La Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) se retrouve au cœur d'une polémique après la reprise par trois agriculteurs de plus de 2 000 hectares de terres agricoles dans la Vienne. La Confédération paysanne et Terre de Liens estiment que la transaction fait exploser "les seuils censés réglementer la taille des exploitations".
La Safer a-t-elle failli à sa mission dans la Vienne ? Fustigé pour avoir accompagné la reprise, par seulement trois agriculteurs, de plus de 2.000 hectares exploités dans le département, le régulateur du foncier rural défend son action.
L'opération, "hors norme" de l'avis général, concernait la transmission de 12 sociétés (SCEA) exploitant 2 121 hectares loués à des propriétaires. Ces terres étaient vouées aux grandes cultures, avec irrigation partielle (33% de la surface), unité de stockage de céréales de 16 000 tonnes, coopérative d'utilisation de matériels et groupement d'employeurs salariant neuf personnes. À cela s'ajoutaient des intérêts dans la production d'électricité photovoltaïque et dans une unité de méthanisation de l'agglomération poitevine, ainsi que deux maisons d'habitation.
Le cédant, actionnaire d'une holding chapeautant cet ensemble évalué à plus de 10 millions d'euros, a chargé la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) de Nouvelle-Aquitaine de lui trouver un repreneur.
Un mastodonte agricole ?
Parmi plusieurs candidats, son choix s'est porté mi-novembre sur une société "en cours d'immatriculation" associant trois agriculteurs originaires de Normandie, deux hommes et une femme âgés de 32 à 45 ans. "Sans lien de famille", selon le régulateur, mais liés à une quatrième personne (mari de l'une et patron des deux autres), amenant une partie des finances nécessaires et qui serait déjà à la tête d'une ferme dans l'Eure "contrôlant 1.500 hectares", d'après les détracteurs de l'opération qui dénoncent la création d'un "mastodonte agricole".
La Safer aurait dû refuser la vente d'un seul bloc, condition posée par le vendeur" et "chercher avec les acteurs locaux à restructurer la ferme pour assurer des installations bien plus nombreuses.
Pétition en ligneconfederationpaysanne.fr
"Faux", selon la Safer
"Faux", rétorque la Safer, que la polémique agace : selon elle, l'agriculteur en question exploite 371 hectares et réalise par ailleurs des travaux chez des collègues.
Dans cette affaire, le régulateur estime avoir répondu "aux missions majeures qui lui sont confiées", à commencer par "l'installation" d'agriculteurs.
Un terme "tout à fait contestable" pour la Confédération paysanne et l'association Terre de Liens qui ont publié début décembre, avec d'autres organisations agricoles et environnementales, un communiqué fustigeant la "méga-ferme" de la Vienne.
"La Safer aurait dû refuser la vente d'un seul bloc, condition posée par le vendeur" et "chercher avec les acteurs locaux à restructurer la ferme pour assurer des installations bien plus nombreuses", estiment les signataires.
Selon eux, la transaction fait exploser "les seuils censés réglementer la taille des exploitations" en Nouvelle-Aquitaine et fait perdurer un modèle d'agro-industrie qui accapare les terres, concentre les aides de la PAC et nuit à l'environnement. "Ça aurait pris plus de temps d'installer plus de gens, mais pour l'intérêt général, ça valait le coup", estime Cécile Muret pour la Confédération paysanne. "On aurait pu faire de ce dossier quelque chose d'exemplaire", regrette Tanguy Martin, de Terre de Liens.
Héritage
"On a songé à détricoter l'ensemble, mais quand on a ouvert le capot, on a compris que ça n'était pas possible, sauf à engager quatre à cinq millions d'euros de pertes" sur les actifs à transmettre, répond Philippe Tuzelet, directeur régional de la Safer.
"Ces 2.000 hectares, ce n'est pas le modèle que l'on promeut, mais on ne les a pas construits, on en hérite", explique-t-il.
Si les Safer s'alignent à l'avenir sur l'opération de la Vienne, autant dire que leur mission de contrôle sera inefficace.
Tanguy Martin, Terres de LiensAFP
Au moins, ajoute le responsable, l'opération s'est-elle faite "dans la transparence", alors que le cédant "aurait pu s'organiser pour échapper à tout contrôle". Une autre transaction d'ampleur (1 500 hectares) passerait actuellement sous les radars dans la région.
Le régulateur se félicite aussi du maintien des emplois existants, ainsi que d'avoir récupéré 70 hectares à redistribuer au final.
Maigre compensation aux yeux des opposants, pour qui l'opération de la Vienne, "calquée sur le fonctionnement de la loi Sempastous", augure mal de sa mise en œuvre. Ce texte, voté l'an dernier, dont les décrets d'application viennent d'être publiés, vise précisément à mieux réguler l'accès à la terre via les cessions, totales ou partielles, de sociétés. En cas de concentration foncière jugée excessive, des surfaces pourront être libérées.
Mais aucun critère n'encadre cette compensation. "Si les Safer s'alignent à l'avenir sur l'opération de la Vienne, autant dire que leur mission de contrôle sera inefficace", redoute M. Martin.
"Le niveau de compensation acceptable, d'un dossier à l'autre, est difficilement appréciable", considère M. Tuzelet en donnant rendez-vous dans un an pour un premier bilan.
Enquête AFP.