Avec une participation inégalée depuis plus de 30 ans pour des législatives, les choix des électeurs et des électrices conduisent à 12 triangulaires (puis finalement 4) sur 15 circonscriptions pour le second tour de ces élections législatives anticipées en Poitou-Charentes. La question se pose d’un front républicain face au Rassemblement national présent dans chacun des scrutins, mais tous les partis joueront-ils le jeu des désistements ?
Au premier tour des élections législatives anticipées, le Poitou-Charentes, à l’image du pays tout entier s’est teinté du bleu marine du Rassemblement national. Dans l’ancienne région, il est présent au second tour dans chacune des quinze circonscriptions et arrive en tête dans neuf d’entre elles.
Dans ce contexte, les résultats du premier tour entraînent virtuellement 12 (puis finalement 4) triangulaires, alors qu’il n’y en avait eu aucune en 2022. C’est notamment dû à la très forte participation au scrutin, malgré une campagne éclair.
Sursaut de participation et record de triangulaires
Pour accéder au second tour, les candidats devaient obtenir plus de 12,5 % des inscrits, et non des votants. “En règle générale, ça vous fait monter pour espérer être qualifié à 18, 19, 20 %”, détaille Dominique Breillat, professeur émérite de droit public à l’université de Poitiers et consultant politique pour France 3 Poitou-Charentes. “Il se trouve que lors des élections du premier tour, on s’est retrouvé avec une très très forte participation, non pas la plus forte sous la Ve République puisque la plus forte, je crois que c’était en 1978 et en 1986, mais on est dans des situations pour lesquelles on pourrait faire des comparaisons parce que c’étaient des élections qui apparaissaient comme ayant véritablement un enjeu, qui amènent les électeurs à venir voter.”
En effet, dans les quatre départements, les électeurs et électrices se sont massivement rendus aux urnes : ils étaient 69,76 % en Charente-Maritime, 69,63 % dans la Vienne, 69,4 % dans les Deux-Sèvres et 68,65 % en Charente.
Le politologue note également le nombre record de procurations, plus de deux millions : “Aller utiliser ce droit de procuration ça démontre véritablement qu’il y a une volonté de participer dans la mesure où il y a une procédure qui peut apparaître un petit peu compliquée.” Selon lui, alors que les résultats des élections européennes ont surtout révélé un ras-le-bol, les législatives témoignent d’un profond intérêt pour la politique intérieure à venir.
Retrouvez toutes les triangulaires, mais aussi les désistements de candidats dans notre carte interactive.
Un front républicain à géométrie variable
Dès dimanche soir, plusieurs leaders se sont prononcés pour faire barrage au Rassemblement national.
En deuxième position à l'issue du scrutin avec 28 % des suffrages exprimés, la gauche, emmenée par le Nouveau Front Populaire, se veut claire. L'écologiste Marine Tondelier demande la "construction d'un nouveau front républicain", et lors de sa prise de parole, Jean-Luc Mélenchon (LFI, Nouveau Front Populaire) a annoncé le désistement de ses candidats en troisième position dans des élections pouvant entraîner la victoire du parti d'extrême droite : "Nous retirerons notre candidature, en toutes circonstances, où que ce soit, dans quelque cas que ce soit. Notre consigne est simple, directe et claire. Pas une voix, pas un siège de plus pour le RN."
— Sabrina Agresti-Roubache (@SabrinaRoubache) July 1, 2024
Du côté du gouvernement, Gabriel Attal veut "empêcher le Rassemblement national d’avoir une majorité absolue au second tour, de dominer l’Assemblée nationale et donc de gouverner le pays avec le projet funeste qui est le sien." La consigne pour ses candidats présents au second tour est toutefois plus floue : "Cela passera par le désistement de nos candidats, dont le maintien en troisième position, aurait fait élire un député Rassemblement national, face à un autre candidat qui défend comme nous les valeurs de la République", a-t-il affirmé hier depuis Matignon, sans préciser ce qui constitue ou non une défense des valeurs de la République. Dans son camp, les ministres Sabrina Agresti-Roubache, Marie Guévenoux et Fadila Khattabi, se sont d'ores et déjà désistées au nom de ce barrage républicain. D'autres se montrent plus sélectifs, comme Bruno le Maire, Édouard Philippe ou Aurore Bergé, défenseurs du "ni RN ni LFI".
L'état-major du parti Les Républicains ne donne pour sa part aucune consigne de vote.
Des désistements en Poitou-Charentes
Dans les quatre départements de Poitou-Charentes, de nombreux désistements sont recensés, portant finalement le nombre de triangulaires à quatre au lieu de douze.
Dans la Vienne d'abord, les troisième et quatrième circonscriptions ne compteront que deux candidats au second tour dimanche 7 juillet. Dès dimanche soir, avant même la publication des résultats définitifs, Yves Trousselle, en lice pour Place Publique - Nouveau Front Populaire, a renoncé à maintenir sa candidature. Il cumulait 21,09 % des suffrages exprimés face au député sortant MoDem Nicolas Turquois (32,11 %) alors que la candidate RN Jacquemin était en tête (41,04 %). Je vais suivre ma conviction, il est évident que mon engagement sur cette campagne a été prioritairement de faire barrage au Rassemblement national", a-t-il déclaré sur notre antenne. "Il est évident que je me retire pour que Nicolas Turquois puisse faire barrage."
De la même manière, la socialiste investie par le Nouveau Front Populaire Gisèle Jean (26,73 % des suffrages exprimés) s'est retirée au profit du député sortant MoDem Pascal Lecamp (30,18 %) dans un scrutin qui a donné le plus grand nombre de voix (40,82 %) au candidat RN Eric Soulat.
