Les médecins libéraux appellent à une grève nationale ce 13 octobre contre le projet de loi Valletoux, examiné au Sénat fin octobre. Changement de la tarification des consultations, déserts médicaux ou encore travail en réseau, les professionnels craignent une médecine à deux vitesses.
Ce vendredi 13 octobre, le Dr Vonick Corvest n'ouvrira pas son cabinet de Bizanos près de Pau. Il ira rejoindre bon nombre de ses confrères dans la rue à 14h30 devant la CPAM de Bayonne. S'il est en colère, c'est que celui qui est également l'un des porte-parole de l'association "Médecins pour demain" en Aquitaine, estime ne pas pouvoir soigner comme il le voudrait, ni diriger ses malades dans un temps raisonnable vers des spécialistes.
Nous avons vu, sur les dernières années, l'aggravation de la prise en charge du soin pour les Français.
Dr Vonick Corvest, médecin généraliste à Bizanos (64)Rédaction web France 3 Aquitaine
Après cinq années à effectuer des remplacements en tant que généraliste, le Dr Corvest s'est installé en 2009 auprès de quatre autres confrères, dans un cabinet médical à Bizanos près de Pau. Il exerce en milieu urbain et partiellement rural. Ses journées de plus de 10 heures sont bien remplies, composées à 80 % de consultations, au cabinet ou à domicile et de gardes. Il est assez représentatif des généralistes d'aujourd'hui.
Nous dans le Béarn, c'est un peu comme la grosse majorité de la France, c'est-à-dire que vous avez entre 85 et 88 % du territoire français qui est un désert médical.
Dr CorvestRédaction web de France 3 Aquitaine
Le médecin s'insurge contre les délais de prise en charge des patients "qui augmentent de manière complètement inacceptable". À l’époque de son installation, il observait qu'il fallait pour ses patients attendre trois semaines en moyenne pour un rendez-vous chez un cardiologue. "Actuellement, on est autour de quatre à cinq mois !" Pour un ophtalmo, dermato, gastro-entérologue ? "Sur Pau, c'est plus d'un an". "On a un service de gastro-entérologue à l'hôpital, mais il n'arrive plus à tenir. Il n'y a plus assez de lits, ils n'arrivent plus à prendre en charge. Du coup, ils refusent les patients extérieurs à l'hôpital".
Toutes les spécialités sont complètement détruites. Et ça, c'est inacceptable pour les patients. On ne peut pas tolérer que la situation aille dans ce sens.
Dr CorvestRédaction web France 3 Aquitaine
Vonick Corvest décrit un système qui est, selon lui, en train de s'effondrer, qui ne place plus le patient au centre des préoccupations et dans lequel les médecins libéraux sont en porte-à-faux. La faute au manque de renouvellement des médecins. "Ça fait plus de 30 ans, nous, médecins personnels de santé, qu'on fait remonter aux politiques qu'il va y avoir un gros problème à cause notamment du numerus clausus. Et rien n'a été fait dans ce délai".
Mais c'est aussi un métier devenu moins attractif. Trop d'heures, trop de charges administratives et pas assez rémunérateur. Par ailleurs, le médecin devient le réceptacle de toutes les colères. "Elles se déversent sur nos secrétaires qui se font insulter quotidiennement, elle se déverse sur nous".
Parce qu'on a des gens mécontents qui ne comprennent pas pourquoi, avant ça fonctionnait, et maintenant ça ne fonctionne pas.
Dr CorvestRédaction web France 3 Aquitaine
Contre le projet de loi Valletout
Au-delà du tarif des consultations, la colère des praticiens se cristallise autour de la proposition de loi Valletoux sur "l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels". Le texte vise à imposer aux médecins libéraux une forme de responsabilité territoriale.
Cette coordination du soin, le Docteur Corvest estime déjà la pratiquer au quotidien auprès des infirmières, des pharmaciens, autres personnels de santé ainsi qu'avec les spécialistes. Il dénonce une strate administrative supplémentaire qui viendrait surtout "permettre aux administratifs et aux agences régionales de santé de prendre la main sur le soin. Les patients qui seront dans ce territoire ne pourront pas être refusés par les médecins du territoire".
L'idée fait penser au système britannique, sauf que pour le médecin, c'est justement un mauvais exemple. "En Allemagne, en Grande-Bretagne, c'est entre 5 et 10 minutes le temps de consultation de médecine générale. Et nous, en France, on est les champions du monde, on est autour de 23 minutes en moyenne de temps de consultation". Un temps qu'il voudrait sanctuariser.
