Samedi 30 mars, à l'appel du syndicat agricole basque ELB, plus de 400 personnes se sont rassemblées pour soutenir les éleveurs de la ferme Pierrette à Espès-Underein, dans les Pyrénées-Atlantiques. Leur élevage est touché par la tuberculose bovine, 126 vaches doivent être abattues. Ils demandent à l'État une amélioration du protocole qui pèse lourd sur les agriculteurs.
Voilà maintenant vingt ans que Philippe et Sophie Sicre ont repris la ferme familiale Pierrette, à Espès-Underein, dans les Pyrénées-Atlantiques. Plus d'une centaine de vaches gasconnes, de race de qualité, y sont élevées en estive, en Vallée d'Aspe, pour servir au pâturage de montagne. Une fierté pour ces agriculteurs qui ont déjà vu leurs bêtes récompensées lors de salons agricoles, notamment lors du Salon de l'agriculture, à Paris.
Mais en janvier, l'histoire tourne au cauchemar. Une de leurs vaches est testée positive à la tuberculose bovine. Conséquence, selon le protocole en vigueur : l'abattage des 126 autres animaux. Une dizaine d'années de travail partent alors en fumée.
Troupeau infecté
Le 8 janvier, "comme d'habitude, serein", Philippe revient de montagne. "Tous les vêlages se sont bien passés." Sauf que lors de la prophylaxie, le processus prévenant l'apparition et la propagation de maladies, l'état de l'une des vaches alerte. "Il s'est avéré qu'elle avait des lésions dans les poumons et sur un ganglion, des lésions évocatrices de tuberculose, précise l'éleveur. On l'a fait abattre sept jours plus tard à l'abattoir de Mauléon."
On n'est pas prêts à accepter l'inacceptable.
Philippe Sicreéleveur de la ferme Pierrette
La présence de cette maladie infectieuse dans un troupeau entraîne la mise en suspens de la qualification d'élevage. Le protocole prévoit l'abattage total du troupeau, "sans aucun recontrôle", insiste Philippe Sicre. "Tous les animaux de plus de vingt-quatre mois ont été testés négatifs, mais la DDPP et les services de l'État partent du principe que les tests ne seraient pas fiables à 100 %, explique-t-il. Donc dans le doute, pour ne pas faire évoluer la maladie sur le territoire, c'est abattage total du troupeau."
"La ferme française va mal"
La tuberculose bovine, cette maladie infectieuse transmissible à l'homme, est présente depuis vingt ans dans le département. Des centaines d'élevages ont déjà été touchés, dont plus récemment une dizaine de fermes dans les Pyrénées-Atlantiques, qui comptaient 4 330 exploitations en 2023, soit deux fois moins qu'il y a vingt ans. "La ferme française, dont on vante les mérites, va mal, lâche Sophie Sicre. Il faut qu'on la sauve, c'est important."
Moins de 5 % des animaux abattus sont infectés, on abat 95 % des animaux sains, et ça on le remet en cause.
Sophie Sicreéleveuse de la ferme Pierrette
C'est justement pour faire entendre la voix des exploitants que plus de 400 personnes, éleveurs, amis, consommateurs et élus locaux, étaient réunies, samedi 30 mars dans la ferme Pierrette, à l'appel du syndicat agricole basque ELB. Tous demandent une évolution du protocole concernant la tuberculose, inquiets pour l'avenir de la filière bovine. Arno, un consommateur régulier de la viande de la ferme, a fait une quarantaine de kilomètres depuis Irrissary, pour venir soutenir les éleveurs. "On est tous concernés, c'est primordial de soutenir les agriculteurs en difficulté, lance-t-il. Nous avons ça dans les gênes basques, l'union, le combat, la solidarité, on pense à eux et à nous aussi, car la difficulté des agriculteurs, ça nous menace, on extermine notre mère nourricière qu'est l'agriculture."
Faire évoluer le protocole
Parmi les personnes mobilisées, Dani une amie de la famille, mais aussi une ancienne éleveuse de brebis. Elle aussi a tenu à être présente. "C'est inadmissible ce qui arrive, tout le troupeau n'est pas atteint de cette maladie. Il faudrait qu'il y ait une autre stratégie pour pas abattre le troupeau entier."
La filière bovine est réellement en danger dans le secteur des Pyrénées-Atlantiques et on a besoin qu'on nous laisse travailler en paix.
Enguerrand Knechtmembre de la commission Bovine du syndicat agricole ELB
"Le problème de la tuberculose, c'est qu'on a une maladie qui bouge d'une zone à une autre sans vraiment de logique, on a du mal à la comprendre, à l'analyse, déplore Enguerrand Knecht, membre de la commission Bovine du syndicat agricole ELB. La DDPP (direction départementale de la protection des populations) fait cet aveu-là de faiblesse et on voit une stratégie adoptée auprès des éleveurs qui est beaucoup trop importante et trop forte. La pression est trop grande pour le résultat qu'il y a, on a besoin d'assouplissement, d'air pour respirer."
Abattage partiel
Les éleveurs ne réfutent pas l'abattage des vaches infectées, mais plutôt la gestion de la maladie. "On demande un changement de protocole sanitaire, que les paysans soient pris en compte, que ça devienne vivable", réclame Sophie Sicre. Pour Enguerrand Knecht du syndicat agricole ELB. C'est le protocole d'abattage total qui est très souvent priorisé au détriment de l'abattage partiel, la contrainte pour l'éleveur est très forte."
On a certes des indemnisations mais on n'arrive jamais à ce qu'on avait avant en termes de densité de troupeau, de génétique. Ce qui est perdu, est perdu, on n'arrive pas à le faire comprendre au service de l'État et notamment la charge mentale pour les éleveurs est très importante chaque année.
Enguerrand Knechtmembre de la commission Bovine du syndicat agricole ELB
Face à la maladie, l'État a mis en place en 2023 de nouvelles mesures de prévention et d'accompagnement, pour faire face à la hausse du nombre de foyers constatée dans plusieurs zones géographiques (sud-ouest, Normandie, Corse) et sa persistance dans d’autres (Côte-d'Or, Camargue) : formation à la biosécurité en élevage bovin, revalorisation de l’indemnisation des abattages diagnostiques, lancement d’une expérimentation vaccinale sur la faune sauvage, mais aussi un nouveau test de dépistage. "Les récentes évolutions réglementaires au niveau européen autorisent le recours au test Interféron gamma qui permet de réduire la durée de blocage des élevages suspectés d'infection et de limiter le nombre d’abattages d’animaux suspects, tout en maintenant une surveillance optimale des troupeaux."
Avec la forte mobilisation de ce samedi, Philippe et Sophie espèrent changer la donne et passer outre l'abattage de leur troupeau. "Nous, on le fait pour nos enfants, pour nos copains parce qu'on n'a pas envie qu'ils le vivent non plus et l'élevage bovin va très mal donc c'est un cri d'alerte et de désespoir."