Récemment rendu public par l'Éducation nationale forcée par une décision de justice, l'indice de position sociale mesure le profil social favorable à la réussite scolaire des élèves. Un indicateur permettant d'observer les disparités selon les territoires, mais qui révèle aussi une tendance grandissante du recours au privé pour les plus favorisés.
Quels profils sociaux ont les collèges de Poitou-Charentes ? Depuis mi-octobre et la publication des données du ministère de l’Éducation nationale sur le sujet, il est possible de s’en faire une idée. Pourtant, l’Éducation nationale était plus que réticente à rendre public l’indice de position sociale des collèges. Mais après deux ans de bras de fer et un recours au tribunal administratif porté par le journaliste Alexandre Léchenet, le ministère en a été contraint.
"On ne peut que se réjouir de cette transparence même si elle est contrainte", réagit Apolline Letowski, co-secrétaire du syndicat des professeurs SNUipp-FSU de la Vienne. Des données révélant un écart entre établissements publics et privés, mais également de grosses différences entre établissements publics, parfois au sein du même territoire.
Un outil de mesure des inégalités sociales entre établissements
L’indice de position sociale (IPS) permet de mesurer la situation sociale des élèves favorisant ou non la réussite scolaire. De très nombreux paramètres sont pris en compte comme les catégories socio-professionnelles des parents, mais aussi leurs diplômes, leurs moyens financiers, leur capital culturel, etc. Plus l’IPS est élevé, plus l’élève est considéré comme favorable à la réussite scolaire et inversement.
Si cet outil donne une indication sur l’origine sociale des élèves, les données publiés par l’Éducation nationale restent cependant incomplètes : il s’agit de l’IPS moyen des collèges pour la seule année scolaire 2021-2022. Impossible donc d’analyser leur évolution malgré la mise en place de cet indice depuis 2016. Étant de simples moyennes par établissement, les données ne permettent pas non plus de mesurer la mixité au sein d’un même établissement. "J’aimerais voir ce que ça donne pour les lycées" regrette de son côté Guillaume Brun, président de l’association de parents d’élève FCPE de la Charente.
Des disparités au sein de l’académie de Poitiers
Dans l’académie de Poitiers, l’IPS moyen de tous les collèges est de 102,28, soit un point en dessous de la moyenne nationale (103,36). Cet IPS varie beaucoup, allant de 135,5 pour un collège privé de Poitiers, dans la Vienne, à 59,5 pour un collège public charentais, à Angoulême, parmi les moins élevés de France.
Plus encore, de nombreuses disparités s’observent selon les départements, qu’en l’IPS moyen de Charente-Maritime est de 104,07, au-dessus de la moyenne française, il n’est que de 99,12 en Charente. Des résultats qui dépendent bien évidemment des caractéristiques sociales de chaque territoire. "Les collèges en zones d’éducations prioritaires ont un IPS plus faible, mais c’est également le cas des établissements en zone rurale", constate Apolline Letowski.
Mais la situation géographique n’est pas la seule explication. Dans l’académie de Poitiers, la moyenne des IPS des collèges privés sous contrat est de 107,65. Sur la totalité du territoire, ces établissements ont une moyenne qui monte à 114,22 quand les collèges publics ont un IPS moyen de 99,97. "Nous ne sommes pas étonnés par ce que disent ces données, assure Apolline Letowski. La scolarisation dans l’enseignement privé permet globalement d’éviter la mixité sociale." Dans une note publiée en juillet 2022 par l’Éducation nationale, le constat d’un renfort de l’entre-soi social était déjà dressé. En 2021, plus de 40 % des élèves issus de milieux "très favorisés" étaient scolarisés en établissement privé sous contrat quand 19,5 % en public, soit 20 points d’écart. S’il y avait déjà un écart en 1989, celui-ci a doublé depuis.
Le privé à la côte
"Cela fait des années qu’on tire la sonnette d’alarme sur la fuite des élèves vers le privé", pointe Guillaume Brun. Selon les chiffres de l’académie de Poitiers, à la rentrée 2022, le nombre d’inscriptions dans le public a augmenté de 0,1 % par rapport à l’année précédente et de 0,4 % dans les collèges privés. Une fuite qui n’est pas forcément spectaculaire au niveau régional, mais qui s’observe tout de même et parfois plus nettement, comme dans la Vienne où les inscriptions dans le public baissent de 0,1 % cette année, mais augmentent de 1,7 % dans le privé. "Il y a également une forte augmentation du nombre d’établissements privés en France et dans le département", observe la secrétaire SNUipp-FSU 86, Apolline Letowski.
"Il y a de toute évidence un problème dans l’accès à cet enseignement [privé] pour les classes populaires, alors que tout le monde y contribue avec ses impôts", soulève le chercheur au CNRS et professeur d’économie, spécialiste de la mixité scolaire, Julien Grenet auprès du Monde. En effet, 73 % du budget des établissements privés sous contrat provient de l’État et des collectivités territoriales. "Si on met des moyens dans l’enseignement public, les familles, même les plus aisées, ne partent pas vers le privé", milite Apolline Letowski. Enseignante en CM2 dans la Vienne, elle constate que de plus en plus de familles se posent la question de l’inscription au collège privé. "Maintenant, il y a même les collèges de rattachement qui viennent pour discuter et 'séduire' les familles", s’exclame-t-elle.
Il faut s'appuyer sur ces données pour reposer la question des moyens accordés au public et retravailler la mixité sociale.
Apolline Letowski, co-secrétaire du syndicat SNUipp-FSU de la Vienne
Mais la volonté de sélectionner un établissement à meilleure réputation s’observe aussi dans le public. Le président de la FCPE de Charente, Guillaume Brun, voit les élèves choisir de plus en plus des options très particulières pour éviter certains collèges de rattachement et aller dans "les meilleurs" d’entre eux. "Les parents qui connaissent le système passent par ce genre de mécanismes, les autres vont directement dans le privé, continue-t-il. Le maillage est très particulier en Charente." Il en veut pour exemple deux collèges publics d’Angoulême, l’un possède l’IPS le plus faible de l’académie, l’autre un des plus élevés. "Les deux établissements sont à 1,5 km de distance, il y aurait possibilité de recréer de la mixité sociale, mais rien n’est fait", déplore Guillaume Brun.
De son côté, l’académie de Poitiers a simplement déclaré utiliser l’indice de position sociale pour ajuster ses "politiques de mixité sociales" et dit "attendre les annonces du ministre de l’Éducation nationale", Pap Ndiaye, dans les prochaines semaines. Dans un entretien au Monde, ce dernier assure avoir "identifié un nombre important de collèges où des politiques de mixité scolaire pourraient être soumises à une concertation" tout en assurant être "certain que [les] établissements [privés] partagent cet objectif de mixité scolaire : certains le mettent d’ailleurs déjà en pratique." S’il est vrai que des établissements encouragent tous types de profils sociaux à l’inscription, dans les faits, l’IPS récemment révélé montre que la marge est encore grande.