Un milliard de litres d’eau potable disparaît chaque année à cause de fuites dans des canalisations non entretenues. L'UFC Que Choisir dénonce un scandale écologique avec sa campagne #LaFuiteEnAvant
Gabegie environnementale, scandale écologique, politique de l'eau incohérente et archaïque, l'association de consommateurs UFC Que Choisir n'a pas de mots assez forts pour pointer une réalité qui fait mal : à cause de la vétusté des réseaux, un litre d'eau sur cinq d'eau traitée pour la consommation en France disparaît avant même d'arriver au robinet. L'équivalent de la consommation annuelle de 18,5 millions de personnes, soit les agglomérations de Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Bordeaux et Nice cumulées.
Fuites inégales
Les départements les plus peuplés, et donc les plus riches, sont ceux où les fuites sont les plus rares. Inversement, les zones rurales ou montagneuses sont très problématiques? Certains départements pulvérisent les chiffres, comme La Réunion, les Alpes-de-Haute-Provence ou l'Yonne où il se perd près d'un litre sur trois. À elles seules, 18% des collectivités représentent près de la moitié de l'eau gaspillée (45,4%). Ce milliard de litres d'eau gaspillé représente chaque année quatre milliards d'euros de frais supplémentaires, reportés au final sur les factures des consommateurs.
En Aquitaine, pas trop de délits de fuite
En Gironde, le taux de fuite est à peine supérieur au taux de fuite réglementaire maximal de 15 % défini par le Grenelle de l'environnement, mais reste meilleur que la moyenne nationale de 19,9 %. La perte équivaut tout de même à la consommation d'eau annuelle de la ville de Bordeaux. Libourne est la seule ville importante où le taux de perte est presque aussi mauvais que la moyenne nationale, Bordeaux, Mérignac, Pessac, Talence étant desservies par Bordeaux Métropole qui a publié un taux de fuite de 14,6 % en 2021.
En Dordogne, le taux de perte est supérieur, il atteint 22%, soit trois fois la consommation de la seule ville de Périgueux. C'est plus que la moyenne nationale.
Le mauvais élève de la Région reste le Lot-et-Garonne, classé 7ᵉ des dix départements les moins bien classés par UFC Que Choisir avec un taux de perte de 28%. Depuis 2018, sur l'agglo d'Agen, la SAUR gère les 1 200 kilomètres de canalisations qui irriguent 31 communes. D'ici à 2030, elle veut réduire de 25 à 30 % l'eau perdue, qui équivaut à un tiers de l'eau pompée en Garonne.
En Nouvelle-Aquitaine, Rochefort a l'un des meilleurs niveaux de distribution de France, elle ne perd que 6,8% de son eau potable.
Rénovations à vitesse d'escargot
Chaque année, on ne rénove que 0,67 % des canalisations d'eau. À ce rythme, il faudrait 150 ans pour faire un tour complet des réseaux. Or, plus de la moitié des 895 000 km de réseau de canalisation d'eau potable français est largement obsolète. En matériaux fragiles, fonte ou acier (très cassants avec parfois des branchements en plomb nocifs), PVC collé (joints fragiles et possibles particules toxiques) ou amiante-ciment (datant d'après-guerre et rapidement dégradé), il aurait dû être changée depuis longtemps.
Et, en attendant, l'eau manque et la sécheresse fait des ravages. À long terme, les nappes phréatiques menacent de baisser de 10 à 25 %. L'été dernier, mille petites communes ont dû être ravitaillées en eau potable et l'été à venir devrait être du même tonneau.
Des inégalités, les petites communes débordées
Depuis 2016, les services de l'État (DDAF) ont été désengagés au profit des opérateurs privés et n'apportent plus de soutien technique (ingénierie, état des réseaux, programmation des travaux et maîtrise d'ouvrage) aux communes, désormais seules responsables de l'entretien de leurs réseaux avec les départements et la Région.
Si les grosses collectivités disposent de fonds et de moyens, les petites communes, avec leurs ressources limitées et leurs réseaux étendus pour une population moindre, sont les plus touchées par ces fuites. Un quart des communes de moins de 1 000 habitants perd un litre d'eau sur deux en moyenne. La moitié de ces petites communes, par manque de moyens, ne peut même pas remplir l'obligation de publier les données sur les niveaux de fuite et de remplacement de canalisations d'eau potables. Ce qui entraîne une méconnaissance globale de l'état réel du réseau et une probable sous-estimation des pertes d'eau réelles.
Les "mesures dérisoires" du gouvernement
Le 30 mars dernier à Savines-le-Lac dans les Hautes-Alpes, Emmanuel Macron annonçait un plan eau comprenant une tarification plus dure, et l'accélération de la rénovation des infrastructures de distribution d'eau potable. UFC Que Choisir dénonce une action politique en trompe-l'œil et des mesures dérisoires pour les petites communes : " les récentes annonces d’Emmanuel Macron sont une goutte d’eau : 180 millions d'euros d’aide par an alors qu’il en faudrait entre 2,5 et 3 milliards !" C'est effectivement la somme qui serait nécessaire pour le renouvellement minimal de 1% des réseaux par an.
Les usagers, pas pollueurs mais payeurs
UFC pointe aussi une autre inégalité pour les usagers domestiques. Leur consommation ne représente que 24 % de l'eau prélevée dans le milieu, mais ils en payent entre 51 et 67 % aux agences de l'eau. Alors que les agriculteurs, (les plus gros consommateurs et pollueurs d'eau via les pesticides, rappelle UFC Que Choisir) qui en consomment 48 % en moyenne, n'en paient que 2 à 15 %. Une "complaisance à l'agriculture intensive" qui prive les agences de l'eau de 1,6 milliard d'euros de recette chaque année, estime UFC, ce qui ne leur permet pas d'aider les communes à rénover leurs canalisations.
Des améliorations qui devraient couler de source
UFC Que Choisir préconise une série de mesures "simples, concrètes et efficaces" pour lutter contre le gaspillage. Il demande aux pouvoirs publics de "mettre en œuvre un véritable plan de rénovation des réseaux et de le financer grâce à un rééquilibrage des redevances payées par les acteurs professionnels, au premier rang desquels l’agriculture intensive". Il s'agirait d'augmenter les ressources budgétaires des agences de l'eau, de prioriser les aides vers les collectivités souffrant de fuites ou de raréfaction des ressources, de créer des services techniques départementaux en appui aux petites collectivités et de fixer des objectifs plus ambitieux pour les niveaux de pertes autorisés. Des mesures massives plutôt que des bouche-trous en quelque sorte.