"Ma mère n'est pas un cas isolé", assure le fils de la salariée d'Upsa qui a tenté de mettre fin à ses jours

Une semaine après la tentative de suicide de Létizia Storti sur son lieu de travail, son fils, Enzo Rosada, prend la parole pour dénoncer ses conditions de travail et l'attitude de la direction d'Upsa. Il attend des suites judiciaires de la part du Parquet d'Agen.

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Le 24 mars, sa mère, Létizia Storti a tenté de mettre fin à ses jours, dans les locaux de son entreprise. Aujourd'hui, son fils prend la plume. Dans une lettre adressée à la presse, Enzo Rosada dénonce les conditions de travail de sa mère, salariée depuis trente-six ans chez Upsa à Agen en Lot-et-Garonne. 
Enzo Rosada a également accepté de recevoir une équipe de France 3 Aquitaine pour une interview. Il cible le management de l'entreprise, sa mère ayant laissé une lettre explicative avant de commettre son geste, un saut d'une dizaine de mètres dans une cage d'escaliers à l'étage de la direction d'UPSA.

 

Un appel au procureur

"Ma mère a eu de la chance. Physiquement, elle va pouvoir, petit à petit, se remettre, estime le jeune homme, architecte de profession et habitant la région PACA. Mais psychologiquement, elle est dévastée par ce qui s'est passé, et par le geste qu'elle a commis ce jour-là."
Enzo Rosada ne cache pas son besoin de justice, et lance un appel au procureur de la République d'Agen : "Je souhaite qu'on soit épargnés dans cette histoire. Qu'on ne nous rajoute pas la contrainte de devoir déposer plainte, et que le procureur de la République se saisisse immédiatement du dossier pour pouvoir enquêter sur ce qui s'est passé sur cette structure".
 

Si le procureur ne le fait pas, étant donné la gravité des faits, on se verra dans l'obligation de déposer une plainte.

Enzo Rosada, fils de Létizia Storti


Reclassement à répétitions 

Enzo Rosada revient notamment sur la façon dont sa mère a été malmenée à son poste, à la suite d'une blessure au poignet en 2019. "Son poignet ne s'est pas totalement remis. Elle a eu une Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) et ne pouvait plus porter de charge lourde", explique-t-il. 

Ont alors suivi de multiples changements de postes pour Létizia Storti . "On la déplaçait à chaque fois. Elle a fini par trouver un poste sur lequel tout se passait bien, sur lequel elle pouvait travailler en dépit de sa pathologie. Elle a donc candidaté lorsqu'une place s'est libérée. Et le poste a été donné à quelqu'un d'autre", regrette Enzo Rosada, qui voit dans ces reclassements perpétuels une véritable volonté de l'entreprise. 

C'est toujours plus simple de faire en sorte que le salarié quitte l'entreprise de lui-même, plutôt que de le licencier. Une rupture conventionnelle coûte beaucoup moins cher qu'un licenciement, surtout pour quelqu'un qui est en poste depuis 36 ans. 

Enzo Rosada, fils de Létizia Storti

Une direction montrée du doigt

L'attitude d'une responsable des ressources humaines de l'entreprise Upsa avait déjà été mise en cause par le réalisateur Stéphane Brizé, qui avait tourné deux films avec Létizia Storti ( "En Guerre "avec Vincent Lindon ). Un point de vue partagé par le fils de la salariée.

La veille du drame, après avoir échangé avec Létizia , une salariée s'était confiée en urgence à la DRH de sa situation de détresse. "Celle-ci a juste dit à la salariée de lui donner le numéro du psychologue, et c'est tout, assure Enzo Rosada.
"Cette DRH n'est pas venue le lendemain, sachant qu'il y avait un potentiel risque pour une salariée. Pour moi, le pacte social de l'entreprise est rompu. L'entreprise avait quand même l'obligation légale de s'assurer de la santé de celles et ceux qui œuvrent pour elle."

Dans sa lettre, Enzo Rosada révèle que sa mère a été filmée par des caméras de surveillance, juste avant le drame. 
 

On peut la voir, exprimant une détresse épouvantable, déambuler, sur les enregistrements des caméras de surveillance de ce jour-là : elle cherche quelqu’un. En réalité, elle cherche la Directrice des Ressources Humaines, celle dont elle voulait faire le témoin coupable de son geste — et ce fut finalement devant le bureau vide de cette dernière que ma mère commit cet acte.

Extrait du communiqué de presse d'Enzo Rosada


De même, l'attitude de la direction après le drame ne l'a pas convaincu. "Le jour même, ils ont témoigné du soutien indéfectible qu'ils adressaient à ma mère et ses proches. Dans les faits, j'ai reçu un sms deux jours plus tard, très neutre, très calculé qui ne me demandait même pas des nouvelles de ma mère, poursuit-il. 
"Partant de là, il n'y a pas de discussion possible".

"Ma mère n'est pas un cas isolé"

En octobre 2020, un employé d'Upsa avait mis fin à ses jours, laissant une lettre mettant en cause sa direction. Mi-mars, un cadre du groupe a tenté de mettre fin à ses jours. "Ma mère n'est pas un cas isolé, assure Enzo Rosada. Des études sur le cas de France Télecom [entreprise touchée par une vague de suicides et dont la direction a été condamnée pour harcèlement moral, ndlr] l'a montré : une fois que ça a commencé, ça continue. 
Il y a vraiment quelque chose à gérer immédiatement. Il ne faut pas attendre de faire un audit sur dix mois. Il faut prendre ses responsabilités ! "


Le fils de Létizia Storti explique recevoir de nombreux messages de soutien, dont certains émanent de collègues de sa mère, louant son implication et son dévouement. " Elle a commencé ce travail à 18 ans. C'est un travail, certes modeste, mais elle était volontaire. Elle organisait des voyages avec le CE, elle est la plus ancienne secouriste de la boîte, elle a reçu la médaille du travail… " 
Une implication telle que, sur son lit d'hôpital, Létizia Storti a immédiatement exprimé son souhait de reprendre le travail. 

"Moi je ne suis pas de la même génération que ma mère. Une chose pareille m'arriverait à mon travail, je n'y reviendrais jamais. Mais elle, elle y était depuis trente-six ans, il y a quelque chose qui s'est construit. Le travail prend une part importante dans la vie de salariés qui ont une carrière longue comme ça dans une boîte", constate Enzo Rosada. 
 

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