Vienne : le Café-Cantine de Gençay s'offre une galette

Contraints d'arrêter les concerts, le Café-Cantine a financé un album réunissant les artistes locaux qui s'y produisaient. Avec un thème imposé : la crise sanitaire et son cortège de joyeusetés.

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Sur la place du marché de Gençay, le Café-Cantine du Commerce mêlait restauration et culture depuis six ans. Avec bonheur et dans la bonne humeur. "Y a à la fois une vie de village et des expositions, des discussions, des concerts". Pascal Peroteau est l’un des artistes à s’y produire régulièrement. Le Café-Cantine programme en effet une quarantaine de concerts à l’année. "Tous les samedi soir, en gros".

J’y joue une fois par an, et de temps en temps je vais y manger. Pour voir d’autres concerts et parce que j’aime beaucoup les gens qui y travaillent et leur envie de partager, de faire découvrir. Pour moi c’est un vrai lieu culturel alternatif. C’est pas le TAP, mais il s’y passe plein de choses.  

Pascal Peroteau, auteur compositeur interprète

Sauf que depuis un an, de choses, il ne s’en passe plus trop. Ici comme partout la Covid s’est invitée, et l’équipe du Café-Cantine a dû se résoudre à rentrer la tête en attendant de laisser passer la vague.

On fonctionne au ralenti, on ne fait plus que la vente à emporter. Quand on a été refermé pour la deuxième fois, en novembre, on a compris que ça allait durer un moment. Du coup, on s’est demandé comment garder du lien avec les artistes, et avoir une nouvelle proposition pour nos clients aussi. Pour rester actifs, quoi...      

Cédric Martineau, programmateur musical du Café-Cantine

Rapidement, s’est imposée l’idée d’une compilation. Pardon, d’un album

"On n’aime pas trop le terme compil, parce que ça fait comme si on recyclait des vieux morceaux pour les remettre sur un CD". Alors que là, l’idée c’était vraiment de demander aux artistes de créer un nouveau morceau, avec un texte qui soit en rapport avec ce qu’on vit depuis un an. Pas forcément sur la Covid précisément, mais sur l’ambiance, sur "comment ils ressentent le truc ?", et ce qu’ils avaient à en dire aussi.

Forcément, c’est le premier cercle, celui des fidèles qui a été sollicité.

"On a demandé à nos artistes "chouchous", ceux qui nous soutenaient au tout début, quand on lançait juste l’aventure Café-Cantine et qu’on pouvait à peine les payer. Y en a qui ont dit oui tout de suite, et d’autres pour lesquels ça a pris un petit peu plus de temps".

"Non, non, non ! J’écrirais pas une chanson là-dessus"

La première réaction de Pascal Peroteau fut catégorique.

"Je trouve que c’est difficile de parler de cette situation sans être polémique. Même entre artistes, on n’est pas tous d’accord. Y a plein de discussions et ça s’envenime vite. Je trouve ça un peu trop clivant, alors j’ai commencé par leur répondre: j’veux pas rentrer là-dedans".

"Mais ils ont insisté pendant des mois … et comme c’est des gens que j’aime bien, j’avais quand même envie de faire partie du projet. Pour être avec eux. Et voilà. J’ai fini par écrire une chanson. Et au final, je suis content".

Mais mettre des mots sur la période actuelle fut pas chose  facile. "Je savais pas comment en parler". Pascal Peroteau, qui se partage entre deux répertoires, jeune public et plus grands, a dû commencer par faire un choix.

Celle-là, c’est pas pour les enfants que je l’ai faite. Dans ma chanson, y a deux parties. Je mets en balance la vie quotidienne avec les autorisations de sorties, je parle du confinement. Et après ça se barre sur un truc un peu plus poétique, avec des jeux sur les mots. Je dis « Les gens qui s’invitent, les gens qui s’évitent, les gens qui se limitent ». J’essaie d’être à mi-chemin entre une forme de poésie et le concret.  

Pascal Peroteau, auteur compositeur interprète

Une chanson-émotion

A l’inverse, Toma Sidibé n’a pas attendu que l’équipe du Café-Cantine lui souffle l’idée. "J’ai fait la chanson "Enfants Confinés" le premier jour du premier confinement. Je me suis dit "bon, nous ça va nous faire bizarre d’être enfermés, mais les enfants…". "J’étais dans un stress pour eux. On en a trois à la maison, mais y a un petit jardin, ça va, on a de l’espace. Moi je pensais aux gamins qui sont en appartement, dans les cités".

