Les espèces exotiques envahissantes menacent la biodiversité, l’économie et la santé humaine

Lundi 4 septembre, l’IPBES, un groupe international d’experts, a dévoilé son rapport sur les espèces exotiques envahissantes. L’objectif de ces scientifiques est d’alerter la communauté internationale sur les ravages que peuvent faire ces animaux et végétaux sur la biodiversité, mais aussi l’économie et la santé humaine. En Poitou-Charentes, chercheurs et politiques publiques tentent d’enrayer ce phénomène.

Dans la famille des espèces exotiques envahissantes, on trouve le moustique tigre, aux piqûres chargées de maladies virales, le frelon asiatique friand de pollinisateurs, l’ambroisie et son pollen hautement allergisant… Il s'agit de végétaux ou d'animaux qui ont été déplacés de leur habitat d'origine et qui s'établissent, se dispersent et causent des dégâts dans de nouveaux écosystèmes.

Comme partout dans le monde, en France, de nombreuses espèces exotiques ont investi le territoire, et leur présence a déjà des conséquences, tant sur la biodiversité que sur la qualité de vie des habitants et l’économie.

Dans un rapport, publié le 4 septembre dernier, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) dresse un tableau alarmant de ces invasions biologiques. Ce groupe international d’experts, comparé au GIEC pour la biodiversité, tente d’informer et de mobiliser les citoyens et décideurs dans la lutte contre ces espèces.

Les espèces exotiques envahissantes en quelques chiffres

Dans son rapport, l'IPBES présente un état des lieux des invasions biologiques, afin de montrer l'ampleur du phénomène.

  • Plus de 37 000 espèces exotiques dans le monde (toutes ne sont pas envahissantes et problématiques pour leur écosystème), 200 nouvelles espèces sont recensées chaque année.
  • Plus de 3 500 espèces exotiques envahissantes dans le monde.
  • Le nombre d'espèces exotiques devrait augmenter de 36% d'ici 2050 par rapport à 2005 "dans le cadre d'un statu quo"
  • Les espèces exotiques envahissantes ont contribué à 60% des extinctions mondiales enregistrées, et sont le seul facteur d'extinction dans 16% des cas.
  • En 2019, le coût économique mondial estimé des invasions biologiques est de 423 milliards de dollars. Ce coût a quadruplé toutes les décennies depuis 1970.

Des animaux qui menacent la biodiversité locale

Dans son rapport, l’IPBES présente les espèces exotiques envahissantes comme "l’un des cinq cavaliers de l’apocalypse de la biodiversité qui s’abat de plus en plus rapidement sur le monde", avec la modification de l’utilisation des terres et des mers, la surexploitation, le changement climatique et la pollution.

En Poitou-Charentes, une espèce est au cœur de l’attention : le vison d’Amérique. Importé dans les années 1920, afin d'être élevé pour sa fourrure, il s'est répandu à l'état sauvage au point de menacer son cousin européen. Ce dernier est désormais « en danger critique d’extinction ». En France, il en reste moins de 250, répartis en Nouvelle-Aquitaine, notamment en Charente et en Charente-Maritime.

CARTE - Evolution de la population du Vison d'Europe en France

Comme beaucoup d’animaux sauvages, le vison européen est victime de la destruction de ses habitats et de la dégradation de la qualité de l’eau, ou encore des collisions routières et du piégeage pour sa fourrure, mais la présence du vison d’Amérique le fragilise également. Plus gros et plus agressif, il exclut le vison local de son habitat et consomme les mêmes proies. Il peut également être porteur de maladies, dangereuses pour la faune locale.

En Nouvelle-Aquitaine, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) coordonne un plan national d’actions (PNA) sur dix ans pour protéger ce petit mustélidé. La priorité est de limiter au maximum les interactions entre les deux espèces, européenne et américaine. Les seconds sont pistés, notamment au moyen de petits radeaux déposés sur les cours d’eau pour prélever leurs empreintes, afin de procéder à des captures avant qu’ils ne rejoignent les foyers des premiers.

Pour Véronique Barthélémy, cheffe de projet pour les PNA et les espèces exotiques envahissantes à la DREAL de Nouvelle-Aquitaine, il est également impératif de mieux informer la population pour enrayer la prolifération de cette espèce exotique : "Depuis fin 2021, les élevages de vison d'Amérique pour la fourrure sont interdits en France", explique-t-elle. "Autrefois, il y avait beaucoup de 'fuites' de ces élevages, mais il peut encore y avoir des particuliers qui en possèdent, donc il faut un répertoire des propriétaires pour éviter ces fuites, sachant que la réglementation leur impose de les déclarer."

