Après les manifestations contre les accords du Mercosur cette semaine, les agriculteurs de la Coordination rurale de Lot-et-Garonne sont de retour à la maison et ont du travail à rattraper. Rencontres avec deux éleveurs et un maraîcher qui ne regrettent pas leur absence.
Le bonnet jaune au sigle de la CR 47 toujours bien vissé sur la tête. Cet éleveur de porcs gascons a retrouvé ses bêtes après deux jours d'absence. Deux jours, c'est une éternité pour l'élevage. Pourtant, Julien Béhague n'a pas hésité à quitter son exploitation pour participer au blocage du port de commerce de Bordeaux, à 150 km de chez lui.
Les animaux ont faim
"Hier soir, quand je suis rentré, il a fallu nourrir tout le monde parce que les animaux avaient faim ! Même si mercredi, avant de partir, j'avais chargé en aliment, mais il était temps de rentrer !, raconte l'éleveur d'une quarantaine d'années.
"Il a fallu faire le tour des clôtures aussi, car avec la tempête, j'ai eu un peu de dégâts, des arbres qui sont tombés par endroits. Il faut réparer. En élevage, le travail, c'est du quotidien, on en a toujours". L'agriculteur n'a pas chaumé depuis son retour. "Le travail que l'on ne fait pas quand on part, on doit le faire quand on rentre".
On ne part pas manifester par plaisir, on le fait, car on n'a pas le choix. Mais cela impute sur le travail que l'on a à faire sur nos fermes.
Julien Béhague,éleveur de parcs gascons à Layrac (Lot-et-Garonne)
Un sacrifice utile
Partir est "un sacrifice utile" selon ce membre de la Coordination Rurale 47 qui a bloqué durant trois jours l'accès des camions au port de Bordeaux. "C'est utile, car sinon on va se faire bouffer. Mais effectivement le boulot est toujours là et personne ne va le faire pour nous. Et si la mobilisation sur Bordeaux avait duré, de toute façon, je devais rentrer pour nourrir les animaux, quitte à y repartir ensuite. J'avais prévu de faire des allers-retours. Par chance, vu les annonces satisfaisantes du Premier ministre, on a décidé de revenir à la maison et de reprendre le travail."
Principal syndicat mobilisé sur le terrain, la Coordination rurale a annoncé jeudi 21 novembre au soir qu’elle lèverait le blocage du port de commerce de Bordeaux dès le lendemain, estimant que le Premier ministre avait répondu à ses revendications sur les normes européennes.
L'hiver dernier, Julien Béhague avait participé au convoi de la CR47 qui était allé à Paris. Un voisin s'était occupé de son élevage en son absence. "Heureusement, on a une solidarité entre agriculteurs et ceux qui restent là par la force des choses nous remplacent sur nos fermes quand on s'absente pour aller nous défendre".
"Notre action a porté ses fruits"
À 24 ans, Thomas Garçon n’a pas hésité à participer lui aussi au mouvement de la Coordination rurale. Entre deux convois, ce jeune maraîcher installé au Puch-d'Agenais, n’a fait qu’un rapide crochet par son exploitation. " Notre action a porté ses fruits. Le Premier ministre a dit qu'il allait s'engager. Bon, maintenant, on attend les actes. C'est sur la bonne voie, il faut espérer !, lance-t-il, un bonnet jaune également sur la tête et le regard déterminé.
Thomas Garçon est aussi membre de la CR47. Il cultive les kiwis et le tabac, aidé par ses parents agriculteurs qui l'encouragent et le soutiennent. "C'est vrai qu'il ne se laisse pas faire, il faut qu'il fasse bouger les choses, commente sa mère. Le week-end sera chargé. Il faut emballer tous les kiwis pour la commercialisation.
Une haie d'honneur au retour des manifestants
De la génération "des anciens", Paul-André Boukherma, gaveur de canards et maraîcher, a pris part à la manifestation, à Agen, le 22 novembre lors de la visite du président de la FNSEA Arnaud Rousseau dans ce fief de la Coordination rurale, syndicat concurrent et majoritaire dans le département, après une semaine de mobilisation agricole.
"Entre les fraises, les canards à surveiller et le personnel, ce n'est pas toujours simple à gérer donc ce n'est pas facile de se libérer. Mais vendredi, c'était obligé d'y être. Il y avait beaucoup de monde à Bordeaux et à Mont-de-Marsan et nous devions être présents à Agen pour l'accueil de Monsieur Rousseau, c'est symbolique, explique Paul-André Boukerma.
"Et puis on devait être là pour accueillir ceux qui étaient sur les blocages et qui ont dormi trois jours dans les cabines de tracteurs. Il y avait des femmes aussi. Il faut se rendre compte de l'effort que ça demande. Il y avait des gens très motivés donc on se devait de leur faire une haie d'honneur à leur retour et les récompenser.
Cet agriculteur âgé d'une soixantaine d'années soutient le mouvement. Il est inquiet pour la nouvelle génération qui a du mal à s'installer et qui n'est pas aidée par les banques dans le rachat des exploitations." C'est comme il y a 20 ans, aujourd'hui, on a des normes instables qui changent sans arrêt. On a aussi une instabilité des demandes de la grande distribution qui ne sont pas les mêmes que ce que demanderait le consommateur. Donc, tous les six mois ou tous les ans, il faut réinvestir dans des outils qui ne sont pas productifs et qui servent juste à être aux normes, constate l'agriculteur. À un moment donné, on n'est plus du tout concurrentiel. Le but du jeu est que les jeunes qui s'installent n'aient pas à subir toute cette instabilité.
Dans ce contexte compliqué, difficile de créer des vocations pour la profession d'agriculteur. "Même en agrandissant les fermes, il y a des terres qui vont repartir en jachère. Et il n'y aura plus de relève. C'est dramatique. Il faut pérenniser l'installation des jeunes !".