Le Poitiers Film festival, rendez-vous international des films d'écoles de cinéma, remet cette année son Grand prix à l'Espagnol Alejandro Mathe pour son film "El Mártir", l'histoire un adolescent obsédé par la figure à demi-nue du Christ sur la croix. Un film choc, mené d'une main de maître par un jeune cinéaste foncièrement doué.
Le meilleur des écoles de cinéma du monde entier, resserré en 40 films, répartis dans huit programmes : chaque année, le Poitiers Film festival relève le défi et démontre encore une fois qu'il parvient à accompagner devant le public l'émergence d'une jeune génération de cinéastes. Venus d'Iran, d'Algérie, du Danemark, de Corée du Sud, de Colombie, de Grande-Bretagne, les films retenus par le comité de sélection témoignent d'une volonté de repérer "ce qui est audacieux et nouveau".
Le jury, composé de réalisateurs, scénaristes et producteurs, a remis son Grand prix au film choc de la sélection 2024 : El Mártir de l'Espagnol Alejandro Mathe (IFS). Dans un village d'Andalousie (Espagne), un adolescent est obsédé par la figure à demi-nue du Christ sur la croix. Mené d'une main de maître, le jeune cinéaste livre un film bien décidé à aller au bout de son propos, quitte à emprunter une voie foncièrement dérangeante. Parfaitement abouti, toujours en empathie avec son personnage, le réalisateur le conduit jusqu'à l'extrême limite de sa quête homoérotique, le long d'une pente glissante et terriblement dangereuse. Le résultat, osé et très réussi, a autant pu choquer qu'emballer les spectateurs. Mais, dans quelques années, il se peut que l'on se dise juste que l'édition 2024 du Poitiers Film festival aura vu émerger le digne successeur d'un Pedro Almodóvar.
Le jury aura choisi de laisser de côté l'autre film très remarqué de la sélection : le court-métrage du Français Arthur Chopin, Héliogabale (La fémis). Déjà très remarqué par les producteurs qui se sont déplacés à Poitiers pour repérer de nouveaux talents, le jeune cinéaste, encore étudiant, sort du lot et propose une plongée dans la dernière soirée décadante de l'empereur Héliogabale, en 220 ap. J.-C, au cours de laquelle il rappelle son amant désavoué, jeté en prison, et qu'il invite à être le témoin de son culte narcissique. En 26 minutes d'une efficacité narrative exemplaire, Arthur Chopin livre un film d'une totale maîtrise formelle.
Retenir le meilleur
Si le festival ne s'impose pas de critères figés, sa déléguée générale, Camille Sanz, demande à son comité de sélection, composé de professionnels du cinéma, "d'être à l'écoute (...), d'être autant attentif au scénario qu'à la mise en scène". Elle précise ainsi que le festival "va rechercher des gestes cinématographiques", mettre en valeur "des gens qui vont inventer un langage" pour retenir "ce qu'il y a de meilleur".
À l'écran, cela donne Dragfox de la Britannique Lisa Ott (NFTS), un film salué à l'issue de la projection par les sifflements enthousiastes du public, dont un grand nombre de lycéens emballés, et qui, sans surprise, reçoit le Prix du public, mais aussi le Prix de l'Extra court. Dans ce film d'animation, Sam, un petit garçon en pleine quête identitaire, se lève une nuit voler sa robe à sa sœur qui dort. Alors qu'il tente de la revêtir, un renard glisse une tête par la fenêtre et vient la lui chiper. La rencontre entre les deux êtres va bouleverser la vie de Sam et mener le public à une fête digne des meilleures comédies musicales anglosaxonnes.
Dans la sélection, on retiendra aussi l'émotion suscitée par Le altre vite de l'Italien Nicoló Folin (CSC), un film d'anticipation discret dans lequel le spectateur découvre qu'une technologie rend désormais possible l’interaction avec les défunts. Les personnages entrent dans une pièce, positionnent une sorte de serre-tête métallique devant leur front, permettant de voir apparaître un proche disparu. La discussion reprend là où elle avait été laissée à la mort du proche. Derrière une vitre sans teint, Diego supervise les rencontres entre les morts et les vivants, suivant scrupuleusement les prescriptions des médecins. Jusqu'au jour où une patiente demande à passer une heure supplémentaire avec son amant disparu. Aussi bouleversant que dérangeant, le film sonde sans détour la difficulté à laisser partir un être aimé et les tourments de l'âme qui s'ensuivent.
