Pourquoi les délais de justice sont-ils si longs à Poitiers ?

Un quart des magistrats manque à l'appel à Poitiers. Sauf mesure d'urgence du Ministère, cette situation "catastrophique" ne devrait pas s'améliorer. Les dossiers prennent la poussière, les délais explosent, y compris pour les procédures urgentes, comme les questions de garde des enfants.

Histoire d'un paradoxe. Le palais de justice de Poitiers est tout neuf, confortable. Mais, à l'intérieur, nombreux sont les salariés au bord de la crise de nerfs. Et combien de justiciables en souffrance ?

Un magistrat sur quatre "absent"

Il y a bien eu quelques arrivées en septembre, mais leurs bénéfices semblent déjà consommés. Le président du Tribunal de Grande Instance, Franck Wastl-Deligne, a refait ses comptes. Entre les postes vacants, les départs et arrêts maladies non remplacés, un quart des magistrats manque à l'appel.
Sous-effectif au greffe aussi depuis une dizaine d'années, il manque aujourd'hui 10% des salariés
. Et cela rejaillit sur tous les services, chacun étant régulièrement appelé en renfort pour compenser les absences.

Les magistrats sont dans un état de fatigue psychique, psychologique, physique qui nous oblige à supprimer un certain nombre d'audiences, à en renvoyer d'autres, parce que tout simplement nous ne pouvons plus y arriver. Alors ces délais, ça veut dire que les gens vont devoir attendre plus longtemps pour avoir un jugement. C'est une situation qui nous désole complètement, mais c'est impossible de faire autrement.

Dans cet extrait d'interview, le président du Tribunal de Grande Instance, Franck Wastl-Deligne, revient sur les raisons de ce sous-effectif.

Autre conséquence, depuis quatre mois, l'activité du tribunal de Châtellerault est gelée, et ce jusqu'en janvier.
Plus précisément, il manque un juge d'instance à Châtellerault, un juge aux affaires familiales, un juge des enfants, un juge des libertés et de la détention, un juge d'application des peines, un magistrat correctionnel... La fusion des pôles sociaux a aussi beaucoup allongé les délais.

Problème, même une fois revenu au complet, il faudra encore du temps pour rattraper le retard pris. La situation actuelle fera sentir son poids plusieurs années. 

Les dossiers prennent du retard également aux TGI de Saintes et de Niort qui connaissent un déficit important de greffiers. Postes vacants aussi aux greffes des TGI de La Roche Sur Yon, des Sables d'Olonne et de la Rochelle.
Dans ce contexte, la mise en place de la fusion du Tribunal d'Instance et du Tribunal de Grande Instance (au 1er janvier 2020) inquiète fonctionnaires et avocats.
 

Des délais sans précédents

Cindy Sufficeau est une jeune Maman. En 2014, elle a perdu son premier bébé, 3 jours après la naissance. Elle a déposé plainte contre le CHU de Poitiers qu'elle estime responsable. Et depuis... en cinq ans, rien, c'est un grand silence.

J'ai fait la promesse à ma fille de me battre, j'avais l'impression que j'avais pas réussi en fait. Pour moi, je ne pouvais pas la laisser reposer en paix tant que ce n'est pas fait. Et encore aujourd'hui c'est pas fait ! On m'a dit que ce serait long, parce que les erreurs médicales comme ça, c'est long mais je pensais qu'on allait, au moins, me parler, me convoquer... me dire ce qui se passait. Rien, silence total.

Tout juste a-t-elle été reçue pour la première fois par le juge d'instruction, il y a six mois, suite à plusieurs reportages sur son affaire.

Les cas comme le sien s'empilent, et dans tous les domaines.
Pénal... avec ce quinquagénaire placé en détention provisoire depuis plus de deux ans pour une affaire toujours au stade de l'instruction ou ce procès pour violences conjugales ; l'audience devait se tenir début novembre. Un vice de procédure, et l'affaire est renvoyée à novembre 2020.
Social, avec ces salariés exposés à l'amiante, à l'espérance de vie hypothéquée et qui doivent patienter plusieurs années pour que soit reconnue l'éventuelle responsabilité de leur employeur.
Familial, avec ce dossier de divorce prêt à être plaidé depuis mai dont l'audience est annoncée pour mars l'année prochaine.

Même les procédures dites urgentes sont touchées par cet allongement des délais... Un référé déposé aujourd'hui, en ce mois de novembre, débouche sur une audience en février. Cinq mois d'attente. Et il y aura ensuite le délai pour que le jugement soit rendu.

Pour mémoire, le code de procédure pénale prévoit de 18 mois à 2 ans d'instruction, pour les affaires criminelles. 

Une justice injuste ?


Les avocats racontent plusieurs cas de papas, privés de leurs enfants, dont les affaires font l'objet de vingtaines de renvoi. L'attente dépasse une année. Ils ne savent plus quoi dire à leurs clients.

Ce Papa avait saisi un juge en référé, le dossier devait être rendu en novembre 2018. Mais depuis, à treize reprises, le délibéré est prorogé. A chaque fois, il croit que l'on va statuer... Pendant ce temps-là, rien ne se passe, nous explique Sylvie Martin

Maître Martin est avocate au barreau de Poitiers depuis 25 ans. Elle n'a jamais vu pareille situation. Pour elle, ces délais sont un risque. 

C'est aussi une paix sociale que d'avoir des réponses judiciaires. On imagine ces familles qui, parce qu'elles se séparent, sont dans l'attente du règlement d'un conflit. Ça peut rejaillir sur du pénal... On est sur le Grenelle des violences faites aux femmes... L'absence de réponse peut amener à des conflits exacerbés et à des violences. Donc il est d'importance que des magistrats, des greffiers soient nommés et en poste pour répondre à cette demande !

Double peine pour les plus pauvres

Dans la Vienne, plus de deux mille personnes ont sollicité un soutien financier pour agir en justice. Il y a six mois de délai au lieu de deux. Certains paient de leur poche, d'autres renoncent.
Et ce n'est que la première étape pour eux, ensuite, il faut une date d'audience (établie par le greffe), une audience (présidée par un juge) puis une date de délibéré (la décision du juge), et une décision éxécutoire (écrite par le greffe)... Sans compter les éventuels délais d'instruction ou les actes d'enquête.

De nombreuses alertes (dont des rapports circonstanciés) ont été adressées au ministère de la Justice sur l'urgence des recrutements, sans réponse pour l'instant.

Mise à jour du 9/12/2019 : Le tribunal de grande instance va bénéficier, à compter du 2 janvier prochain, du renfort de 4 magistrats "placés". Leur mission devrait soulager la charge de travail et limiter les remplacements en interne. Mais elle n'est que temporaire.
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