Dominique Rougeoux, instituteur à la retraite, tente de mieux comprendre ce qu'il s'est passé dans la commune de La Bussière, en septembre 1944. Grâce à la découverte d'un film amateur oublié, il espère identifier les résistants de ce village de la Vienne.
Septembre 1944. Paris est libérée du joug allemand depuis quelques semaines. Les troupes alliées reprennent le contrôle du territoire français, de Lille à Lyon, en passant par Orléans. Adolf Hitler ordonne à ses troupes allemandes un repli immédiat vers l'est pour faire face au front occidental, mené par les États-Unis et le Royaume-Uni, et de l'autre côté, face aux troupes soviétiques.
Un petit village de la Vienne n'avait jamais connu de jours trop sombres pendant ce conflit, jusqu'au 3 septembre 1944. Un convoi d'hippomobiles allemands d'une quinzaine de voitures débarque dans la commune de La Bussière. Plus de 150 soldats allemands empruntent alors le pont de Busserais pour sortir de ce hameau. Mais un groupe de maquisards les attendent.
La bataille des Bergeas
Un groupe, sous l’autorité de Guy Collas, dit "Jacky", forme un noyau de résistance dans la région de Poitiers. Le maquis Jacky effectue de nombreux sabotages, notamment sur la ligne de chemin de fer Paris-Bordeaux, et mène des actions à La Roche-Posay, Pleumartin, Chauvigny et Archigny. Une soixantaine d'hommes appartenant à ce maquis tentent de faire sauter le pont, en vain.
Le maquis Jacky s’était installé sur une petite colline : ils avaient fait une petite tranchée, mais il y avait des otages devant le convoi allemand.
Dominique RougeouxAncien instituteur
"Les Allemands n’avaient plus que ce pont pour franchir la Gartempe. Les ponts de Nalliers et de Saint-Savin ayant sauté, il ne restait plus que le pont de Busserais", ajoute Dominique Rougeoux, ancien instituteur et habitant de La Bussière. "Le maquis Jacky s’était installé sur une petite colline : ils avaient fait une petite tranchée, mais malheureusement, il y avait des otages devant le convoi allemand, ce qui a rendu la tâche plus difficile pour combattre les forces allemandes."
Et c'est ainsi qu'a lieu la bataille des Bergeas, du nom du petit hameau qui surplombe ce pont : les résistants mitraillent le convoi pour le stopper, mais traverse à l'aide de barques l'autre côte du rivage. Au total, 75 soldats allemands sont faits prisonniers : le bilan demeure lourd, 11 morts côté allemand, mais également une victime française. Dominique Rougeoux, qui s'est donné comme mission de passeur de mémoire, a décidé de rendre hommage à ces résistants en recréant un camp de maquisards dans son hangar.
Un hangar devenu musée et lieu d'enquête
Créer ce petit musée permet de se remémorer des petites histoires comme celles-ci qui peuvent être oubliées au fil du temps. "Avec l’aide ma fille, on souhaitait rendre hommage aux résistants qui ont voulu libérer la France. Cela fait plus d’un an que l’on est dessus, à parvenir à identifier toutes les personnes présentes sur ce film", décrit Dominique Rougeoux.
Au moment de la bataille, j’étais en train de garder les vaches avec un autre copain.
Claude SennéHabitant de La Bussière, témoin de la bataille des Bergeas
Des décennies après cette bataille, un petit film a été retrouvé où l'on peut apercevoir plusieurs résistants du village de La Bussière. Désormais, l'objectif principal de cet ancien instituteur est de retrouver l'identité de toutes les personnes qui ont été filmées quelques jours après cette bataille. Claude Senné, habitant du village, avait 12 ans à l’époque. "Au moment de la bataille, j’étais en train de garder les vaches avec un autre copain. À l’époque, on allait à l’école la peur au ventre : on craignait toujours de voir les Allemands. Le soir de la bataille, j’y suis allé avec mon père : il y avait des chevaux au sol", se remémore-t-il.
Parmi les personnes recherchées, Claude Senné, en reconnaît un : "Il y en a un que je connais très bien. C’est Joseph Robert : il était ouvrier agricole et gardait les vaches. Au moment de la guerre, il était dans la ferme où j’habitais. Il était dans le maquis et il a fini infirmier".
Le témoignage de Claude est un trésor pour Dominique Rougeoux dans son travail d’identification, 80 ans après les faits. "On voulait retrouver les personnes qui étaient sur le film afin de rendre hommage à tous ces résistants qui ont voulu libérer la France. C’est un petit peu une enquête policière, et l’on adore ça : avoir un indice, puis, tirer le fil de la bobine", relate Dominique Rougeoux.
"C’est émouvant, malgré le temps, de revoir ce film"
Dominique Rougeoux a pu se procurer ce film grâce à Danielle Ranger, petite-fille de Théotime Ranger. C'est son grand-père qui a filmé ces résistants après la bataille des Bergeas. "Je n’ai pas pu en parler avec lui, car il est mort très tôt, en 1955 : il avait tout juste 40 ans, explique Danielle Ranger. Ça faisait très longtemps que je voulais effectuer des recherches sur l’histoire de la famille, parce qu’il n’y avait pas eu de passation de savoir. Quand mon père nous les avait projetés dans notre enfance, il nous avait expliqué que ça s’était passé à La Bussière. Il m’a juste dit que son père était résistant, mais on n’a jamais eu plus d’éléments que ça."
J’avais posté un message sur un site internet il y a plusieurs années de cela, en disant que j’aurai aimé plus d’informations sur mon grand-père, Théotime Ranger, qui était résistant dans la Vienne.
Danielle RangerPetite-fille de Théotime Ranger
"J’ai récupéré les bobines et j’ai voulu faire une sauvegarde en format numérique, car les bobines étaient en train de s’abîmer et l’on n’avait plus le projecteur. Quand j’avais effectué mes recherches, j’avais posté un message sur un site internet il y a plusieurs années de cela, en disant que j’aurai aimé plus d’informations sur mon grand-père, Théotime Ranger, qui était résistant dans la Vienne, sur la commune de La Bussière." Danielle Ranger a fait connaissance avec Dominique Rougeoux sur Internet et c’est de cette façon que le film est désormais disponible dans son hangar dédié à la mémoire des résistants.
"C’est émouvant, malgré le temps, de revoir ce film, relate Danielle Ranger. Quand j’ai su que Dominique voulait en faire une exposition, j’ai tout de suite dit oui." Aujourd’hui, ce film pose plus de questions qu’il ne donne de réponses : "On ne sait pas si mon grand-père filmait pour avoir un témoignage de ce qu’il se passait à ce moment-là dans le village ou s’il faisait partie des leurs. On ne sait pas s’il a participé à la bataille des Bergeas, on n’a aucune trace", déplore-t-elle.
Les travaux d'enquête continuent afin de donner un nom et un prénom aux personnes présentes sur ce petit film tourné après la bataille des Bergeas, qui ont combattu pour la liberté de la France.
Reportage de Jérôme Vilain et Stéphanie Vinot