À retenir également, le délicat The Form de l'Iranienne Melika Pazouti (8mm Film School) dans lequel une lycéenne se prépare à un rendez-vous amoureux. Dans les toilettes du lycée, sa meilleure amie s'enthousiasme pour elle tandis que d'autres rejettent déjà violemment son audace à maquiller sa peau qu'elle parsème de petits éclats d'étoiles. La jeune fille rêve d'amour, mais le jeune homme qu'elle n'a encore jamais rencontré et avec qui elle n'a échangé que par messagerie, sera-t-il à la hauteur de ses attentes ? Alors qu'elle avance dans les rues de Téhéran et que la réponse se fait jour, son voile se fait plus lâche et finit par glisser et par dévoiler une chevelure en quête de liberté.
L'école de cinéma est un lieu où la liberté d'expression est favorisée. Les étudiants ne sont pas encore des cinéastes pris dans des logiques économiques de production.
Camille SanzDéléguée générale du Poitiers Film festival
Le documentaire Transalpin des Français Léo Gatinot et Clara Nicolas (La Fémis) plonge dans la lutte d'opposants à la ligne à grande vitesse Lyon Turin. À la frontière franco-italienne, la colère des villages sourde. Dans un plan magistral de montagne duquel émerge un village bucolique enroulé d'un filet de brume, les réalisateurs laissent la caméra glisser de la beauté du paysage vers la vallée nivelée par le travail des pelleteuses en contrebas. À seulement quelques centaines de mètres à peine, le tunnelier creuse inlassablement la montagne, tarissant par la même occasion les sources de certains cours d'eau. Le spectateur s'imprègne des sons de ce chantier titanesque, dans une zone où la frontière est, en fait, une incise monstrueuse dans la montagne, un alignement de barbelés au milieu de prairies. Face à face, dessinant l'opposition radicale entre les intérêts de gigantesques projets industriels et les vies minuscules et bouleversées des populations locales. À cette palette sonore de la montagne bouleversée, viennent s'imprimer les témoignages en voix off de riverains mis devant le fait accompli.
Dans la sélection, il y a aussi le voile de douceur dont la Néerlandaise Jetske Lieber entoure le personnage principal de Januari (Netherlands Film Academy), lauréat du Prix Manifest. Au lendemain des fêtes du Nouvel an, Willem pleure une histoire d'amour qui vient de se terminer. Le voilà confronté à une question entêtante : qui suis-je sans mon petit ami ? Le film, qui ne fait jamais de l'homosexualité du personnage un enjeu dramatique, entoure le jeune homme d'adultes, eux aussi, confrontés à la séparation, mettant en scène des situations du quotidien aussi touchantes que grinçantes, jusqu'au dénouement final, simple et renversant.
Ces sept exemples tirés des quarante films de la compétition internationale dressent un portrait de la diversité de la sélection. Et des audaces des jeunes cinéastes. "L'école de cinéma est un lieu où la liberté d'expression est favorisée, explique Camille Sanz. Les étudiants ne sont pas encore des cinéastes pris dans des logiques économiques de production." La déléguée générale du PFF met en avant aussi "le cadre bienveillant de l'école". La richesse et la diversité de la sélection se nourrissent, selon elle, de l'originalité du "travail de plein d'écoles", "avec des regards différents, liés à la diversité des pays où les films sont produits".
Le palmarès
Grand Prix du jury
El mártir de Alejandro Mathe (IFS - internationale filmschule köln - Allemagne)
Prix de l'écriture créative
Between The Lines de Niklas Pollmann ( Filmakademie Wien - Autriche)
Prix du jury étudiant
Disfonias de Manuel Giraldo, María Camila Pulgarín (Universidad de Medellín - Colombie)
Prix de la mise en scène
El Reinado de Antoine de José Luis Jiménez Gómez (EICTV - Escuela Internacional de Cine y TV - Cuba)
Prix du collectif 50/50
Fatmé de Diala Al Hindaoui (CinéFabrique - France)
Prix du jury Amnesty international
Mrs Iran's Husband de Marjan Khosravi (University of Art - Iran)
Prix spécial du jury
Spiritum de Adolfo Margulis (CCC - Centro de Capacitación Cinematográfica - Mexique)
Prix Manifest
Januari de Jetske Lieber (Netherlands Film Academy - Pays-Bas)
Prix du jury critique
Toto de Klaudia Bochniak (Lodz Film School - Pologne)
Prix du scénario
The Sea In Between de Lun Sevnik (FAMU - Film and TV School of the Academy of Performing Arts in Prague - Tchéquie)
Prix de l'Extra court et Prix du public
Dragfox de Lisa Ott (NFTS - National Film and Television School - Royaume-Uni)
Prix maison du film
Maman danse de Mégane Brügger (ECAL - École Cantonale d'Art de Lausanne - Suisse)
Mention spéciale du jury étudiant
Transalpin de Clara Nicolas et Léo Gatinot (La Fémis - France)
Les films primés seront visibles samedi 7 décembre à 18h et dimanche 8 décembre à 16h et 18h au TAP cinéma.