Poitiers. La longue attente des compagnies de spectacle vivant

Pièces, concerts et festivals annulés ou reportés, salles fermées... Le spectacle vivant est à l'arrêt complet depuis la mi-mars. Malgré le déconfinement espéré, les fruits du travail du printemps comme de l'été semblent déjà bien entamés, générant l'inquiétude des compagnies et des intermittents.

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"Beaucoup de mes contrats n'étaient pas signés ! J'ai des boîtes de prestataires qui m'avaient dit : tu serais dispo à telle date, sur tel festival ? J'avais dit OK. Sauf que comme le festival a été annulé, le contrat du prestataire de toute façon ne sera pas honoré, lui il ne sera pas payé... Et il ne paiera pas ses employés... Et comme personne n'a de contrat dans l'affaire, on n'aura rien à déclarer !"

Ce témoignage de Laurent Savatier, sonorisateur pour des compagnies de spectacle vivant à Poitiers, n'est malheureusement pas une exception. Pour chaque promesse d'embauche annulée, il n'aura pas de chômage technique, et pas d'heure à mettre au compteur de l'intermittence.
L'équation est simple et logique, elle risque de plonger de nombreux intermittents du spectacle dans des situations inextricables.


Les droits des intermittents menacés

Bien sûr certains employeurs, les plus grosses structures, en général subventionnées (pour faire simple, à Poitiers, le TAP par exemple) ont pu honorer leurs engagements et permettre de déclarer les heures de travail prévues sur les dates de spectacles annulées pendant le confinement.
Cela fait toujours un peu de salaire à la fin du mois, mais ces heures qui ont dû être annulées ne compteront que pour moitié : "Si je déclare une journée de 8 heures, ajoute Laurent Savatier, ce sont seulement quatre heures qui seront comptabilisées pour le statut."

D'ici juin, si j'ai de la chance, je pourrai peut-être déclarer 20 ou 30 heures, mais qui me seront comptées la moitié de ça.
- Laurent Savatier, intermittent du spectacle

Pour renouveler leur statut et leurs droits, les intermittents doivent déclarer au moins 507 heures de travail, à une date anniversaire qui leur est propre. Souvent leur compteur dépasse très largement ces 507 heures, et les indemnités de chômage qui leur sont ouvertes sont alors valorisées.
Ceux-là devront composer avec une baisse de revenu qui pourra être très importante, mais leur statut devrait se maintenir.

Mais pour d'autres, l'activité est extrêmement saisonnière, et ce printemps de confinement est déjà une catastrophe. "Est-ce qu'on aura des délais supplémentaires pour boucler nos statuts? On est un peu dans le noir," s'inquiète Laurent Savatier.

Une année réduite à neuf mois ?

Mêmes doutes sur l'avenir pour Yorrick Tabuteau, qui se partage entre une toute petite compagnie de jonglerie : Les Zigomatiks et la délicate manipulation des marionnettes géantes de la compagnie poitevine L'Homme Debout. "Ma prochaine date ? Pas avant la mi-juillet."
"Je fais partie des intermittents qui font largement leurs heures, donc pas de problème pour mon statut cette année. Mon inquiétude, elle concerne la date anniversaire de renouvellement. En principe la période commence à la date du dernier contrat pris en compte.

Pour ceux qui vont renouveler juste après le confinement, et qui n'auront pas eu de travail depuis le mois de mars, la période d'après, elle va être très courte!
- Yorrick Tabuteau, intermittent du spectacle

Les intermittents concernés n'auront plus que neuf mois plutôt que douze pour atteindre leur quota d'heures l'année prochaine. Et il craint que le gouvernement ne fasse rien pour l'éviter. "Ça va forcément provoquer un gros dégraissage... Ils vont arriver à leurs fins...", ajoute, un peu amer, le marionettiste. 

Comme beaucoup, Yorrick Tabuteau compte sur les syndicats et en particulier la CGT Spectacle, la plus représentative, pour porter ces messages auprès du gouvernement.
"Ce qui nous inquiète aussi : la date de reprise d'activité effective ne va pas être calée à la date de levée du confinement. Si l'autorisation des rassemblements de plus de 100 personnes est par exemple donnée au mois d'août, personne ne va prendre le risque d'organiser un festival début septembre..."

Annulations en cascade

Matthieu Roy est metteur en scène de théâtre. Il dirige, avec la comédienne Johanna Silberstein, à la fois la compagnie poitevine Veilleur® et la Maison Maria Casarès à Alloue (Charente), un site polyculturel qui accueille des spectacles, ateliers, et un festival chaque été au mois d'août.

