Un coup de théâtre a secoué le procès en appel ce mercredi 29 mai 2024 à Poitiers qui confronte un ancien chef scout, commissaire de police aujourd'hui à la retraite, à trois hommes qui l'accusent d'agressions sexuelles. Les avocats de la défense se tournent vers à la Constitution française pour contester le bien-fondé du procès en appel. Le policier avait été relaxé en première instance.
L’audience à la Cour d’appel de Poitiers venait à peine de commencer ce mercredi 29 mai quand l’incompréhension s’est installée dans la salle.
Le prévenu, ancien commissaire de police, se tenait à la barre, les épaules voûtées, la mine rouge et épuisée. Il est accusé d’agressions sexuelles par trois hommes dont il avait été le chef scout quelques années avant les faits qui se sont déroulés entre 2006 et 2009. Un premier jugement en correctionnel en février 2022 l’a relaxé par manque de preuves. Mais les plaignants ont fait appel. Tout comme le parquet, alors même que c’est lui qui avait demandé la relaxe. L’affaire est revenue en ce jour de mai 2024 à la Cour d’appel de Poitiers.
Question prioritaire de constitutionnalité
Et la présidente de la Cour, en début d’audience, a prononcé les mots inattendus qui ont tout changé : "question prioritaire de constitutionnalité". Le coup de théâtre. Concrètement, les avocats du policier ont soumis une QPC, comme on dit dans le jargon juridique. L’affaire sur le fond allait être éclipsée par un point de droit de type constitutionnel. Les avocats de la défense s’interrogent sur le fait que le parquet ait fait appel d’une décision qui lui donnait raison.
"C’est une rupture d’égalité", explique Me Lionel Béthune de Moro, l’avocat du policier pour justifier le recours à la Constitution française. "Un prévenu ou une partie civile ne pourraient jamais faire appel d’une décision qui leur donnerait raison." Il ajoute : " Nous savons tous que le service public de la justice est encombré par des procédures. Est-ce que c’est raisonnable et audible qu’une partie fasse appel alors qu’on lui donne raison ?"
L’avocat s’inquiète même pour les principes d'égalité garantis par la Constitution française : "Le parquet a pu faire appel pour complaire aux parties civiles et ce n’est pas le but d’une instance pénale. La justice publique n’est pas au service de la justice privée." Il explique encore que le parquet est une entité une et indivisible. L’un de ses membres ne peut en déjuger un autre. Or, il se trouve que depuis le début de l’affaire, les différents membres du parquet qui ont travaillé sur le dossier ont insisté sur le manque de preuves. Ils ont déclaré un non-lieu en 2019 et demandé une relaxe en 2022.
À l'audience, l'avocate générale n'a pas fait de commentaire sur cette position contradictoire du parquet qui avait demandé et obtenu la relaxe pour finalement faire appel. L'institution s'est cependant exprimée dans le journal La Nouvelle République du mardi 28 mai 2024. Elle justifie ce choix "afin de permettre à la Cour d’appel de Poitiers, qui avait ordonné le renvoi de l’intéressé devant la juridiction
de jugement, de se prononcer sur tous les aspects de ce dossier, et pas seulement les
intérêts civils." Un appel uniquement des plaignants n'aurait débouché que sur une audience civile et non plus pénale.
Exaspération des parties civiles
Sur le banc des parties civiles, les visages des trois plaignants se sont assombris. Leur corps s’est affaissé sous le poids de l’annonce que l’étude de la QPC allait occulter le procès en lui-même. Aujourd’hui, âgés d’une quarantaine d’années, ils sont fatigués, eux aussi. En première ligne face à la Cour, leurs avocats sont montés au front pour contester les délais - trop courts, selon eux - dans lesquels leur sont parvenues les informations sur la question prioritaire de constitutionnalité.
"Mon client est en effet assez affecté", confie Me Benoît Chabert, avocat de l’un des plaignants. "La question prioritaire de constitutionnalité ne tient pas car elle a déjà été jugée par le Conseil constitutionnel sur un autre point. Ensuite, elle s’oppose au principe que le parquet est libre à l’audience dans sa parole", plaide-t-il à son tour. "Cette question n’a aucun sens, elle est une astuce de procédure pour que le prévenu soit jugé encore plus tard." Et l’avocat d’exprimer son exaspération. "Mon client n’en peut plus. Cela fait 15 ans que les faits ont eu lieu. Et là, la justice va dire à nouveau : on jugera plus tard."
Avenir incertain
Les avocats des parties civiles ont demandé un renvoi pour mieux préparer leurs plaidoiries concernant cette QPC. Elle sera étudiée le 24 juin à 14 h à la Cour d’appel de Poitiers. Les juges décideront ensuite s’ils acceptent de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel à Paris. Ce qui pourrait changer le cours de cette affaire judiciaire. Si le Conseil constitutionnel donnait raison à la défense du policier, cela entérinerait la relaxe en première instance. Le procès en appel serait annulé.
Une audience pour étudier le fond de l’affaire a cependant été prévue le 23 septembre prochain à la Cour d’appel de Poitiers au cas où la procédure de cette QPC n’irait pas à son terme.