A l'initiative du Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP), Barbara Carlotti vient de terminer une semaine de résidence pour la création d'un concert hommage à Christophe, décédé au printemps dernier. Une captation pour Arte Concert s'est tenue jeudi soir. Nous y étions.
"Baby, baby..." Les premiers échos d'une mélodie résonne, telle une chansonnette, dans le Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP), ce jeudi soir, mais très vite interrompue. "On peut refaire le départ", lance Barbara Carlotti ?
Figure emblématique de la scène française indépendante, la chanteuse, sollicitée par le TAP pour créer un hommage à Christophe décédé au printemps dernier, orchestre ce Laboratoire Bevilacqua, tel que le TAP et l'artiste ont choisi de le nommer. 65 minutes de chansons issues du répertoire du Beau bizarre. Entourée de Juliette Armanet, Philippe Katerine ou encore de Malik Djoudi, le concert, qui devait initialement se dérouler devant le public poitevin, mais annulé en raison des restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid 19, se tient finalement sous l'objectif des caméras d'Arte, pour l'émission "Arte Concert".
"Love, love, love"
Sur fond de lumières rouges tamisées, l'introduction musicale reprend. Juliette Armanet monte sur scène dans son smoking blanc cassé et entonne les premières notes du "Beau bizarre". La voix est limpide, puis se met en retrait pour laisser place à d'amples orchestrations. Les quelques spectateurs privilégiés (l'équipe du TAP, une poignée de journalites et d'élus), assis tout en haut du gradin, sont en terrain connu. Suivent "Petit gars" avec derrière le micro, Malik Djoudi. Barbara Carlotti rejoint le clavier du synthé. De sa voix frêle, Djoudi chante "Au fond d'un couloir une femme nue me regarde. Elle crie "Love, love, love, love, love, love".
A son tour, Philippe Katerine s'installe derrière le pupitre, lunettes sombres et voix rieuse pour "Il faut oser le faire", ensuite rejoint par Barbara Carlotti. L'ambiance sur la scène du TAP est très posée, presque trop polie. Sûrement la faute à la trop courte semaine de répétitions offertes par la résidence à Poitiers et l'objectif de réussir la captation télévisée. Pourtant, dès les premières notes, chaque artiste s'approprie de manière singulière les titres de Christophe. Le timbre de voix de Barbara Carlotti évacue d'emblée toute velléité de mimétisme. La manière de s'approprier le répertoire de Christophe donne un nouvel envol à chaque titre. Chaque réinvention fonctionne à merveille.
Sous le timbre claire de Juliette Armanet, "La Dolce Vita" au piano sonne comme une chanson que la chanteuse aurait pu écrire elle-même, tel un morceau inédit.
Interruption et rires dissipés
Alors que Philippe Katerine et Malik Djoudi réinvestissent la scène, l'un s'exclame : "On s'arrête. On n'a pas le deuxième texte." Cette interruption vient troubler l'ordre tranquille de l'enregistrement et apporte comme un moment de légereté et de détente dans une atmosphère restée très sérieuse face aux caméras de la toute aussi sérieuse Arte.
Philippe Katerine laisse éclater un grand éclat de rire : "Non, mais tu l'avais, Malik!" "C'était la Dolce Vita", entonne-t-il de sa voix haut perchée. Tandis que les deux artistes patientent que l'on retrouve la feuille de paroles de la chanson suivante, des ombres s'activent à l'écart du plateau. Barbara Carlotti accourt avec le texte "manquant". "Les Paradis perdus" peuvent commencer. Tel un miracle, l'interprétation fragile de Malik Djoudi révèle toutes les intentions de Christophe dans la grâce des inflexions de sa voix. Malik Djoudi chante mais c'est comme si c'était Christophe que l'on entendait. Il est là et soudainement, c'est troublant. Philippe Katerine se joint à lui, chacun un vers, en alternance, pour finir sur un écho enregistré de la voix parlée de Christophe.
Oh, tiens, j'aurais pas fait ça (comme ça), moi.
Barbara Carlotti se retrouve ensuite seule pour interpréter "Mal comme". Le morceau sonne magnifiquement. On se laisse porter et, comme la chanteuse, distraire le temps d'un instant. "Stop, stop. On l'a refait", dit-elle, timide. "J'ai eu un trou, je suis désolée, vraiment désolée." Et elle reprend dans sa voix parlée le bout de paroles manquée : "Et tout au bout du jour, quand il décline... ahhhh!", s'exclame-t-elle. De manière surprenante, les moments où les artistes interrompent les morceaux amènent à chaque fois un peu plus de légereté et d'abandon à la suite de l'enregistrement.
La seconde prise est une merveille et s'annonce comme un moment fort de cet Arte Concert, tout comme la version fragile et dépouillée des "Mots bleus" dans la voix de Malik Djoudi. Le Poitevin semble inquiet et se tourne à la toute fin du morceau vers ses camarades chanteurs installés au premier rang. "Ah ! Mais c'était super!" entend-on d'un peu loin. Djoudi est rassuré.
La version de "Petite Fille du soleil" se révèle tout à fait surprenante dans le duo Philippe Katrine, Juliette Armanet : l'inattendue alliance de la voix enfantine de l'un et de celle éclatante et déployée de l'autre. C'est solaire et funky à la fois.
Au moment d'interpréter "Aline", l'atmosphère est cette fois parfaitement dissipée. Philippe Katerine attire les sourires bienveillants à lui. "La première note n'était pas la bonne, non ?" Il reprend donc Aline et tente de retrouver le fil de son interprétation en cherchant la fameuse "bonne note". Quelques essais plus tard, il admet : "oh, tiens, j'aurais pas fait ça (comme ça), moi." Prêt lui aussi à revisiter Christophe, Philippe Katerine donne à "Aline" des intonations yéyé qui ne sont pas pour déplaire. Son interprétation se termine par quelques rires nourris de ses camarades de scène. Philippe Katerine vient de lâcher un long "Aliiiiine" que conclut un "Bravo!" de Barbara Carlotti.
Les 65 minutes de programme se transforment finalement en près de deux heures de concert, entre pauses et reprises. L'enregistrement d'un programme télévisé laisse ainsi parfois place à quelques imprévus dont quelques privilégiés parfaitement distanciés et masqués ont été les témoins. Le concert, dans sa version montée, n'a pas encore de dates définitives de diffusion, mais ce devrait être en janvier 2021 sur l'antenne d'Arte.
Les répétitions
Barbara Carlotti a reçu notre équipe quelques jours plus tôt, en pleine répétition, ce jour-là avec Malik Djoudi. Reportage de Noémie Javey et Alexandre Keirle.
Un peu plus d'échanges, avec Barbara Carlotti
Barbara Carlotti nous avait accordé un long entretien au moment de l'enregistrement de son album "Magnétique", en 2018, disque créé grâce au financement participatif. Lien vers le blog Rencontres d'Ici et d'Ailleurs.