"Depuis le 17 mars, on a une grande perte d'activité liée à l'arrêt des tournées de la compagnie. On a eu une première vague d'annulations jusqu'au mois de mai, et puis là il y a une deuxième vague d'annulations pour les festivals d'été donc le mois de juin, le mois de juillet où l'on devait jouer au festival de Brioux-sur-Boutonne (Deux-Sèvres)..."
Même coup d'arrêt sur les résidences de recherche : "On doit faire une création début octobre, je devais répéter une semaine à Aubusson au mois de juin. Et on avait aussi un laboratoire à la Méca de Bordeaux de deux semaines en juin pour une création dans un an."
"A chaque fois on est soit sur des reports, soit sur des annulations avec paiement des personnes qui devaient travailler sur ces projets-là. Quand c'est reporté, ça diffère dans le temps le cachet. Sauf si à l'automne ça ne repart pas !"

Embouteillage à l'automne

"La difficulté ça va être la reconstitution du travail à l'automne", précise le metteur en scène.

On est dans des casse-têtes de planning puisque tout se décale, certains qui étaient disponibles ne le sont plus, et en même temps tout le monde va avoir besoin de retourner travailler.
- Matthieu Roy, metteur en scène

Entre l'embouteillage des spectacles reportés et le démarrage des nouvelles créations, les choix ne vont pas être simples. 

Matthieu Roy résume toute la complexité de la situation : "Ce n'est pas comme un film dont on doit différer la sortie... où on va garder la bobine ! Là, pour nos spectacles, avec le nombre de personnes impliquées, ce qui n'est pas fait au temps T a finalement très peu de chances de se refaire plus tard. Et si cela se fait, ce sera certainement au détriment d'autre chose."

"On croise les doigts"

Pour l'heure le festival d'été de la Maison Maria Casarès est maintenu, du 27 juillet au 20 août. "On est vraiment à l'échelle humaine. Avec des jauges de 80 personnes maximum par proposition artistique, avec des goûters, des dîners, etc. On espère qu'on aura les autorisations sanitaires pour accueillir le public dans des conditions de sécurité maximum."

En cas d'annulation, c'est la structure culturelle elle-même qui serait menacée : "Sans billetterie, et avec l'obligation de payer les intermittents... Mais ça mettrait surtout et d'abord un gros coup au moral."

"Qu'est ce qu'on va faire ?" conclut Matthieu Roy. "Si en plus on ne peut pas partir en vacances, bouger, etc. Si sur notre propre territoire on n'a pas cette possibilité de se détendre, voir un spectacle, dîner. Il y a une forte attente je pense aussi des spectateurs et du public de pouvoir renouer aussi avec la vie culturelle."
Région Nouvelle-Aquitaine : Alain Rousset demande à l'Etat l'annulation de tous les festivals
Dans un courrier envoyé au Premier ministre, Edouard Philippe, ainsi qu’au ministre de la culture, Franck Riester, Alain Rousset, le président de la région Nouvelle-Aquitaine demande des précisions et tient une position radicale quant à la tenue des festivals d’été.
Si la position de l’Etat est claire quant à l’annulation des festivals qui se tiennent jusqu’à mi-juillet, elle reste floue pour ce qui concerne la suite de l’été. Y aura-t-il finalement une prolongation de l'interdiction entrainant donc une annulation dont l'annonce pourrait être, pour les organisateurs, trop tardive et engager ainsi des frais supplémentaires ?
Extraits de ce courrier : 
"Les organisateurs doivent impérativement anticiper la tenue de leurs manifestations. Le montage de certains de ces festivals prend plusieurs semaines et se fait donc très en amont. L'incertitude et le doute pour ces personnes et leurs équipes est double : y aura-t-il finalement une prolongation de l'interdiction entrainant donc une annulation dont l'annonce pourrait être, pour elles, trop tardive et engager ainsi des frais supplémentaires ?"
"S'ajoute à cela, vous le savez, la très grande probabilité que peu, voire quasiment pas, de public ne se déplace pour l'occasion (risque sanitaire et promiscuité alors même que le risque viral ne sera certainement pas encore éradiqué sur le territoire national).
Vous le comprenez dès lors aisément, monsieur le Premier ministre, la tenue de ces manifestations durant cette période est un non-sens.
Le risque économique est très grand pour elles, et le risque humain plus préoccupant encore ; cela impose une clarification, rapide et tranchée. Les structures organisatrices sont majoritairement des associations et des TPE indépendantes, qui font vivre la diversité musicale, mais elles restent globalement fragiles.
Si l'État est à l'origine de la décision d’interdiction des festivals sur l’ensemble de la période estivale, comme vient de l'annoncer le gouvernement belge, le cas de force majeur peut être invoqué, réduisant ainsi les risques pour l'organisateur, tout en lui permettant de jouer la solidarité avec les artistes/auteurs.
Les festivals concernés, bien qu’ayant d'ores et déjà engagé des frais, limiteraient ainsi leurs pertes financières et nous aurions la certitude de les retrouver l'an prochain."
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