Porter plainte, aider les victimes à libérer la parole, ou même signaler une situation de danger immédiat à la justice. Depuis le 17 mars, les médecins qui soupçonnent des violences conjugales peuvent se faire accompagner par une unité spécialisée afin de mieux prendre en charge les victimes.
C'est l'histoire de Salma. "Trente-neuf ans, un mètre 57, corps frêle, regard mêlant peur et espoir, visage dissimulé sous un voile d'été". Les mots pour décrire cette mère de famille sont ceux de Jean Hiquet, médecin légiste et chef de service de l'unité médico-judiciaire (UMJ) de Pau.
C'est lui qui a accueilli Salma, battue, insultée et violée par son époux. Le médecin revient sur le jour où Salma a trouvé le courage d'emprunter" la trottinette de son fils et de franchir les portes du centre hospitalier pour demander de l'aide, parce qu'elle avait entendu parler de l'existence "d'un service qui s'occupait de femmes comme elle".
Jean Hiquet le raconte dans un thread (fil de discussion) à dérouler sur Twitter.
« Excusez moi Monsieur,il faut m’aider ».... ces quelques mots me parviennent alors que je referme la porte de l’UMJ, il est 18h...Ces quelques mots sont ceux de Salma,39 ans,1m57,corps frêle,regard mêlant peur et espoir, visage crispé dissimulé sous un voile couleurs d’été
— Jean Hiquet (@JeanHiquet) March 14, 2021
Rompre le secret médical
Ce service, c'est l'UMJ. L'équipe sur place, percevant l'urgence de la situation alors que le mari de Salma rôde dans les couloirs, prend l'initiative de lever le secret professionnel. Elle en informe la trentenaire, puis contacte la procureure de la République. Salma quittera alors l'hôpital sous protection policière.
Depuis le vote du Sénat le 21 juillet 2020, le corps médical est autorisé à rompre le secret professionnel en cas de "danger immédiat". A Pau, cette législation a favorisé la mise en place d'un tout nouveau protocole, spécifique aux violences conjugales, et entré en vigueur le 17 mars. Un accord signé entre le conseil départemental de l'ordre des médecins, la procureure Cécile Gensac, l'hôpital de Pau et l'Unité médico-judicaire.
Lutte contre les violences familiales à Pau : protocole signé : plainte depuis l'UMJ à l'hôpital, de constat des blessures et de prélèvements pour viols sans plainte + levée du secret médical pour protéger les victimes sous emprise et accompagner ces médecins. @RomeIsabelle pic.twitter.com/T5BcKf69FV
— Procureure Pau (@gensac33) March 18, 2021
Un accompagnement pour les médecins de ville
Désormais, en cas de danger immédiat d'une patiente, ou si elle se trouve sous l'emprise d'un conjoint violent, les médecins peuvent se faire accompagner par l'UMJ de Pau. L'équipe hospitalière peut alors organiser une consultation pluridisciplinaire avec la victime présumée et lui permettre de se confier à une représentante d'association d'aide aux victimes de violence conjugales.
Un rapport conservé pendant trois ans
Toute une procédure se met ensuite en place. Si la victime le souhaite, elle pourra remplir une pré-plainte, dès l'hôpital. Au cas où elle s'y refuserait, l'équipe a alors la possibilité d'établir un rapport et d'effectuer des prélèvements. Le dossier sera ensuite conservé pendant trois ans, et pourra être ressorti au cas où la victime se déciderait dans cet intervalle à porter plainte.
En cas de danger immédiat, l'UMJ peut également, comme dans le cas de Salma, faire un signalement direct auprès du parquet.
Un protocole qui pourrait bien devenir un outil précieux pour les médecins de ville, de l'avis de Sylvie Harmant. Rhumatologue, elle est aussi vice-présidente du Conseil départemental de l’Ordre des médecins des Pyrénées-Atlantiques. "Les dossiers de violences conjugales ne peuvent pas être traités en cinq minutes. Ce protocole permet un soutien", estime-t-elle.
La procureure de la République a bien précisé qu'un mauvais signalement ne serait pas sanctionné, le pire, c'est de ne pas signaler. Signaler, ce n'est pas dénoncer. À charge ensuite au parquet de mener son enquête.
"Il va falloir accompagner la mise en œuvre du protocole d'une information auprès des professionnels, précise Jean Hiquet. Certes, l'outil est intéressant, et prometteur, mais il faut qu'il puisse être expliqué, compris, et que les médecins soient rassurés dans leur démarche."
En 2020, 394 victimes de violences conjugales ont été reçues à l'unité médico-judiciaire de l'hôpital de Pau, soit 47% de plus qu'en 2019