Parvis des Halles, mail Chaho Pelletier, esplanade Roland Barthes et bords de Nive déserts. Pas de village de la gastronomie, de stands habituellement tenus par plus de 30 salaisonniers, pas de concours du jambon fermier, pas de musique, pas de foule.
La décision d'annuler ce rendez-vous traditionnel de la veille de Pâques avait été prise dès le 10 mars par Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne, en raison de la crise du Coronavirus, et à l'époque, par principe de précaution.
La possibilité alors évoquée de l'organiser mi-juin semble s'éloigner. On parle désormais plutôt du mois d'octobre.
Mais au-delà d'une fête des papilles reportée, ce sont surtout les conséquences de la crise sanitaire qui fragilisent tout le secteur de l'agroalimentaire qui préoccupent la profession.
Pour des entreprises de 10 à 15 salariés, la Foire au jambon représente 5 à 20 % des ventes annuelles.
Peio Etxeleku, vice-président du consortium Jambon de Bayonne
Le rendez-vous de Pâques est pour le Consortium un formidable outil de communication : télévisions, radios, presse écrite, de France et du monde couvre l'événement.
Journalistes britanniques, espagnols, japonais, chinois, italiens ont réalisés des reportages autour de cette fête ces dernières années.
Et puis comme le soulignent des charcutiers, certains ateliers de petite et moyenne taille font à Bayonne en quatre jours l'équivalent de deux mois de vente. Les charcutiers produisent en perspective de la foire, qui permet aussi à certains de déstocker. Rien de tout cela ce printemps.
A cela s'ajoute avec la crise du Coronavirus qui engendre l'annulation de fêtes, d'animations et la fermeture des restaurants, cantines (des crêches, établissements scolaires, centres de formations, entreprises etc.). Les artisans charcutiers achètent beaucoup moins de porcs chez leurs éleveurs habituels. Le porc IGP jambon de Bayonne, normalement mieux valorisés que le tout venant, risque de rester sur les bras des éleveurs. Les charcutiers essaient de trouver des solutions avec eux, mais dans certains élevages, les cochons arrivent à l'âge d'un an, et sont prêts. Voici comment une crise sanitaire débouche sur une crise économique qui affecte en cascade une filière entière et la fragilise dangereusement.
Valoriser la tradition
La Foire débute traditionnellement par le concours du jambon fermier, le jeudi matin. Dès 7 heures, entre quarante et cinquante particuliers préparent au pied des halles, leurs jambons, rivalisant parfois d'imagination pour présenter leur produit : aux couleurs du BO et de l'Aviron bayonnais, réconciliant ainsi les supporteurs des deux clubs de rugby, autour du jambon.
D'autres font des décors champêtres style forêt d'Iraty, chasse à la palombe, toutes traditions confondues, ou encore assignent à des danseurs du carnaval avec leur bérets rouges, le rôle de gardiens de leur salaison.
Un jury de trois charcutiers (en noir sur la photo, Eric Ospital, Christian Montauzer et Jeannot Codega) évalue la qualité des jambons proposés : présentation, formes, couleurs et surtout, parfum.
Pour en juger, ils plongent dans la chair du jambon, du côté de l'os, une tige elle même généralement en os (péroné du cheval), qui est neutre et permet aux nez fins des experts, de humer les parfums du jambon.
Le jambon qui gagne le premier prix a pu atteindre les mille euros certaines années. Les trois pièces s'étant classifiées au top du jambon fermier sont mises aux enchères. Généralement, ce sont des "rabatteurs" qui travaillent pour de grandes tables étoilées qui l'emportent. Mais la mairie de Bayonne et le Consortium ont également acquis ces dernières années le précieux jambon, pour l'offrir à la Table du soir (association qui prépare des repas pour les personnes sans abris ou en grande difficulté).
Il y a encore beaucoup de personnes qui travaillent leur jambon près de deux ans pour participer à ce concours plutôt hors norme.
Selon les charcutiers membres du jury, il faut les soutenir en continuant de valoriser leur démarche.
Et le succès est là : c'est une foule qui assiste au concours et à la remise des prix.
Une belle dynamique s'est mise en place depuis quatre à cinq ans et tous avaient constaté que de nombreux candidats se manifestaient chaque année un peu plus.
Une belle valorisation de la tradition.
Ce matin on s'est dit mince, pas de foire au jambon,
pas de concours fermier,
ça rajoute de la morosité.
Mais ça va rebondir.
J'ai confiance en une prise de conscience de la valeur des circuits courts, des produits de qualité et de leur traçabilité.
Christian Montauzer artisan charcutier
La Foire au jambon est pour nous journalistes, dans notre jargon, un "marronnier" : un sujet qui revient chaque année, mais que comme les artisans charcutiers, les producteurs fermiers, le consortium et les chalands, avons hâte de pouvoir revivre et suivre à nouveau !