Un trésor de guerre politique puis une "fuite en avant": l'ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac a maintenu mardi, à son procès en appel, la thèse d'un financement du mouvement de Michel Rocard pour expliquer l'ouverture d'un premier compte en Suisse en 1992.
Cinq ans après le scandale le plus retentissant du quinquennat de François Hollande, Jérôme Cahuzac a entrepris de raconter à nouveau, d'une voix parfois étranglée, la chute du ministre en charge du redressement fiscal de la France. Dans son récit, on retrouve l'ex-Premier ministre socialiste Michel Rocard, le banquier suisse et "Birdie", le code du compte caché.
La ligne de défense n'a pas changé: c'est la volonté de constituer un butin de guerre politique qui explique le "basculement" dans la fraude, un dévouement désintéressé à la cause si l'on suit Jérôme Cahuzac. La suite relèverait d'une "fuite en avant".
"En novembre 1992, jusqu'en mai 1993, des fonds émanant de l'industrie pharmaceutique seront versés pour financer les activités politiques de Michel Rocard", affirme-t-il à la barre.
Cette thèse avait été avancée pour la première fois à son procès de 2016: l'ex-chirurgien avait assuré que Rocard, qui venait de mourir, "ignorait tout" de ce financement occulte.
Comme en première instance, il refuse de donner le nom de ses interlocuteurs. Depuis, il dit être retourné les voir pour étayer ses dires: "La réponse qui m'a été donnée, c'est: 'Jérôme, on ne te connaît plus'".
"Que personne ne sache"
Au président de la cour d'appel, il dit qu'il a bien conscience que sa "déclaration spontanée" sur le financement du mouvement rocardien a été "très mal perçue" -- elle avait suscité l'"écoeurement" de la famille socialiste sans convaincre le tribunal, qui l'avait condamné à trois ans de prison ferme.
Alors Jérôme Cahuzac insiste sur "le contexte". En mai 1991, après la chute du gouvernement Rocard, M. Cahuzac quitte le cabinet du ministre de la Santé, Claude Evin. Il débute alors ses activités de chirurgien esthétique tout en menant des activités de conseil auprès de laboratoires. Et il s'engage "auprès de l'équipe Rocard".
"Il m'est très vite demandé dans quelle mesure je pourrais aider au financement", dit-il. Cet argent devait "servir à financer" la campagne des législatives de 1993 et préparer la présidentielle de 1995.
À l'époque, le financement des partis politiques avait commencé à être régulé en France. Fort de son carnet d'adresses, Jérôme Cahuzac va donc continuer à démarcher les laboratoires "officiellement" mais aussi demander des "financements parallèles".
Ces fonds occultes seront versés sur un premier compte ouvert à l'Union des banques suisses (UBS) en 1992 par "un ami", l'avocat proche de l'extrême droite Philippe Péninque, compte sur lequel Jérôme Cahuzac a une procuration. Le chirurgien ouvrira en juin 1993 un compte en son nom propre à UBS, nom de code "Birdie" - un "coup d'avance" au golf.
"On vous sait amateur de golf", remarque le président Dominique Pauthe. "La référence, c'est plutôt le joueur de jazz Charlie Parker, je me suis mis au golf plus tard", corrige l'ex-élu. Ce code n'est que la suite logique d'une demande de "discrétion absolue".
Ce second compte sera très vite géré puis hébergé par la banque genevoise Reyl. C'est en 2009 que l'ensemble des avoirs sont transférés vers Singapour, via des sociétés offshore.
"Si on suit votre logique, reprend le président, la perspective était de rendre cet argent: mais à qui? Quand? Pourquoi?"- "On m'avait dit d'attendre, qu'on me dirait". Après l'échec de Rocard aux européennes de 1994, Jérôme Cahuzac affirme avoir compris que "personne ne (lui) demanderait jamais" de rendre cet argent. "Je n'ai rien fait, j'ai eu tort, c'est une tache indélébile".
Le président fait remarquer qu'il a tout même donné procuration à son épouse sur son compte suisse. Mais à cet instant, Jérôme Cahuzac, qui a de grandes ambitions politiques, est déjà dans la spirale du "déni". "Je ne voulais qu'une seule chose, que personne ne sache".