Ils stockaient des armes et des explosifs de l'ETA pour les détruire : deux Artisans de la paix devant la justice

Béatrice Molle-Haran et Jean-Noël Etcheverry, dit Txetx, tous deux membres des Artisans de la paix au Pays basque seront jugés les 2 et 3 avril 2024 pour transport et détention d'armes, munitions et produits explosifs en relation avec une entreprise terroriste. Vrai paradoxe, alors que leur volonté était de détruire l'ancien arsenal de l'ETA. Une condamnation risquerait de fissurer les fondations d'un long et sinueux processus de paix.

"Nous allons à Paris la tête haute", affirme Béatrice Molle Haran. Journaliste de référence au Pays basque et éditorialiste du groupe de presse Mediabask, elle se retrouve poursuivie pour détention d'armes, en lien avec une entreprise terroriste. Aux côtés de Jean-Noël Etcheverry dit Txetx, militant pacifiste et chantre de la non-violence, elle risque jusqu'à dix ans de prison.

La police pensait déjouer la préparation d'un attentat

Dans la nuit du 16 décembre 2016, ils sont tous deux interpellés par des policiers du Raid, de la DGSI, de la SDAT (sous-direction anti-terroriste) en collaboration avec la Guardia Civil. Ce soir-là, les autorités pensent qu'un attentat se prépare dans une annexe de la maison de la journaliste, à Louhossoa, dans l'arrière Pays basque. Ils y découvrent un important stock d'armes, de munitions et d'explosifs et embarquent les cinq personnes présentes. Toutes sont issues de la société civile. L'opération est présentée comme "un nouveau coup dur porté à l'ETA". 

"Neutraliser des armes pour que cesse la violence"

Très vite, il s'est avéré qu'aucun attentat n'était en préparation. Les armes trouvées sur place, représentant un quart de l'arsenal de l'ETA, avaient été rassemblées en vue de leur destruction. Stéphane Etchegaray, cameraman à Mediabask, était sur place pour immortaliser la scène. Il a d'ailleurs rapidement été mis hors de cause.

Michel Bergouignan et Michel Berhocoirigoin, présents eux aussi et aujourd'hui décédés, tous deux figures du monde agricole basque, devaient être les témoins de ces destructions.

Il s'agissait de neutraliser des armes pour que cesse la violence, pour que nos enfants connaissent un avenir sans bombe.

Béatrice Molle-Haran

"Cette action n'avait aucune intention criminelle, c'était une démarche pacifiste. Il s'agissait de neutraliser des armes pour que cesse la violence, pour que nos enfants connaissent un avenir sans bombe", explique Béatrice Molle-Haran.

C'est bien ce qu'elle compte répéter, sept ans après les faits, aux juges de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, spécialisée dans les dossiers relatifs au terrorisme. 

C'est grâce à Louhossoa que le processus de paix a pu avancer

Jean-Noël Etcheverry dit Txetx

"Si c'était à refaire, on le referait"

"Il est ahurissant de nous juger alors que c'est grâce à Louhossoa que le processus de paix a pu avancer, c'est un vrai paradoxe" ajoute son co-prévenu, Jean-Noël Etcheverry.
"Notre action a, au contraire, permis d'ouvrir le dialogue avec les autorités, d'aboutir à un désarmement total en quelques mois, à la dissolution de l'ETA en 2018 et à améliorer le statut des prisonniers basques.". Il interroge : "sans notre initiative, que se serait-il passé ? Où en serions-nous aujourd'hui ? Le gouvernement ne faisait rien. Nous, on a décidé d'agir, on a pris des risques. On assume pleinement : si c'était à refaire, on le referait".

Anaiz Funosas, la présidente de l'association Bake Bidea, le "chemin de la paix" en basque, affirme clairement qu'aujourd'hui, personne ne remet en question le bien-fondé de cette initiative. "Ils ont fait ce que les États auraient dû faire. Et ça a porté ses fruits, c'était un engagement pour la paix. C'est un procès qui ne devrait pas avoir lieu, il y a une hypocrisie énorme". Elle rappelle que huit anciens ministres ont signé le manifeste de soutien aux prévenus, ainsi que plusieurs dizaines d'élus locaux, députés et sénateurs. 

Un ancien ministre de l'Intérieur en soutien

Maître Jean-Michel Baloup, l'avocat de Béatrice Molle-Haran, a bon espoir d'une issue favorable. Il plaidera la relaxe comme ses trois confrères appelés à défendre Jean-Noël Etcheverry. "Nos clients ont voulu œuvrer pour la paix et se retrouvent accusés d'avoir réussi. Alors qu'il est évident qu'à aucun moment, il n'y a eu de volonté délictuelle".

Pour la défense, il pourra compter sur l'ancien ministre de l'Intérieur, Matthias Fekl. Il était en poste en 2017, lors du désarmement définitif de l'ETA. "Il a accepté de venir témoigner, car il juge notre action positive. Lui-même ne comprend pas ce renvoi", assure Jean-Noël Etcheverry. Les maires d'Hendaye, de Bayonne ainsi que le préfet de l'époque, Éric Morvan, seront également appelés à la barre, à la demande de la défense. 

Nous n'avons pas transporté et détenu des armes pour qu'il y ait des attentats, mais pour qu'il n'y en ait plus

Jean-Noël Etcheverry

 "Nous n'avons pas transporté et détenu des armes pour qu'il y ait des attentats, mais pour qu'il n'y en ait plus. C'est important que ce soit reconnu par le tribunal", souligne Jean-Noël Etcheverry.

Les deux prévenus encourent jusqu'à dix années de réclusion criminelle ainsi que leur inscription au fichier antiterroriste. Mais attention, "une condamnation ne serait pas comprise", prévient Me Xantiana Cachenaud, conseil du militant pacifiste. Elle redoute les frustrations que cela pourrait entraîner sur le territoire basque.

En jeu, l'avenir du Pays basque

Au contraire, "la relaxe serait une décision juste et permettrait une poursuite sereine du processus de paix", car "il reste du chemin à parcourir" souligne Jean-Noël Etcheverry. Il souhaite qu'un "travail de vérité, de mémoire pour les générations à venir", puisse être effectué, "ensemble et dans un climat serein". 

Sept prisonniers basques sont encore sous les verrous, rappelle Anaiz Funosas. Six hommes à Lannemezan et une femme à Réaux. Dont deux ont encore le statut de "détenu particulièrement signalé" donc soumis à des mesures de surveillance accrues. "Et ceux qui sont aujourd'hui libérés doivent se plier à des contrôles tous les trois mois pendant dix ans. C'est encore de la peine rajoutée" se désole la présidente de Bake Bidea.

L'association organise un rassemblement devant le tribunal, le mardi 2 avril à 12h30, avant le début de l'audience, en présence des soutiens politiques et des familles des prévenus. Elle appelle aussi à des manifestations le 3 avril à Mauléon, Saint-Jean-Pied-de-Port et Bayonne notamment.

Son objectif : que le tribunal valide, par son jugement, "une paix durable en Pays Basque". "Nous sommes à la veille du jour où ce territoire pourra regarder son passé et construire l'avenir des générations futures".

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