Les montagnes du pays basque sont un formidable terrain de jeu pour les spéléologues. Dans ces gros morceaux de gruyère, des centaines de grottes sont accessibles à l’homme, avec leur lot de merveilles… à condition d’être prêt à plonger dans un autre monde : celui de l’obscurité, des stalagmites et des stalactites millénaires, et des rivières sousterraines.
Seuls trois sites sous-terrains sont aménagés : la grotte de Sare, les grottes d’Isturitz et d’Oxocelhaya, et la grotte de la Verna. Les cavités restantes sont des endroits sauvages, connus des seuls initiés à la spéléologie, et des conteurs de légendes.
Explorateurs du monde souterrain
Après d’une heure en amont de la ville de Saint-Jean-Pied de port, la grotte d’Oihanbeltxa est bien connue des bergers du massif d’Urkulu : un trou béant, au pied d’un mur de roche, qui s’enfonce en pente raide dans l’obscurité. Elle est aussi connue des amateurs de spéléologie locaux. L’association Leize Mendi y fait régulièrement des sorties.
Il faut s’équiper avant d’entrer, car sous terre, la température est fixe, 6 °C, et correspond à l’altitude de la grotte : 1200 mètres, sur les hauteurs de la commune d’Esterençuby.
La porte vers un monde différent
L’entrée dans une grotte est souvent un moment particulier : c’est la zone frontière entre le monde extérieur, et le monde souterrain. Ici, quelques mousses ont pu pousser sous la faible lumière du soleil qui filtre entre les rochers. Quelques oiseaux nichent dans les anfractuosités des murs. Pour entamer la progression, il faut descendre en rappel sur une dizaine de mètres : un élément de plus pour se mettre dans l’ambiance. Car rapidement, la lumière du jour se fait de plus en plus rare et finit par disparaître. Ne reste plus que la lumière des frontales pour guider les explorateurs du monde souterrain.
Un sport de montagne
La spéléologie, pour certains, est un sport de montagne au même titre que l’escalade ou le VTT, ni plus ni moins dangereux. Une longue randonnée, de cailloux en rochers, de glissades en goulots d’étranglement.
Si les cavernes offrent souvent de grands espaces, des salles dans lesquelles on peut se tenir debout, assez régulièrement, la cavité rappelle à l’homme qu’il n’est pas chez lui. Il faut parfois ramper dans une terre argileuse pour accéder à la suite du méandre. Car ce ne sont pas des routes ou des sentiers que le promeneur suit, mais bien un labyrinthe creusé par des millions d’années d’interactions entre l’eau et la roche.
Les grottes sont toujours le résultat du creusement de massifs calcaires par l’eau de pluie, transformée en rivière à force de ruissèlement. C’est le chemin que suit le spéléo. Dans la grotte d’Oihanbeltxa, la rivière a depuis longtemps disparu, s’étant déplacée vers d’autres lits.
Pourtant, sa trace est toujours présente : de grands sillons creusés au niveau des parois laissent entrevoir la force d’anciens torrents. Se faufilant partout et à divers degrés, celle-ci a creusé de nombreuses galeries différentes, occasionnellement parallèles ou cachées.
Plongé dans le noir, ne voyant qu’à quelques mètres devant lui, le spéléologue se surprend à rêver de ce qu’il ne voit pas : des lieux invisibles, mais aussi des êtres mythiques. Les contes et légendes du Pays basque comportent toute une mythologie liée aux grottes : les laminak, sortes de fées des rivières, Behi Gorri la vache des cavernes, ou les ours. Plus que l’aspect sportif, la découverte et le mystère pousse le spéléologue toujours plus loin, toujours plus profond.
La Verna, plus grande salle souterraine du monde
C’est cette curiosité insatiable qui a poussé, en 1950, un groupe de spéléologues confirmés, à s’attaquer au massif de la Pierre-Saint-Martin. Depuis un certain temps, les géologues soupçonnaient l’existence d’un réseau de rivières souterraines en amont de la commune de Saint-Engrace, au fin fond de la Soule. A 1 700 mètres d’altitude, l’équipe entre par le gouffre Lépineux, et lance l’une des grandes épopées de la spéléologie du XXᵉ siècle.
Ce qu’ils découvrent là-dessous dépasse leurs rêves les plus fous : de grandes salles s’enchaînent les unes après les autres, le long d’un torrent alimenté par les neiges du massif. Mais les moyens de l’époque rendent la progression difficile, et les expéditions s’enchainent sur plusieurs années.
En 1952, un évènement tragique fera connaitre la Pierre Saint-Martin au grand public : le spéléologue Marcel Loubens décède après une chute d’une trentaine de mètres jusqu’au fond du gouffre. Son mousqueton a lâché L’opération de sauvetage tentée alors fait la une des journaux pendant plusieurs jours. L’exploration continue malgré le drame.
En 1953, à 3,5 km de l’entrée, les spéléologues Georges Lépineux, Jimmy Théodor, Daniel Epelly, Michel Letrône et Georges Ballandraux découvrent une cavité bien plus grande que tout ce qui est connu : la plus grande salle souterraine au monde. Elle est baptisée grotte de la Verna, du nom du club de spéléologie à l’origine de ces expéditions. Ses dimensions sont hors normes : 6,3 millions de mètres cube de volume, l’équivalent de plus de 10 cathédrales Notre-dame-de-Paris. Hauteur sous le plafond : 194 mètres. Elle est encore aujourd’hui la 3ème salle la plus volumineuse à avoir été découverte sous la surface du globe.
L’exploration souterraine pour tous
La Verna est accessible au grand public aujourd’hui. À partir de la fin des années 50, un tunnel est creusé avec pour objectif de convertir la puissance de la rivière souterraine en électricité, menant directement à la cavité géante. Si le potentiel hydroélectrique de la Verna est longtemps resté inexploité, du fait d’un trop faible débit, cet accès permet aux touristes de découvrir ce bijou souterrain. Des visites sont organisées avec l’idée d’immerger le plus possible le visiteur dans la peau des pionniers, sans leur en faire prendre les risques.
L’accès est praticable par les personnes à mobilité réduite, et des itinéraires hors des sentiers battus sont possibles, pour les plus téméraires. De vraies sorties spéléo sont aussi organisées.
Car des spéléologues du monde entier de continuer l’exploration du massif. 3,5 Km de galeries étaient connus en 1953 ; plus de 300 ont été répertoriés à ce jour. L’Association de Recherche en Spéléologie de la Pierre-Saint-Martin (ARCIP) coordonne chaque année de nouvelles expéditions. Elle fait collaborer spéléologues, géologues, topographes, naturalistes et scientifiques en tous genres, pour mettre au jour, toujours un peu plus, les mystères de ce monde colossal. L’Arcip estime la longueur totale de ces réseaux à 900 km.
Qui sait quelles merveilles il reste à découvrir sous les montagnes du Pays basque...
Pour info, la Journée Internationale des Grottes touristiques et du Monde Souterrain aura lieu le 6 juin 2023