[SÉRIE] Sur les traces de Napoléon III : les digues de Saint-Jean-de-Luz

Elles s'appellent Socoa, Artha et Sainte-Barbe. Trois digues protectrices sans lesquelles les belles plages de Saint-Jean-de-Luz n'auraient peut-être jamais existé. Après plusieurs tempêtes mémorables, l'empereur a lancé un immense chantier pour sécuriser la baie.

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Entre mer et montagne, c’est une jolie baie à l’anse parfaite, avec en toile de fond la silhouette des Pyrénées s’esquissant dans un horizon bleuté. La plage de sable fin, protégée de la violence des vagues, est réputée idéale pour les familles.

Un décor idyllique qui a bien failli ne pas exister.

Pas de Napoléon III, pas de station balnéaire, pas de maisons, pas de port !

La formule est catégorique.

En une phrase, Guy Lalanne résume le rôle déterminant de l'empereur à Saint-Jean-de-Luz. Voilà trente ans que ce passionné s’intéresse à cet épisode de l’Histoire. Ce n’est pas un hasard. Son arrière-grand-père a accompagné l’expédition du couple impérial au sommet de la Rhune en 1862.

Patiemment, le président de l’Association Jakintza –faire savoir, en basque- et ancien adjoint au maire de Ciboure, a reconstitué toutes les étapes de l’évolution de la baie.

Le charme fragile de Saint-Jean de Luz

Sous le Second Empire, il faut imaginer une station balnéaire au charme naturel.
 

Un négligé de bon goût l’emporte ici sur les toilettes tapageuses que l’on voit à Biarritz 

écrit Marie-France Chauvirey dans La vie au Pays Basque au temps de Napoléon III et d’Eugénie, paru aux Editions Cairn.


L’Etablissement est le rendez-vous à la mode, avec ses cabines de bains chauds d’eau de mer et ses salons de rafraîchissements.
 

Deux pavillons d’attente construits sur une terrasse permettent de jouir de la vue : barques de pêches à voile claires balancés dans la rade, navires cinglants au loin vers l’Espagne ou la France (…) Au premier plan, près du rivage, l’alignement des cabinets mobiles de bois peint, que recouvre un coutil blanc et bleu.

Voilà pour la carte postale...
Revenons-en à l’œuvre de Napoléon III. Tout commence en 1854. C’est lors de son premier séjour à Biarritz que l’empereur se rend à Saint-Jean-de-Luz. La sécurité maritime dans le Golfe de Gascogne est l’une de ses priorités.

Aussitôt, il se montre sensible aux craintes exprimées par le maire. S’il fait le bonheur des estivants, il sait aussi que l’océan constitue une menace permanente.

Un empereur décidé à protéger la vill

Napoléon a écouté les gens, il a compris qu’il y avait des problèmes, il n’a pas hésité, il a pris cette affaire à bras le corps.

Guy Lalanne

 

Dès qu’il rentre à Biarritz, il dépêche des ingénieurs qui se mettent au travail.

Il y a urgence car la mer n’a cessé de bousculer la vie des Luziens.

Quelques chiffres permettent de mesurer l’ampleur du désastre. Au milieu du XIXème siècle, la commune compte 1800 habitants. Ils étaient 12 000 sous Louis XIV. Les tempêtes successives ont détruit les trois quarts de la ville.

Celle de mars 1782 a particulièrement marqué les mémoires : un raz de marée a balayé le front de mer, emportant tout sur son passage, dont une bâtisse pourtant robuste, le couvent des Ursulines. Après cette catastrophe, aucune tentative de protection ne résistera aux assauts de l’Atlantique.

Le scénario dramatique se reproduit en 1823.

Au total, en un siècle, la mer a avancé de deux cents mètres, démolissant tout le quartier de la Barre, où se trouve la grande plage actuelle. Deux cents maisons ont été englouties, elles sont toujours sous le sable !Il fallait faire quelque chose. Napoléon III a préféré fermer la baie, contrairement à Napoléon 1er qui voulait qu’on laisse faire l’océan et qu’on recule les habitations sur les hauteurs.

poursuit Guy Lalanne.

