L’annonce faite durant les vacances a pris de court de nombreuses entreprises. Le gouvernement demande un renfort des contrôles de l’inspection du travail alors que certains agents dénoncent le manque de personnel et l'absence de cadre juridique.
C’est une des annonces faites le 27 décembre dernier par le Premier ministre. Le gouvernement a choisi de rendre obligatoire le télétravail « "pour tous les salariés pour lesquels il est possible, à raison de trois jours minimum par semaine et quatre jours quand cela est possible". Cette mesure est en place depuis ce lundi 3 janvier et jusqu’au 24 janvier, compte tenu de la dégradation de la situation sanitaire en France.
Pour contraindre les entreprises à mettre en place cette mesure, le ministère du travail a annoncé que les contrôles seraient renforcés avec des sanctions prises à l’encontre des entreprises récalcitrantes. Concrètement, l’amende sera de 1000 euro par salarié, avec un plafond de 50 0000 euros maximum par entreprise. Et l’inspection du travail passera de 1000 à 5000 contrôles par mois.
« Notre boussole, c’est le client »
A la CCi Bayonne – Pays basque comme partout ailleurs, la mesure a pris effet ce lundi 3 janvier au matin. Tout n’est pas encore complètement défini mais cela devrait être le cas dans les jours, voire dans les heures qui viennent. « On va s’organiser », résume Frank Lavieille le directeur général De la Chambre de Commerce et d’Industrie Bayonne Pays Basque.
« Pour certains postes, on pourra peut-être monter jusqu'à quatre jours mais tout ceci va être relié à l’organisation interne".
La CCI est en charge de la gestion des ports, la formation à travers différentes structures, ainsi que l’appui aux entreprises.
« L’appui aux entreprises, en l’occurrence, c’est grosso modo 35 personnes qui aident les entreprises et c’est des services support. Avec la formation, tout ceci fait 70 à 80 personnes. Ces personnes-là ont pour la majorité des postes qui peuvent être « tététravaillables». Nous nous sommes déjà organisés par le passé l’année dernière et l’année d’avant pour avoir des ordinateurs portables et tout le matériel qui permet de travailler à distance. Une nuance : c’est que notre boussole c’est le client. C’est-à-dire que clairement parfois pour l’appui aux entreprises, il est nécessaire d’être sur le terrain. Cela est même souvent nécessaire.
"Ce sera donc le client qui nous donnera cette boussole-là. Mais pour autant dès que nous pourrons être en télétravail, nous le serons pendant ces trois semaines ».
CCI
On est « rodé » (CCI)
Si Frank Lavieille reconnaît une certaine précipitation à remettre en place ces mesures, il ne dramatise pas la situation pour autant et n’évoque pas réellement de panique. « Ce n’est pas si simple à mettre en place effectivement, mais notons deux choses », nuance-t-il. « On a quand même ce télétravail qui a été imposé de fait depuis presque deux ans maintenant et qui nous a rodé sur une certaine organisation. Et puis, moi je donne toujours la priorité au management de terrain.
On a un cap qui est le télétravail. On a une obligation qui est une obligation. Et cela c’est une différence. Avant c’était une préconisation
Franck Lavieille (CCI)
"Donc, à partir de là, ce sera le manager de terrain qui va finaliser avec son équipe l’organisation. Je sors de la direction financière à l’instant, elle m’expliquait qu’en période de bilan, on ne peut pas être que en télétravail parce qu’on a besoin d’aller chercher des documents etc ».
« Il a fallu s’organiser en catastrophe » (Medef)
Au Medef, comme à la Cci, les mesures sont rentrées en application pour les salariés. « Nous sommes partis sur quatre jours avec la possibilité en fonction des cas particuliers de pouvoir peut être réduire ou qu’il y ait une partie qui puisse se faire en présentiel », explique Philippe Neys.
Tout ce qu’on souhaite, c’est que ce dispositif annoncé pour trois semaines ne dure pas plus de trois semaines parce que malheureusement à chaque fois qu’on nous a annoncé des délais ils n’ont jamais été respectés. Souhaitons que cette fois-ci ce soit le cas
Philippe Neys (Medef)
Mais le Medef, c’est surtout plusieurs milliers d’entreprises, plus ou moins grandes, qui ont dû elles aussi réagir vite durant les congés. « Il a fallu s’organiser en catastrophe », explique le président du Medef. "
"Tout le monde était en vacances. Tout le monde reprenait le lundi matin et c’était applicable dès le lundi matin. Toutes les entreprises ont pris les mêmes dispositions ce matin un petit peu en catastrophe".
« On n'est pas très favorable à ce système de sanction » (MEDEF)
Au siège du Medef, le téléphone a sonné dès lundi matin. A l’autre bout du fil, des entrepreneurs un peu perdus et parfois inquiets. « On a eu des entreprises qui avaient des cas particuliers de personnes, qui n’étaient pas autonomes et qui nous demandaient que faire dans ce cas-là », raconte Philippe Neys.