En Charente-Maritime, la socialiste (Nouveau Front Populaire) Anne Brachet se désiste également. Le député sortant Horizons Christophe Plassard (32,75 % des voix) affrontera au second tour Aymeric Mongelous, candidat parachuté dans cette circonscription, qui obtient le meilleur score du RN dans tout le Poitou-Charentes, 43,83 % des suffrages exprimés. Ce mardi soir, on apprend également que Jean-Marc-Soubeste (UDG) se désiste, laissant ainsi le duel entre Olivier Falorni (DVG) et Emma Chauveau (RN).
Dans la troisième circonscription, Jean-Philippe Ardouin, député Renaissance jusqu'au 9 juin dernier, prend lui aussi la décision de retirer sa candidature avec seulement 27,88 % des suffrages exprimés. Le socialiste-Nouveau Front Populaire Fabrice Bussereau (28,07 %) est donc opposé au candidat du Rassemblement national Stéphane Morin (40,85 %).
Des fissures dans le barrage
Dans certaines circonscriptions, les consignes partisanes ne sont cependant pas toujours suivies d'effets par les candidats, pour différentes raisons.
Dans la première circonscription de la Vienne, la députée sortante écologiste Lisa Belluco s'est imposée avec 33,14 % des voix mais derrière elle, Emmanuelle Darles du RN (28,93 %) et Séverine Saint-Pé, du parti Horizons (28,85 %) sont séparées de seulement 43 voix. Cette dernière, maire de Neuville-de-Poitou, a décidé ce lundi de maintenir sa candidature, notamment pour des raisons stratégiques. "Ma candidature au second tour, elle n'enlèvera certainement pas de voix à Lisa Belluco", se défend-elle. "Mais elle donne une solution aux personnes de droite et du centre et elle enlève peut-être des votes qui se reporteraient éventuellement sur le Rassemblement national."
Dans ce second tour, Lisa Belluco peut effectivement compter sur un possible report de 8 % d'électeurs qui s'étaient tournés vers le divers gauche Aurélien Tricot au premier tour.
Les candidats ne sont pas propriétaires des voix de leurs électeurs.
Dominique BreillatConsultant politique pour France 3 Poitou-Charentes
En Charente, dans la deuxième circonscription, trois candidats d'extrême droite étaient sur la ligne de départ pour le premier tour : Martin Barthélémy, candidat RN arrivé en tête avec 38,91 % des voix, mais aussi Alain Janot de Reconquête ! et Aurore de Clisson. La députée sortante Renaissance Sandra Marsaud arrive deuxième (27,39 %), suivie par Carole Ballu pour LFI - Nouveau Front Populaire (20,34 %). Cette dernière a fait savoir qu'elle pourrait se retirer, mais elle exige des garanties. "On attend de voir ce que Madame Marsaud propose à ces 20 % de votants pour qu'elle représente tous les électeurs et toutes les électrices à l'Assemblée", affirme-t-elle. "On ne peut pas faire comme le président Macron, à savoir demander à des gens de faire barrage en disant que le vote l'oblige à prendre en compte les autres et finalement maintenir son cap de sa propre politique sans jamais tenir compte des autres courants politiques."
Enfin, en Charente-Maritime, dans la seconde circonscription, les calculs mathématiques sont au cœur des décisions politiques. Karen Bertholom, candidate RN, remporte le plus grand nombre de voix, 34,41 %. Elle est suivie par l'ancien eurodéputé écologiste Benoît Biteau (26,94 %) et Anne-Laure Babault (25,33 %). La députée sortante Modem souhaitait mener cette campagne avec le maire de Rochefort Hervé Blanché, mais celui-ci avait décidé de partir seul et est battu avec seulement 12,36 % des voix. Anne-Laure Babault estimait donc qu'elle pouvait compter sur le report des voix de ce candidat et demandait à Benoît Biteau, pourtant arrivé devant elle, de se retirer. Finalement, ce mardi 02 juillet, Mme Babault annonce dans un communiqué, le retrait de sa candidature.
Des calculs aux nombreuses inconnues
Entre désistements, consignes de vote et candidats réfractaires au barrage, de nombreuses inconnues demeurent, à commencer par la plus importante, le choix des électeurs. "Les candidats ne sont pas propriétaires des voix de leurs électeurs", explique Dominique Breillat. "Ce n’est pas parce que tel ou tel candidat va dire 'je me désiste pour Dupont ou Durand' que l’électeur va le suivre automatiquement l’électeur garde encore son libre arbitre." Le professeur émérite de droit public rappelle par ailleurs que, contrairement à d'autres pays, la France compte de moins en moins de militants encartés dans des partis.
Par ailleurs, malgré le fort taux de participation au premier tour, il faut rappeler que celui-ci est souvent plus faible au second, certains électeurs ayant vu leur candidat éliminé.
Enfin, parmi les fissures du front républicain figure une certaine lassitude des électeurs de gauche, malgré la mobilisation des partis pour limiter le nombre de députés Rassemblement national. Nombre de votants déplorent avoir systématiquement répondu présent aux élections nationales des sept dernières années pour participer à ce barrage contre l'extrême droite, et s'agacent aujourd'hui de constater que ce dernier peut être à géométrie variable. "Quand les électeurs de JLM ou de LFI disent 'on doit se désister pour le candidat non RN le mieux placé', ils se disent 'nous on fait un effort mais on n’a pas la réciproque'", conclut Dominique Breillat.