Son épouse Ilham Bakal, réalisatrice, a bricolé un très joli clip en stop-motion, avec ce qu’ils avaient sous la main. En mode confinés. "On a fait ça à la maison, avec les enfants. On a tous participé".

Sitôt mise en ligne, la chanson a été massivement partagée. "Parce que ça touchait tout le monde en même temps. Très vite les instits l’ont relayée à leurs élèves, du Canada à la Thaïlande, en passant par la Côte d’Ivoire, l’Australie … Du coup le clip a été vu à l’Unesco (l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture), qui a voulu qu’ "Enfants Confinés" fasse partie du dispositif "Don’t go viral" [ne soyons pas viraux], pour lutter contre toutes les fake news et la désinformation qui sévissait au tout début, par rapport au virus".

La chanson s’est ainsi retrouvée exposée sur le site de l’Unesco, traduite et sous-titrée en anglais et en arabe. Jusqu’à l’Unicef (le Fond des Nations Unies pour l’Enfance) avec lequel Toma mène désormais quelques projets. "Même le journal de Mickey l’a contacté !" rigole Cédric Martineau, le programmateur musical du Café-Cantine.

"Quand Cédric m’a parlé de faire cette compil, pour moi ça tombait sous le sens que ce soit cette chanson qui soit présente sur le disque". De leur côté, deux autres artistes avaient déjà composé une chanson sur le thème de la pandémie. "Comme leur morceaux collaient très bien à notre compil, on les a intégré au CD, qui comptera finalement douze titres. Mais à part ces trois-là, tous les autres c’est vraiment des compos originales, textes et musiques, créées pour l’album" tient à préciser Cédric Martineau.

Nous on a produit le CD, c'est-à-dire qu’on a pris en charge tous les frais d’enregistrements, de pressage, les sonorisateurs, un studio aussi. A côté de ça, le Confort Moderne nous a gracieusement prêté ses locaux pour enregistrer deux titres. Tout ça mis bout à bout, ça nous revient à 5.000 €. L’album va être tiré à 1.000 exemplaires et on a calculé qu’il fallait qu’on en vendre exactement 520 pour rentrer dans nos frais. Le deal avec les artistes, c’est qu’au-delà de 520, tous les bénéfices leurs seront intégralement versés. Si on fait du bénéfice … 

Cédric Martineau, programmateur musical du Café-Cantine

Quoi qu’il en soit, le projet d’album aura fait du bien, à un moment où tout le monde en avait besoin.

"L’initiative du Café-Cantine était la bienvenue. Ça m’a fait plaisir qu’il y ait des gens qui pensent à nous dans la galère du moment. Depuis un an, c’est très compliqué, et d’être considéré comme non-essentiel, ça me fait un peu mal. C’est assez violent en fait".

Francois Godard fait partie des professionnels du spectacle qui occupent le TAP (Théâtre Auditorium de Poitiers) depuis un mois pour protester contre la réforme de l’assurance chômage et alerter sur la précarité grandissante des intermittents depuis le début de la crise sanitaire.

Moi j’ai besoin que les choses aient du sens et le délire actuel d’infantilisation et d’incapacité à se projeter dans le temps, m’atteint très fortement à cet endroit du sens. A quoi ça sert ? Qu’est-ce qu’on fout là ? Mon métier d’artiste, c’est d’interroger ça en permanence, de façon collective. Mais si j’ai pas de public, j’interroge plus rien du tout. Pour ça il faut être ensemble. Et c’est précisément à cet endroit du « Ensemble » que le projet d’album du Café-Cantine prend son sens. C’est donc d’autant plus indispensable de le faire exister, là où on arrive à le faire exister... et du coup j’ai écouté le premier mixage de l’album : il va être chouette le disque en plus. Il a de la gueule !  

François Godard, auteur compositeur interprète

L’album du Café-Cantine sort fin mai, sera vendu 12 €, et s’appelle "(Non) Essentiels".

Mais si on vous demande, c’est pas François Godard qui a soufflé. Il était pas là, il était au TAP …

Cédric, le programmateur musical, optimiste par nature ou pressé d’en découdre, a d’ores et déjà programmé Fred Abrachkoff  et Hollywood Bazar, le 5 juin. De son côté, Toma Sidibé, lui, voyait plutôt "une espèce de grosse Jam générale pour fêter la réouverture et la sortie de l’album", les deux options n’étant pas forcément incompatibles …

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