Suicide des agriculteurs : l’association "Deux mains pour demain" brise le tabou

Une antenne de l'association Deux mains pour demain, fondée par des agriculteurs, a ouvert dans le Lot-et-Garonne. L'objectif :  libérer la parole des paysans, encore trop nombreux à sombrer en silence.

Le mal-être des agriculteurs, Patrick Maurin en parle depuis longtemps. Bien avant la sortie du film "Au nom de la Terre", d'Edouard Bergeon et Guillaume Canet qui portent à l'écran la souffrance des paysans, le conseiller municipal de Marmande, (Lot-et-Garonne) avait entrepris une longue marche pour alerter sur les suicides agricoles.
 

Près de deux suicides chaque jour

"Même si j'ai pu être entendu par le président de la République, le ministre de l'agriculture, nous avons toujours des suicides tous les jours", commente amèrement l'élu municipal. Les chiffres sont éloquents : chaque jour, près de deux agriculteurs se donnent la mort. "C'est énorme, c'est inadmissible". 


De cette audition avec le chef de l'Etat est né un projet de table ronde, prévu au mois de mai 2020, au cours duquel Patrick Morin devrait présenter un projet de loi pour favoriser le recours aux circuits courts et réviser les modes de culture. 

On a une certaine fierté, et se mettre à nu, ce n'est pas facile.
Marc Issaly, agriculteur, fondateur Deux mains pour demain
 

Difficultés financières et endettement, solitude, surmenage, stigmatisation… Les raisons du mal-être sont multiples. Nombreux sont ceux qui travaillent jusqu'à quinze heures par jour, et n'arrivent plus à rembourser des banques qui les ont encouragés à s'agrandir et produire de façon intensive. 


D'autant plus que le sujet n'est pas facile à évoquer chez les premiers concernés. "Cette question-là dans notre métier, elle est taboue. Les agriculteurs ont du mal à se livrer, reconnaît Marc Issaly, agriculteur dans le Lot. 

On a une certaine fierté, et se mettre à nu, ce n'est pas facile.

Oser mettre le sujet sur la table

Marc Issaly a créé le collectif "Deux mains pour demain", afin justement de permettre aux agricultrices et agriculteurs d'exprimer leurs difficultés, leurs angoisses, et de faire front face aux situations de détresse. Une association qui se développe désormais dans plusieurs départements ruraux , dont le Lot-et-Garonne.


Le collectif , porté par des agriculteurs, permet de délier les langues. "Le fait de se retrouver autour d'une table, ça libère la parole, ca permet de s'exprimer, et même pour certains de trouver des solutions par la discussion", assure Marc Issaly.

Un cercle vicieux

Laurent Goudelin a adhéré à l'associaiton. Eleveur à Miramont-de-Guyenne, il a repris la ferme familiale, non sans difficultés. Les établissements financiers l'ont poussé à s'agrandir et à produire plus, jusqu'à ce qu'il rentre dans un cercle sans fin, travaillant jusqu'à l'épuisement. 

"J'ai fait une erreur il y a quinze ans, estime l'agriculteur qui, en se voyant sombrer, a réussi à demander de l'aide auprès d'un psychologue.  Nous avons dû mettre aux normes nos bâtiments d'élevage, et la mécanique des emprunts s'est enclenchée". 
 

Je travaillais 80 heures par semaine pour un revenu négatif. En fin d'année 2009, j'ai dû vendre des animaux afin d'avoir de l'argent pour bouffer.
Laurent Goudelin, éleveur
 

Le témoignage poignant de Laurent Goudelin " J'ai fait une erreur " ou comment il en est arrivé là ► 
 


Un prix du lait inchangé depuis trente ans

L'éleveur s'est plongé récemment dans la comptabilité de son père sur l'année 1991. Ce qu'il découvre le glace :  il y a vingt-huit ans, le prix du lait était le même qu'aujourd'hui : 30 centimes du litre.
"Mon garagiste coûtait l'équivalent de 18 euros de l'heure. Aujourd'hui il est à 60 euros. L'EDF a pratiquement doublé; La CSG était à 1%, elle passée à 8%, énumère l'éleveur.

Quand on fait toute la liste… le problème il est là ! Tout le monde a pu évoluer, nous non. On arrive à nos limites, on est broyés par le système.



Avec le collectif  Deux mains pour demain (contact : asso.deuxmainspourdemain@gmail.com), porté par des agriculteurs, l'objectif est aussi de redonner de la fierté aux agriculteurs, alors que le métier ne séduit plus. 

En France on compte 448 000 agriculteurs, qui gagnent en moyenne moins de 1 250 euros par mois. Un salaire qui se réduit à 325 euros pour un tiers d'entre eux. 

Rencontre avec ces agriculteurs prêts à parler de leurs difficultés, sujet tabou ►

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