Depuis lundi, le grand public peut enfin acheter des masques en pharmacie. Mais attention, pas n’importe lesquels. Entre masques chirurgicaux, FFP2 et en tissus, comment les pharmaciens du Lot-et-Garonne gèrent-ils la demande et l’approvisionnement alors que se profile le déconfinement ?
" Ah, vous tombez bien, vous ! ". Dans cette pharmacie agenaise, la responsable, Julie*, en a gros sur le coeur.
Les masques grand public ?
Les fournisseurs, eux, n’ont pas perdu une minute. La pharmacienne croule sous les e-mails et les propositions de produits. Mais attention, prévient-elle, certains sont de « la vraie camelote ». Alors, il faut vérifier, trier, sélectionner.C’est une vaste blague ! Aucune pharmacie n’en a. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement avec un décret qui tombe à 10 heures 56 le dimanche matin. Nous ne sommes pas magiciens !
Julie - pharmacienne à Agen -
« Une bombe à retardement »
Elle a jeté son dévolu sur un professionnel du tissu médical agréé depuis trente ans. Le bon de commande est en ligne mais elle n’est pas seule à vouloir acheter ces produits de qualité. Sur le site, un décompte anxiogène défile : plus que 6 heures 59 minutes et 30 secondes avant l’ouverture des commandes. La pression est à son comble. " On dirait une bombe à retardement ", plaisante la pharmacienne, mi-figue, mi-raisin.Elle ne croit pas si bien dire. Depuis l’annonce gouvernementale, largement relayée par les médias, les clients s’impatientent… et se ruent à nouveaux vers les pharmacies.
Dans cette officine de Villeneuve-sur-Lot, " sur 400 clients journaliers, 390 nous demandent des masques ", détaille Alain*, le pharmacien titulaire. L’attente est incommensurable.
Lui aussi a été pris de court. Quel masque choisir parmi la liste des fournisseurs agréés ? Des fabricants français pour l’essentiel, souvent des industriels du textile qui se sont recyclés dans la confection de masques, à l’image de l’entreprise Coco et Rico. C’est elle qu’Alain a choisi : un fabricant du Slip français qui habillera désormais le visage des Villeneuvois.
Alain à Villeneuve-sur-Lot et Julie à Agen vendront leurs masques presque à prix coutant. Entre 3 euros 90 et 6 euros 50 selon la technicité des produits. Pas de marge ou presque. A tel point qu’Alain envisage de les offrir à ses clients fidèles.
" C’est un peu la jungle " , reconnait Gérard Duguin, Vice-Président de l’Ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine.
Trois semaines déjà que l’Ordre des pharmaciens demandait au Ministère de la santé de se voir confier la vente de ces masques grand public. Avec un cahier des charges strict. Uniquement des masques de catégorie 1 et 2, filtrant respectivement 90 et 70% des particules.Les prix sont très variables d’un fournisseur à l’autre avec des technologies très différentes.
Pas de masque chirurgical pour les malades du COVID
Mais quid des masques chirurgicaux et FFP2 ? Les pharmacies pourront-elles enfin en vendre à leur clientèle ? Car les pharmaciens restent en première ligne face aux demandes des clients.Six mois de prison et 15.000 euros d’amende. Voici à quoi s’exposent les pharmaciens qui s’aventureraient à passer outre le réglement.Une mère de famille dont la fille de 8 ans présentait un cas de COVID + avait une ordonnance pour des masques chirurgicaux. Malheureusement, nous avons interdiction formelle du Ministère d’en vendre. Elle est repartie chez elle sans masque, hébétée. C’est de la folie.
Julie, pharmacienne titulaire à Agen
La pharmacienne pense aussi à ces professionnels de santé qui pourront exercer à nouveau le 11 mai. Ces podologues, ces ostéopathes, ces masseurs. Comment feront-ils sans masques FFP2 ou chirurgicaux, eux, en contact rapproché avec leurs patients ?Nous sommes de bons petits soldats, on s’exécute mais ça nous tord les boyaux d’être aussi démunis.
Julie, pharmacienne titulaire à Agen
L’équation est simple selon l’Ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine. " Aujourd’hui, le nombre de masques chirurgicaux et FFP2 ne dépasse pas les 90 millions. Cela couvre tout juste les besoins des professionnels de santé." explique Gérard Duguin, Vice-Président de l’Ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine
Impossible pour l’heure d’étendre la vente au grand public. Mais Gérard Deguin se montre plus optimiste pour les acteurs de la santé. " L’Etat favorise les professionnels de santé en élargissant petit à petit la vente. Cela a été fait pour les préparateurs en pharmacie, les techniciens de laboratoire, les sages-femmes. Quand les pédicures-podologues reprendront, un arrêté arrivera. On y va progressivement."
Pas à pas pour espérer, in fine, équiper en masques les presque six millions de Néo-Aquitains.
* Les prénoms ont été modifiés.