nombreux amendements déposés pour faire durer les débats pourraient tout simplement empêcher son examen dans les délais impartis.