Affaire Orpea. Une ancienne aide-soignante témoigne, “si on arrivait à leur donner une douche par semaine, c’était bien”

Ancienne aide-soignante, Aline* a travaillé dans un établissement du groupe Orpea pendant plusieurs années dans la région poitevine (Vienne). Les faits dénoncés dans le livre “Les Fossoyeurs”, paru le 26 janvier, elle les connaît bien. À l’époque, elle avait tenté d’alerter sur les conditions de vie et de travail dans son Ehpad.

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Si Aline* accepte de se livrer, c’est qu’elle voudrait que son "témoignage serve à quelque chose”. Pendant six ans, elle a travaillé comme aide-soignante dans un Ehpad près de Poitiers (Vienne), appartenant au groupe Orpea.

Dans le sillage de la publication du livre Les Fossoyeurs, récit d’une enquête de trois ans du journaliste indépendant Victor Castanet, Aline veut dénoncer, elle aussi, les conditions de vie et de travail dans la maison de retraite où elle travaillait.

Une toilette rapide et mal faite

“Ma première matinée de travail là-bas, je l’ai finie en pleurant”, se remémore Aline. “On me mettait la pression pour être plus rapide. Cela a été très violent.”

Surtout, se rappelle-t-elle, il fallait être rapide pour la toilette des résidents. L’ancienne aide-soignante raconte que celle-ci était indigne. “Si on arrivait à leur donner une douche par semaine, c’était bien !”, dénonce l’ancienne aide-soignante. “On ne nous a jamais donné le temps, ni les moyens, de se concentrer sur la douche, parce qu’on est persuadé que ces gens sont trop vieux pour avoir connu la salle de bain !”

On ne nous a jamais donné le temps, ni les moyens, de se concentrer sur la douche, parce qu’on est persuadé que ces gens sont trop vieux pour avoir connu la salle de bain !

Aline, ancienne aide-soignante dans un Ehpad de la région poitevine

Chaque matin, les aides-soignantes disposent de quatre heures pour effectuer “entre 15 et 17 toilettes”, précise-t-elle. “Avec certains résidents, ça pouvait aller vite. Mais d’autres ont des démences séniles comme de l’Alzheimer, ou des séquelles suite à des d’AVC… bref tout ce que l’on peut trouver en Ehpad. Il aurait fallu prendre le temps avec eux ! Mais c'était impossible, donc c'était du travail mal fait.”

Aline l’assure, ces conditions, elle ne les cachait pas aux familles. “Quand on manquait de temps ou quand on manquait de personnel pour la toilette, je l’expliquais aux familles. Ils le comprenaient, mais ils ne l’ont jamais accepté.”

"Le matin, les draps étaient souillés"

Ce qui a particulièrement choqué Aline pendant son expérience, c’est le manque de protections urinaires. “Parfois, le matin, les draps étaient souillés. Mais pendant la nuit, on n’avait pas eu assez de protections !”. Même chose en période de gastro, l’équipe d’aides-soignantes rencontrait d’énormes difficultés à donner des protections avec “une absorption suffisante” pour les résidents. 

Pendant plusieurs mois, avec son équipe d'aides-soignantes, Aline s’est battue pour obtenir plus de protections, se rappelle-t-elle. “On s’est organisés pour demander aux fournisseurs un nombre plus adapté. Cela a duré 5-6 mois avant que l’on nous en empêche.”

7 aides-soignantes pour 80 résidents

Le personnel en sous-effectif, Aline en a souffert. “On était tributaires du résultat des grilles de l’Agence régionale de santé. À mon époque, on était sept aides-soignantes en journée pour 80 résidents. Le pire, c’étaient les nuits. On les faisait en binôme : une aide-soignante et une ASH (agent des services hospitaliers). Quand vous devez faire le tour des 80 résidents, c’est compliqué.”

Il fallait remplir, il ne fallait surtout pas avoir moins de 80 résidents !”

Aline, ancienne aide-soignante dans un EHPAD de la région poitevine

Selon Aline, l'établissement pouvait recevoir 80 résidents. Pourtant, certains T2, prévus pour une seule personne, accueillaient parfois deux résidents, l'une dans la chambre, l'autre dans la pièce à vivre. Aline s’en rappelle, l’Ehpad a reçu jusqu'à 88 résidents pour 80 places. “Il fallait remplir, il ne fallait surtout pas avoir moins de 80 résidents !”, dénonce-t-elle.

Ces résidents, insiste l'ancienne aide-soignante, avaient besoin d'affection. Certains veulent être tutoyés et appelés par leur prénom. “La direction nous l’a reproché. On nous disait qu'on n'était pas là pour installer une familiarité. Mais on passe tout notre temps avec eux, même plus qu’avec nos mômes !”

“J’ai contacté l’ARS pour signaler la situation”

Aline en a eu marre. Elle a fini par se mettre du côté des familles qui se plaignaient de la prise en charge de leurs proches. “J’ai contacté l’ARS pour signaler la situation”, raconte-t-elle. “Cela m’a valu une mise à pied d’une journée. On m’a parlé du devoir de réserve. Je m’en fiche, je ne travaille pas pour le public !” Quelques mois plus tard, Aline quitte son poste. Elle travaille aujourd’hui dans le domaine médical.

Un choix qu’elle ne regrette pas. “Parfois je finissais ma journée à l’Ehpad, je me disais : “On a fait de la merde aujourd’hui.” Une expérience professionnelle qui l'aura traumatisée de la façon dont nos anciens sont traités.

Ce n’est pas parce qu’une personne âgée atterrit dans un Ehpad qu’elle n’est plus rien !  Moi franchement ça me fout la trouille. J’ai dit à mon fils de ne jamais me mettre en Ehpad

 Aline, ancienne aide-soignante dans un Ehpad de la région poitevine

Face au scandale provoqué par les révélations du livre des Fossoyeurs, Aline se sent désabusée, elle qui avait déjà tiré la sonnette d'alarme, comme d’autres soignants ces dernières années. “Je ne sais pas comment ces établissements vont pouvoir s’en sortir. On se bat contre un mur. Orpea, c’est surtout une armada d’avocats.”

*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.

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