Plus les consultations sont longues, mieux c'est pour l'état de santé des patients.
Dr Corvestà rédaction web France 3 Aquitaine
Pour sa part, il explique avoir "bloqué" le nombre de ses patients. " J'ai 1 800 patients, donc si jamais je prends des patients en plus, ça va dégrader le soin que j'offre. Et ça, je m'y refuse".
"Nous, les vrais médecins de famille, on sera coincés territorialement", craint le médecin béarnais. Avec ce projet de loi instaurant une "territorialité", tant d'habitants pour tant de médecins, "les habitants de cette zone seraient prioritaires pour venir chez moi, même s'ils ne se sont pas des patients qui m'ont déclaré. Ils seraient remboursés". De quoi faire "exploser ma patientèle" ainsi que ses délais de prise en charge de rendez-vous.
Pas assez de médecins, trop de paperasse
L'idée qui était soutenue par l'association Médecins pour Demain, l'an dernier, était d'"augmenter les rémunérations parce que ça facilitera la prise en charge et l'emploi de personnels médicaux, de secrétaires pour les cabinets. On pensait par ce biais-là pouvoir faire revenir dans les installations tous les jeunes qui préfèrent faire des remplacements".
Ce sont eux, finalement, les remplaçants qui disposent un peu plus de ce temps médical qui fait défaut aux libéraux installés. "C'est beaucoup plus simple : quand vous remplacez un médecin, vous n'avez aucun administratif à gérer, vous n'avez pas toutes les déclarations auprès de la Sécurité sociale à faire, vous n'avez pas toute la paperasse qui nous étouffe". Le Dr. Corvest évalue pour sa part ce temps administratif à 3-4 heures hebdomadaires.
Une médecine parallèle ?
Selon l'Ordre des médecins, l'effectif des médecins à statut exclusivement libéral a baissé de 11,8% depuis 2010, alors que l'effectif des médecins salariés a augmenté de 13,4% sur la même période.
Environ 48,2% des médecins aujourd'hui sont salariés, contre 41,5% de libéraux exclusifs.
Vonick Corvest assure qu'il est toujours passionné par son métier, le contact avec ses patients. "Moi, j'adore mon métier, mais effectivement, on se rend compte que le système est en train de s'effondrer et qu'on ne peut plus fournir du soin correct à nos patients. Ce qu'on veut, c'est soigner les gens".
On ne peut pas les laisser sur le bord du chemin, les voir se détériorer, alors qu'on sait qu'il y a des solutions et qu'à une époque, ça marchait très bien.
Dr Corvestà rédaction web France 3 Aquitaine
La tendance à déplaquer, c'est-à-dire à quitter la médecine libérale inquiète le généraliste quand il voit fleurir les maisons médicales d'urgences, "mises en place par des groupes internationaux de la santé, des organismes privés avec des actionnaires" qui emploient des personnes "spécialisées dans les démarches administratives" et qui bénéficient d'aides publiques. Il dénonce une "offre de soins très consumériste" comme avec de nouveaux centres de téléconsultation à toute heure : "une ubérisation de la santé" "remboursée à 75% par la Sécurité sociale, c'est-à-dire vous et moi"...
Pour lui, le risque est que ces maisons médicales deviendraient la norme avec une main mise des autorités de santé.
Une grève illimitée
On s'attend donc à un "vendredi noir" ce 13 octobre parmi les médecins libéraux qui réalisent chaque jour près de deux millions de consultations. Ils ont donc choisi de s'arrêter et de fermer leurs cabinets pour donner un signal fort aux pouvoirs publics, avant de nouvelles négociations tarifaires avec la sécurité sociale. Une grève reconductible à l'appel de leurs syndicats représentatifs.
Toutes les activités de consultation, d'actes techniques, sont déprogrammées. Toutes les urgences seront transférées à l'hôpital public et les gardes "arrêtées", a indiqué Philippe Cuq, désigné porte-parole d'une toute nouvelle "intersyndicale", qui réunit 12 organisations représentatives de médecins ou jeunes médecins, précisant que les "urgences vitales" seraient "prises en charge".
L'échec l'an dernier d'une première tentative de négociation avait conduit à une revalorisation a minima de 1,50 euro de la consultation de base (26,50 euros pour le généraliste), qui entrera en vigueur le 1er novembre.