Durant cinq semaines, le tribunal de Paris va se pencher sur l’affaire de détournement de fonds du Parlement Européen par le Modem. Au centre du procès, François Bayrou, président du Modem et maire de Pau.
Ce lundi 16 octobre, la 11ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris se remplit doucement. Dans la salle d’audience, quelques curieux prennent place, des étudiants pour la plupart. Ils ne sont pas nombreux. Et pour cause, l’affaire semble encore complexe pour le grand public, malgré les six années d'enquête. La presse l’a d’ailleurs senti. Seule une dizaine de journalistes sont présents, principalement des médias de Pau et des Pyrénées, ainsi que quelques titres de presse écrite parisiens.
Nombreux soutiens
Aux premiers rangs, les soutiens, eux, sont nombreux. Des membres du Modem, dont Josy Poueyto, députée des Pyrénées-Atlantiques, mais aussi des membres du conseil municipal de Pau, qui ont fait le déplacement pour soutenir leur maire, François Bayrou.
Lui, se veut souriant, confiant, malgré la fébrilité qui règne tout près du banc de la défense. Une bise, une claque dans le dos de ses proches. À quelques minutes de l’ouverture du procès, le président du Modem se montre prêt à affronter les cinq semaines de procès qui l'attendent. Son audition n’est cependant pas tout de suite. Il ne sera entendu que le 7 novembre prochain.
Au premier rang, sur le banc, les prévenus doivent se serrer. Sans succès pour certains, qui sont contraints de s’assoir dans la salle. Derrière eux, leurs avocats, une vingtaine pour représenter les dix prévenus – des cadres et anciens députés européens – sont massés sur les trois bacs de la défense.
Préparer le terrain
Il est 15 h 50, le procès fleuve démarre déjà avec du retard. Vingt minutes, sans doute un détail face aux heures d’audience auxquelles se préparent avocats et prévenus et partie civile. En premier lieu, les prévenus défilent à la barre pour entendre les faits qui leur sont reprochés : François Bayrou, Michel Mercier, Alexandre Nardella… Suivent ensuite les témoins, contraints de quitter la salle jusqu’à leur audition, prévue le 23 octobre.
Mais avant de juger le fond, il faut déterminer les exceptions et nullités liées à la procédure. Un échange très technique entre les avocats s’enclenche, avant une suspension de séance. Dans la salle, les quelques étudiants venus assister au procès ont l’air hagard, perdus par la technicité des échanges.
Un courrier de Mathieu Lamarre le 2 juin 2017 au parquet: employé par l Udf comme responsable web en 2010-11 et à même période par le député européen Jean-Luc Bennahmias, payé intégralement par l Europe
— Elise Daycard (@edaycard) October 16, 2023
Aucun enrichissement personnel
Viennent ensuite le rappel des faits et l’historique depuis le début de l’enquête en 2017. Après six ans d’enquête, ce sont 11 emplois qui sont questionnés lors de ce procès, reflet d’un “système” mis en place par le Modem pour rémunérer à moindre coût ses collaborateurs, grâce à des contrats d’assistants parlementaires. Ces contrats, payés par le Parlement européen, les liaient à des députés européens, issus du Modem.
Cependant, pour les juges d’instruction, ces derniers étaient également employés en tant que collaborateurs du Modem. “Il n’a été retenu que les cas où les assistants parlementaires n'ont pas ou quasiment pas travaillé pour le député européen”, précise le président, qui rappelle que cette affaire ne concerne “aucun enrichissement personnel”.
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La défense est sur le qui-vive. Me Teitgen réagit. "Il y a la presse ici, elle n'a entendu que les arguments de l'accusation", martèle l'avocat de l'UDF et du Modem. "C'est prévu", répond le président, dans ce qui s'annonce être la première joute verbale d'une longue série, les nombreux avocats de la défense étant très aguerris à l'exercice.
Le Parlement européen en question
Deux heures après son début, le procès démarre enfin. À la barre, les représentants du Parlement, son directeur général des finances accompagné du jurisconsulte ouvrent le bal. Les questions s'enchaînent, chacune très précise, sur le tiers-payant, au cœur du "système" créé par le Modem pour rémunérer les assistants parlementaires européens, ou encore le niveau d'informations des députés quant à la législation sur les contrats des assistants parlementaires.
"Le secrétariat de chaque groupe est là pour donner toutes les informations", explique le représentant du Parlement européen qui reprécise la règle : “deux emplois à temps partiel sont permis. Mais il faut qu’ils soient séparés, pour que l’un ne déborde pas sur l’autre.” Le parlement s'est déjà porté partie civile lors de procès pour détournement de fonds européens en Roumanie, Hongrie ou encore Italie. En France, c'est la première fois.
Deux contre vingt
La nuit commence à tomber derrière les parois vitrées de l'immense bâtiment judiciaire. Après l'unique suspension de l'après-midi, la salle s'est vidée de moitié. Des rires éclatent, après une erreur de langage du représentant du Parlement. Ils semblent réveiller d'une torpeur ceux qui sont encore présents.
La Défense, elle, ne dort pas. Les prévenus, le regard fixé sur l'échange avec le président, écoutent attentivement chaque information livrée par les représentants du Parlement. Derrière, leurs avocats tapent sur le clavier de leurs ordinateurs, préparent leur tour. Pas moins de six d'entre eux questionnent, chacun pour le compte de leur client, les représentants du Parlement sur la partialité de l'enquête ou encore leur capacité à identifier et évaluer le travail des assistants.
“Il nous a été impossible de prouver le travail d’assistants. Même des rendez-vous notés à la main dans un agenda entre un député et son assistant n’ont pas été recevables”, affirme un des avocats de l’UDF. “Lorsque des pièces nous arrivent, nous dressons un inventaire et nous vérifions leur authenticité”, répond le directeur général des finances.
Face à cette armée engagée à protéger leurs clients, la procureure tente de livrer sa bataille, à quelques mètres de l'avocat de la partie civile, Me Maisonneuve. Un combat ardu : les avocats de la défense, pour certains disséminés dans la salle faute de place, n'hésitent pas à souligner la moindre faille en faveur des onze députés et cadres du Modem. Comme dans un marathon, tous doivent désormais tenir la distance jusqu'au 15 novembre prochain.