Le chantier est freiné par la force des marées et l’hostilité de l’océan. C’est titanesque. Première digue édifiée : celle de Socoa, entre 1864 et 1876. Douze ans sont nécessaires pour construire une barre de 490 mètres de long. Viennent ensuite l’Artha (250 mètres) et Sainte-Barbe (180 mètres).


Ces murailles sont construites en blocs de calcaire issus des carrières de Socoa et de Biriatou. Elles sont pleines, remplies de ciment à prise rapide, procédé qui vient d’être inventé. Cela leur garantit une forte résistante, contrairement aux premières digues creuses édifiées sous Louis XVI.

Plus d’un siècle plus tard, ces murailles tout droit sorties de la volonté impériale sont toujours là, elles ont tenu bon. Contre vents et marées, elles ont fait la preuve de leur efficacité. Les attaques répétées de l’océan finissent toutefois par les fragiliser. D’où la nécessité de les renforcer chaque année.

Un canot de sauvetage, le cadeau d’Eugénie

Aujourd’hui, qui se souvient de ce passé en regardant les vagues se briser sur le béton ?

Lorsque la question est posée à Jean Lataste, le président de la Société Nationale de Sauvetage en Mer, la réponse fuse sans l’ombre d’une hésitation. A la SNSM, basée à Ciboure, on sait ce que l’on doit au Second Empire.

C’est l’impératrice qui a offert le premier canot en juillet 1865. A l’époque, il n’y avait que cinq stations de secours en France. C’était un canot à rame venu d’Angleterre, le Saint-Jean de Luz, qui était mis à la mer depuis le plan incliné du Fort de Socoa. Les rails existent toujours mais hélas le bateau en bois s’est cassé, il n’a pas été conservé


Deux mois plus tard, l’empereur fit don d’une deuxième embarcation.

Guy Lalanne précise qu’au départ, les canots étaient basés contre l’école Jules Ferry, près du bâtiment des Pont et Chaussées à Socoa, à cent mètres de la mer. C’est en 1902 qu’ils furent transférés au Fort.

Lointain héritier des débuts héroïques, le « canot » s’appelle aujourd’hui le Pierre Loti II. Il réalise chaque année une quarantaine de sauvetages au large de la baie.

Une impératrice confrontée aux dangers de la mer

L’intrépide Eugénie, lors de ses balades maritimes, avait connu de grosses frayeurs. La première fois, c’était en 1859 à bord de la Mouette. Parti de Biarritz, le bateau n’avait pu atteindre Fontarrabie sur une mer déchainée, contraint à faire demi-tour et à errer une partie de la nuit en attendant d’être autorisé à rentrer dans un port, avec cinquante-deux personnes à bord.

L’empereur avait interdit à l’impératrice de recommencer...

Las, une autre fortune de mer se produisit en 1867. Toutes les précautions avaient été pourtant prises. Le Chamois était dirigé par un amiral et l’océan était calme. C’était sans compter sur les brusques revers de la météo dans le Golfe de Gascogne.

En fin d’après-midi, piégé par la fureur des vagues, l’amiral était contraint de demander l’aide d’un pilote. Deux ou trois chaloupes furent mises à l’eau pour acheminer les passagers vers le rivage. Au péril de sa vie, Pierre Larretche, originaire de Ciboure et réputé pour sa grande connaissance des lieux, vint à la rescousse comme le raconte le Petit Journal du 9 octobre 1867.
Lors du sauvetage, ce marin aguerri se jeta à l’eau pour s’interposer entre une embarcation et les rochers pour éviter qu’elle ne se fracasse. Il ne survécut pas à son geste d’héroïsme.

« Voilà votre œuvre » dira l’empereur à Eugénie. Le malheureux pilote, père de six enfants, n’était autre que le patron du Saint-Jean de Luz, le canot offert deux ans plus tôt par l’impératrice.

A lire : Saint-Jean-de-Luz, les digues, les bains, les tempêtes, de Guy Lalanne aux Editions Pimientos.

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