Dans "Ne t'arrête pas de courir" (L'Iconoclaste), Mathieu Palain ambitionne de percer le mystère d'un athlète hors norme, membre de l'équipe de France de jour, et braqueur la nuit. Un livre à la croisée du journalisme et de la fiction, une plongée dans la littérature du réel. Une réussite. SERIE 1/6
Hors norme. L'histoire de Toumany Coulibaly relève du récit épique. De l'incroyable. Comment un athlète de haut niveau aux qualités sportives exceptionnelles peut-il, quelques heures après être devenu champion de France du 400m, braquer une pharmacie ?
La question interpelle, bien sûr, car il s'agit d'une histoire vraie. Toumany Coulibaly est sportif, membre de l'équipe de France d'athlétisme, mais aussi l'auteur d'un grand nombre de braquages pour lesquels il a été à plusieurs reprises condamné par la justice. De cette histoire, le journaliste et romancier Mathieu Palain dresse un récit passionnant, une enquête, à la fois de journaliste, pour en dresser les faits, et de romancier, pour tenter de dévoiler la nature de son personnage.
Ne t'arrête pas de courir (L'Iconoclaste) de Mathieu Palain est en bonne place dans la sélection du Renaudot des Lycéens 2021, remis le 18 novembre à Loudun, dans la Vienne. Entetien à suivre avec l'auteur, ci-dessous, et rencontre vidéo avec les lycéens de Loudun qui ont lu les livres sélectionnés.
Rencontre avec Mathieu Palain :
Comment avez-vous découvert l'histoire de Toumany Coulibaly ?
Mathieu Palain : Je ne connaissais pas son existence avant de tomber sur cet article du Parisien qui était assez laconique, mais qui parlait d'un homme membre de l'équipe de France, champion de France du 400 mètres, qui affrontait un 15ème ou 16ème procès. Comme c'était présenté sous cette forme-là, ça m'a immédiatement interpellé. J'ai lu l'article et j'ai découvert qu'il avait le même âge que moi et qu'on avait grandi au même endroit. Ça a attisé ma curiosité. En lisant l'article, j'ai vu qu'il était cité à son procès et, au lieu d'être dans sa défense personnelle, dans quelque chose d'un peu humain, d'essayer de sauver sa peau face à des juges qui ont clairement l'intention d'envoyer en prison, il avait des mots pour son fils, comme lorsqu'il dit aux journalistes : "Faites attention à ne pas raconter n'importe quoi, parce que mon fils aîné a appris à lire; je sais que ça va lui faire du mal." C'est cette phrase qui est assez naïve qui m'a touché puisque je lui ai écrit une lettre dans la foulée. Je lui disais on ne se connait pas, mais on a le même âge, on a grandi au même endroit. Si on se croisait dehors, on se dirait tu, mais là, je vais dire vous. Je suis journaliste. J'ai l'impression que je serai plus capable de vous comprendre mieux qu'un autre. C'est resté lettre morte pendant un an, jusqu'à ce qu'il me réponde.
À quel moment avez-vous eu envie d'en faire un livre ? Dès cette première lettre ?
MP : Non, c'est devenu un livre bien après. À ce moment-là, j'ai écrit une lettre pour laquelle j'ai attendu une réponse pendant deux semaines peut-être et puis après, j'ai complètement oublié Toumany Coulibaly et la lettre. Je suis passé à autre chose. D'un point de vue personnel, j'ai démissionné de mon poste à la revue XXI. Je n'avais plus de rédacteur en chef, je n'avais même plus l'idée d'écrire quelque chose. Quand j'ai reçu sa réponse, j'étais juste un mec qui avait un peu de temps et qui pouvait venir le voir. Je n'avais pas le côté utilitaire de faire quelque chose de cette histoire. C'est venu deux ans après.
Le déclic de faire un livre de cette histoire est venu le jour où l'administration pénitentiaire m'a interdit d'accéder au parloir.
Qu'est-ce qui a fait office de déclic ?
