Sous le coup d’une reconduite à la frontière, les deux enfants sont menacés d’excision au Bénin. Leur mère avait justement quitté le pays pour les en protéger.
« La douleur que j’ai en moi, je veux l’épargner à mes filles », avoue Laure. Cette mère de famille s’est vue imposer une excision chez elle au Bénin alors qu’elle n’avait que 7 ans. Trente ans plus tard, elle se bat pour empêcher que ses enfants ne vivent le même traumatisme. Le temps presse. Le 23 janvier, elles seront expulsables. Une pétition a été lancée pour tenter d’influencer le cours de leur histoire.
AGEN | Tonneins : mobilisation pour une parente d'élèves qui doit quitter le territoire https://t.co/WRjYycfXMB | WNEWS pic.twitter.com/Yjjo5kTzij
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« On m’a toujours dit qu’il ne fallait pas parler »
Laure raconte péniblement son parcours. Depuis plusieurs jours, elle est sollicitée par les médias pour évoquer les difficultés qu’elle traverse. Une démarche qui lui coûte. « C’est ma vie qui est exposée et là je suis fatiguée », concède-t-elle. « Je ne sais pas si cela fait du bien ou si ça fait du mal de raconter sa vie aux médias.
En France, vous avez cette éducation de parler librement mais chez nous on n’a pas reçu cette éducation. Pour moi, c’est dur de m’exprimer, même si je suis vraiment intégrée.
"On m’a toujours dit qu’il ne fallait pas parler ou que je ne pouvais pas dire ça", poursuit Laure. "Et là je parle, c’est bien mais à un moment donné, j’ai besoin de me renfermer sur moi. C’est un poids pour moi qu’on connaisse ma vie à Tonneins. Mais si je dois le faire pour que mes filles soient sauvées, je le ferai ».
« Chez nous ce sont les pères qui décident »
Laure est maman de quatre filles nées de deux pères différents. Au Bénin, où la polygamie est d’usage, l’excision est toujours pratiquée aujourd’hui par certains. « C’est la famille de mon premier mari qui voulait faire exciser mes filles », explique Laure, « pour que l’enfant soit reconnu dans la famille, pour reconnaître de que l’enfant est de nous ». « Leur religion est le vaudouisme », précise-t-elle, « moi je suis catholique ». Laure n’avait pas les moyens financiers de quitter le pays avec ses quatre filles. « Les deux grandes sont toujours là-bas », annonce Laure déchirée. « Je suis sûre que, depuis mon départ les aînées ont été excisées, je n’ai pas réussi à les protéger ». Elle est sans nouvelles depuis son départ il y a deux ans.
Dans son exil, Laure passe par Bordeaux avant d’arriver à Tonneins en février 2019 avec ses deux plus jeunes filles âgées aujourd’hui de 11 et 6 ans. Sa demande d’asile est déboutée. Laure fait un recours, en vain. « Le 22 décembre dernier, les gendarmes sont venus chez moi avec une obligation de quitter le territoire ». Ses enfants assistent à la scène. Elles ont jusqu’au 22 janvier pour s’exécuter. « Le Bénin n’est pas considéré comme un pays en guerre », se désole-t-elle, « je ne suis pas venue pour un problème politique, mais pour problème humanitaire personnel ».
Le soutien de toute la communauté locale
« Jusque-là, on se disait bonjour c’est tout », raconte Laétitia Colombel, « je ne connaissais pas son histoire ». Leurs enfants sont aussi à l'école Jean Macé de Tonneins. Et lorsqu’elle a appris lundi la nouvelle de cette expulsion, elle a tout de suite réagi.
« Moi, mon coeur de maman se soulève quand j’entends parler d’excision ».
Alors, elle a remué ciel et terre, constitué un réseau, et lancé une pétition dès mardi. Aujourd’hui, elle compte déjà plus de 730 signatures. « Beaucoup viennent de Tonneins, mais ça va jusqu’au Québec, ça a été relayé très loin », note la maman d’élève. « L’idée c’est de faire quelque chose en local, pour alerter l’opinion ». L’opinion mais aussi et surtout les pouvoirs publics. Car derrière cette mère et ses deux enfants, c’est toute l’école qui tente d’intervenir. La paroisse, où Laure a tout de suite été intégrée, la soutient aussi. « L’Eglise m’a prise comme son enfant », dit-elle.
« J’ai peur que mes ex nous retracent, c’est comme une mafia »
Laure a donné son accord pour la pétition, malgré ses craintes. « Ça me fait plaisir mais j’ai peur que cela retombe dans mon pays car jusque là personne ne savait où j’étais. J’ai peur que mes ex nous retracent, c'est comme une mafia vous savez. Je ne sais pas comment je vais pouvoir avoir confiance. J’ai perdu le goût de la vie, et d’un seul coup, je me retrouve à nouveau sans rien même s'ils sont là pour moi. La petite veut pas laisser ses copines, elle me dit c’est injuste ».
« Nous avons écrit un texte que nous allons soumettre à la signature des parents d’élèves pour l’envoyer au plus vite », annonce Laétitia Colombel. Un courrier sera alors adressé au rectorat et à la préfecture pour tenter d’obtenir un rendez-vous. La mairie de Tonneins, dans le Lot-et-Garonne, s'est déjà publiquement positionnée aux côtés de Laure et de ses filles, notamment dans un post Facebook largement diffusé. "Un arrêté d'expulsion a été ordonné par la Préfecture et, même si nous devons respecter la Loi et le Droit, nous ne pouvons ni ne devons rester insensibles à cette décision", a écrit le maire.