« Parce qu’il y a ce caractère obligatoire qui effraye un peu et qui est amplifié avec ce système de contrôle et donc de pénalisation par une amende qui peut être appliquée. Nous, au Medef, on est pas très favorable à ce système de sanction. Il nous semble que depuis le début de la pandémie les entreprises ont joué le jeu et ne méritent pas d’être sanctionnées à une telle hauteur puisque bien que l’amende soit limitée, le plafond est de 50 000 euros. Ce qui est quand même assez haut. Après, il faut pouvoir contrôler aussi. Et si on veut contrôler l’ensemble des entreprises, il y a un bataillon à mettre en marche qui, je crois, n’est pas disponible ».
Ces derniers jours un certain nombre d’inspecteurs du travail, par la voix de leur syndicats, ont effet dénoncé des contrôles impossibles à mettre en place faute de moyens humains suffisants.
On regrette cette précipitation et on regrette aussi ce caractère obligatoire
président du Medef Pays Basque.
« Car ce qui est obligatoire est quand même en général assez répressif et c’est pas très bon", conclut le président du Medef Pays Basque. "Et ce qu’on peut aussi regretter, c’est que cela ne règle pas le problème de la vaccination. Le télétravail aura peut-être une influence sur la propagation de l’épidémie mais pas sur la vaccination. Or la solution c’est la vaccination ».
« Une mesure d’affichage pure et dure »… (Inspecteur du travail)
Elisabeth Borne a donc demandé à l’inspection du travail de passer de 1000 à 5000 contrôles par mois en France. Pour contrôler une entreprise, un seul passage d’un inspecteur ne suffit pas. Il faut au moins trois visites par semaine pour constater que les salariés appliquent le télétravail dans les règles fixées par le gouvernement. « Cela ne peut pas se faire en une fois, concrètement faut aller trois jours minimums dans une entreprise », explique un représentant de la CGT à l’inspection du travail de la Nouvelle-Aquitaine. « Typiquement, c’est une mesure d’affichage pure et dure », dénonce-t-il.
"En Nouvelle-Aquitaine, l’inspection du travail dispose d’un inspecteur en situation de contrôle pour 1000 entreprises et pour 10 000 salariés". Un ratio qui se situerait à peu près dans la même moyenne qu’au niveau national. Réaliser plusieurs contrôles dans une même entreprise parait donc compliqué voire impossible.
… « sans cadre juridique »
Mais pour lui, le principal problème est actuellement l’absence de cadre juridique. « On attend le texte de loi, car le télétravail contrairement à ce qui est rabâché par le gouvernement n’est pas obligatoire et ne l’a jamais été à l’heure où on se parle », rappelle le syndicaliste qui préfère garder l'anonymat. « Ce ne sont que des recommandations, le conseil d’Etat l’a dit. Et les services des Ressources Humaines des entreprises le savent".
"Sur le plan légal, il n’y a donc pas d’obligation »
Un inspecteur du travail
Une fois qu’un cadre juridique sera mis en place vraisemblablement par la voie d’un décret, comment les inspecteurs procéderont ils ? « Il nous faudra recenser les postes « télétravaillables », constater les situations dangereuses et organiser un entretien contradictoire avec l’entreprises, ce qui n’est pas à la main de l’agent de contrôle mais à la main de la direction régionale du travail voire du ministère lui-même ». L’inspecteur rappelle l’importance du dialogue social au sein de chaque entreprise et considère que le gouvernement « bluffe » et « cherche à faire peur ».
« Nous sommes donc très méfiants »
« Nous ce qu’on réclame depuis deux ans ce sont des dispositifs juridiques simples à manier avec quelque chose de plus fort comme l’arrêt de l’activité par exemple, mais tout en respectant une phase préalable de discussion avec la direction de l’entreprise", propose l'inspecteur du travail. "Mais cela n’a pas l’air d’être l’objectif du gouvernement ». Par ailleurs, le syndicaliste rappelle de précédentes affaires ayant selon lui contribué à « échauder le personnel » de l’inspection du travail, notamment dans la région.
"Nous avons notamment eu l’affaire Anthony Smith sanctionné par hiérarchie sanctionné pour avoir tenté d’imposer des masques à une association d’aide à domicile dans la Marne", poursuit le représentant syndical.
"Et en Nouvelle Aquitaine il y a eu un autre litige lorsque le gouvernement appelait au télétravail et au contrôle de celui-ci notamment à La Caisse d’Epargne. Une mise en demeure a été adressée à celle-ci par un de nos agents. La Caisse d’Epargne a fait un recours et ni notre hiérarchie ni le ministère ne nous ont suivis. Tout cela à l’époque où le gouvernement claironnait sur le télétravail. Nous sommes donc très méfiants ».