MP : Le déclic est venu le jour où on m'a interdit d'accéder au parloir. L'administration pénitentiaire m'a repéré en tant que journaliste ayant accès au parloir famille, ce qui est théoriquement interdit. Mais au lieu de dire, ce mec, ça fait deux ans qu'il vient au parloir, on ne s'en est pas rendu compte mais la preuve en est que depuis deux ans, il n'a rien publié de scandaleux sur notre prison, il n'a rien publié du tout, ils auraient pu me laisser continuer aller voir Toumany. Au lieu de ça, ils m'ont coupé le parloir et ça m'a touché, ça m'a fait mal. Je me sentais mal de ne plus y aller, de ne plus avoir ce rendez-vous. On m'a dit : Posez-vous la question de savoir pourquoi vous faites ça, pourquoi vous le vivez mal alors que ce n'est pas grand chose, on vous interdit d'aller voir un mec que, de toute façon, vous ne connaissiez pas. Je me suis rendu compte que non seulement, en deux ans, la relation avait évolué. Je n'étais plus un inconnu qui vient voir un inconnu. En plus, j'avais probablement cherché dans cette récurrence des parloirs quelque chose d'un peu plus personnel. Ce n'était pas juste d'aller voir un mec qui avait le même âge que moi et qui avait grandi dans le même quartier que moi. (...) En me posant la question, j'ai trouvé des réponses. C'est vraiment en tapant ces réponses-là sur un bout de papier que je me suis dit, en fait, il y a un livre. L'histoire, il faut que je l'écrive.
Est-ce le lien dont vous parlez dans le livre de votre histoire familiale, d'amitiés au sein du militantisme indépendantiste basque ?
MP : Je me suis rendu compte qu'il y a cela comme point de départ autour de la question carcérale. Je me suis rendu compte surtout que ça faisait dix ans que je tournais autour de cette question-là de l'enfermement. J'ai 33 ans, je suis sorti de l'école à 22 ans, en 2011 et tout de suite, j'ai commencé à travailler sur la prison, à faire des reportages, à essayer de comprendre tout un tas de choses, à bosser sur des gens qui sortaient de prison, qui y allaient. J'ai balayé tout le spectre de ce qui pouvait être raconté sur la question de l'enfermement et de l'incarcération en particulier. Et je me suis dit : pourquoi tu fais ça ? Tout tourne autour du pot depuis 10 ans. Si j'avais l'intention de me dépêtrer de cette histoire avec Toumany, il fallait que je sois capable de dire pourquoi je le faisais. Quand j'ai commencé à remonter jusqu'à cette histoire autour de mes amis basques - d'ailleurs je vous parle depuis chez eux -, j'ai commencé à me dire : regarde toi dans une glace. Si tu dois t'adresser au lecteur, dis-lui la vérité, pourquoi tu te penches là-dessus, ce n'est pas juste parce que tu as lu un article dans le Parisien. C'est parce que tu es qui tu es et que tu as ce parcours, avec ces amitiés et cette sensibilité autour de la question carcérale. Ce principe de sincérité a permis de rentrer dans l'histoire et dans le livre.
Dans la littérature du réel, la volonté de l'auteur, la mienne, est de raconter une histoire vraie et de passer un pacte avec le lecteur: 'ce que vous lirez ici a vocation à être véridique'.
Ça nous amène à aborder la nuance entre le récit de presse classique et celui que vous proposez, dit "littérature du réel". Comment le décririez-vous ?
MP : Les définitions, je ne suis pas très bon. Certains parlent de littérature du réel, d'autres de roman vrai. Ce qui est sûr, c'est que la volonté de l'auteur, la mienne, est de raconter une histoire vraie et de passer un pacte avec le lecteur: ce que vous lirez ici a vocation à être véridique. Ça reste 'de la fiction' parce qu'il y a des scènes que je raconte pour lesquelles je n'étais pas présent, que je n'ai pas vues de mes yeux ou entendues de mes oreilles. Ça reste des paroles rapportées. Toutes ces scènes m'ont été racontées. On sait que la mémoire joue parfois des tours. Si on devait raconter exactement les choses telles qu'elles se sont passées, on verrait que notre mémoire a gardé des images légèrement modifiées. Il est faux de dire c'est la vérité, mais moi, ce que je cherche, c'est de m'approcher au plus près du réel, d'une histoire qui ne m'est pas sortie de la tête mais qui est une histoire vraie. C'est pour ça que quand on dit roman vrai, je suis plutôt d'accord parce qu'il y a une notion de fiction qui est un peu indéniable quand on commence à écrire, mais il y a une volonté de rester au plus proche de la réalité.