Quand rester chez soi n’est plus possible, mais qu’il est encore trop tôt pour s’installer dans une maison de retraite ou un EHPAD, il existe d'autres solutions. Des seniors s’installeront prochainement dans une maison partagée au Pays basque. Un projet porté par l'association "Gurekin" et ses bénévoles et permet de lutter contre l'isolement.
"Là, c'est la passerelle... Et toi, tu es là". Sous leurs casques de chantier, ils commencent à imaginer l'emplacement de leurs appartements, leur futur aménagement au sein de ce qu'on appelle ici la "maison partagée" à Urt, dans les Pyrénées-Atlantiques. Où va-t-elle mettre ses plantes ? Comment est orientée la terrasse ? Sous la grue, la structure se dessine grâce aux murs de parpaing. Plus loin, deux hommes scrutent l'avancée de travaux. "Ça prend forme, hein ?" Ouais... Ça fait plaisir "!
Derrière ce nouvel habitat, c'est tout l'enjeu de ces maisons partagées. Que chacun soit acteur de son choix de vie et surtout ne subisse pas l'isolement lié à l'âge. Cela fait deux ans que ce projet est en préparation au Pays basque, porté par l'association Gurekin, qui signifie "avec nous" en Basque. Une équipe de deux salariés et 22 bénévoles accompagnent les résidents dans la coconstruction du projet.
Tous, on se retrouve seuls... Je ne veux pas aller à la maison de retraite, je ne veux pas aller en EHPAD ! C'est une solution à ma vieillesse.
Flore Alberdi, 75 ans
Plus seul, mais chacun chez soi
À Urt, ils seront dix résidents à investir très bientôt cette maison partagée. C'est l'association qui se charge de choisir les personnes qui formeront le collectif. Les critères ? Avoir plus de 65 ans, être autonomes et surtout volontaires. "On n'est pas du tout un établissement médico-social. C'est un logement de droit commun", précise Anabelle Pachon-Trouche, directrice de l'association Gurekin.
Chaque senior a son propre appartement de 46 m², mais il y a des espaces de vie partagés.
Anabelle Pachon-TroucheDirectrice de l'association Gurekin
Pour cela, Jean-Paul Chassaigne, 76 ans, s'apprête à quitter son appartement où il a vécu près de 22 ans. "Je suis très autonome. Je n'ai besoin de personne". Pourtant, en 2021, un souci de santé l'avait contraint à appeler les pompiers, et l'a décidé à ne plus rester seul. L'idée de cette maison partagée lui semble tout indiquée.
Il rejoint alors le groupe qui a commencé à se former sur le projet naissant, et qui se retrouve lors d'ateliers participatifs deux fois par mois. Dans leur logement de 46 m², ils feront comme bon leur semble et, pour les parties communes, tout est possible. À eux de décider, ensemble, ce qu'il doit être. Dans leur projet, il y aura une cuisine, une salle commune, une salle à manger, une buanderie et bien sûr, comme dans chaque maison partagée, un bureau pour l'association. Ce qui permettra une présence quotidienne pour accompagner les moments collectifs.
Sabrina Corrieri et Emmanuel Galerne sont allés à la rencontre de ces séniors qui vont emménager ensemble pour ne plus être seuls.
S'apprivoiser
Au-delà du choix des meubles et des couleurs, l'expérience permet à chacun de décider, partager avec ses futurs voisins et confronter des avis. Tout ce temps à discuter des plans, des travaux, c'est aussi l'occasion de mieux se connaître.
Pour certains, la maison est devenue trop grande et la solitude pèse. "Ma femme vient de mourir, je suis seul..." raconte Pierrot avec émotion. "Je peins, je lis, je me promène et puis voilà..." Et pourtant, le besoin de contacts, la joie de vivre est toujours là. La perspective d'avoir de la compagnie semble lui faire envie. Dans la nouvelle maison, il espère bientôt "faire des crêpes !" assure-t-il dans un sourire espiègle.
Pour d'autres, le fait d'être moins mobile les restreint dans leurs envies de sortie en solitaire par souci de sécurité. "Je pêchais, j'allais aux champignons... Depuis que j'ai ma jambe..." commence à raconter un futur résident, rapidement interrompu par un deuxième, goguenard : "j'irais avec toi ! Tu me montreras tes coins !"
Cette complicité naissante entre les futurs voisins est facilitée par les échanges réguliers, au fil des réunions que l’association organise, deux fois par mois. Des petits jeux ou des moments organisés en duo, facilitant la confidence. On parle cuisine, de ses parents, sa famille, des talents. Autant d'affinités qui permettront à chacun de mieux se projeter dans sa nouvelle vie.
Geneviève, 82 ans, se souvient de leurs premiers échanges."On a mis un certain temps à s'apprivoiser" se souvient-elle. Le "respect et la bienveillance" sont les maîtres-mots de ce collectif naissant.
La première fois qu'on s'est rencontrés, on était tous des inconnus !
GenevièveFuture résidente
Certains deviendront peut-être des amis, mais leur attitude ouverte fait déjà d'eux de bons voisins en devenir. Il semble déjà qu'ils soient tous sur la même longueur d'ondes, la même approche conviviale et respectueuse. "On pourra veiller les uns sur les autres, sans s'imposer, dans le respect".
"Gurekin", la concertation avant tout
Une colocation pour rompre l’isolement c'est le credo de l'association Gurekin . "Chaque projet est différent", explique la directrice Anabelle Pachon-Trouche. La démarche de l'association est d'aller "à la rencontre d’habitants en zones rurales ou semi-rurales pour recueillir leurs besoins, envies et créer avec eux un projet social adapté au territoire". Le concept participatif fait partie de l'ADN de l'association qui, on le rappelle, porte le nom de Gurekin, "avec nous" en Basque.
La solidarité est au cœur du projet également car l'association multiplie les initiatives pour trouver des financements des partenariats, organisant des événements, vide-greniers et autres lotos...
Une idée d'avenir ?
Un nouveau projet à Hasparen, à une vingtaine de kilomètres d'Urt, est en train de se monter. Ici, c'est la mairie qui a fait appel à l'association. Les huit futurs résidents commencent à se côtoyer et à décider de la décoration de leur prochain logis.
"On est une commune qui est très étendue avec des grandes maisons, de grandes fermes dans lesquelles vivent des seniors", décrit la maire, Isabelle Pargade. "Ils sont isolés, ne conduisent plus, leurs enfants vivent ailleurs". Dans le même temps, la commune voulait réhabiliter les logements existant vacants en centre-ville. C'est pourquoi elle a acquis ce terrain qui accueillera bientôt les logements T2 du projet Gurekin mais également des appartements à prix accessibles pour des personnes plus jeunes permettant un mélange intergénérationnel. "C'est une idée d'avenir et j'espère qu'on va pouvoir essaimer dans d'autres communes", conclut l'élue.