La guerre des écrevisses est déclarée

En juin dernier, l'observatoire FAUNA a révélé la présence de 348 espèces animales exotiques, dont 53 reconnues comme envahissantes. L'organisme qui étudie la faune sauvage en Nouvelle-Aquitaine souligne toutefois qu'il est possible qu'il y ait une centaine d'espèces exotiques de plus, dans la mesure où des lacunes persistent dans les connaissances de ces animaux, marins notamment.

Sous la surface, un crustacé retient toute l'attention du professeur Frédéric Grandjean, responsable de l'équipe Ecologie Evolution Symbiose à l'Université de Poitiers : l'écrevisse. La population autochtone, présente en Poitou-Charentes, est elle aussi victime de trois espèces venues d'outre-Atlantique : l'écrevisse américaine, l'écrevisse de Louisiane et l'écrevisse de Californie. La première, importée il y a 150 ans, est la première à avoir été introduite en France. Elle se trouve désormais dans les grands cours d'eau et n'est pas la plus menaçante car "sa densité de population est assez faible", note Frédéric Grandjean. "Elles n’ont pas les armes pour lutter contre les deux autres qui sont plus compétitives, et sont donc vouées à être remplacées."

Les écrevisses de Louisiane occupent surtout les marais et étangs, principalement dans le Marais poitevin, mais elles tendent à remonter les cours d'eau. En creusant des terriers de trois à quatre mètres de profondeur, elles dégradent les berges, et sont impossibles à éradiquer car une fois installées, elles peuvent rester des semaines voire des mois sans eau. Les dernières, les écrevisses de Californie, se trouvent dans les têtes de bassins et les cours d'eau assez frais. Avec leur régime omnivore, "elles ont un impact important sur les populations de batraciens et de poissons", précise Frédéric Grandjean. "Elles se nourrissent de larves de batraciens et mutilent la queue des têtards."

Avec de nombreuses espèces exotiques envahissantes, il va falloir faire avec, et voir comment se modifient les écosystèmes, trouver de nouveaux écosystèmes fonctionnels.

Frédéric Grandjean

Responsable de l'équipe Ecologie Evolution Symbiose

Leur présence a des conséquences sur les écrevisses autochtones européennes, car comme elles se reproduisent plus facilement, leur nombre augmente et elles vont consommer la ressource alimentaire de l’espèce locale qui peut disparaître par manque de nourriture. Elles sont également porteuses d’un parasite qui décime les populations autochtones, la “Peste de l’écrevisse”.

D'après le professeur Grandjean, ces écrevisses exotiques ont été introduites par l'aquariophilie et l'aquaculture, et se sont retrouvées dans la nature soit par accident, lors de déplacements de poissons d'un bassin à un autre, soit intentionnellement, en étant remises en liberté délibérément par leurs propriétaires.

Compte tenu de leur impact sur la faune locale, la réglementation française interdit aujourd'hui de les vendre en animalerie, "mais pas dans les autres pays européens et on les trouve sur les sites de vente en ligne, comme Le Bon Coin", déplore Frédéric Grandjean.

Ces écrevisses peuvent bien sûr être pêchées, mais cela ne suffit pas à enrayer leur prolifération, et d'autres démarches dans cette optique n'ont pas été concluantes : "Quand elles sont présentes dans les étangs, certains chercheurs ont cherché à introduire des prédateurs, comme des anguilles et des brochets, mais il est très difficile de limiter leur population."

Le rapport reprend ce qu’on observe en région, le problème de la chute de la biodiversité, l’impact négatif, le fait qu’il faut prendre en compte les données et gérer les impacts négatifs à l’échelle locale, mais aussi mondiale.

Marion Girardot

Maître de conférences en biodiversité végétale et pharmacognosie à l'Université de Poitiers

La flore exotique, une invasion lourde de conséquences

En Nouvelle-Aquitaine, le Conservatoire Botanique national Sud Atlantique recense 822 espèces végétales exotiques (soit 1/5 de la flore régionale), dont 366 présentent un caractère envahissant.

À l'université de Poitiers, Marion Girardot étudie les plantes aquatiques invasives, et cinq d'entre elles ont un impact très fort sur la biodiversité locale, tant dans la région qu'à l'échelle nationale, et même mondiale. Il s'agit de l'élodée dense, le lagarosiphon major, le myriophylle aquatique, la jussie à grande fleur et la jussie peploide.

"Ces plantes aquatiques se développent en formant des herbiers assez denses, elles créent une zone d’anoxie (de manque d’oxygène) et limitent la lumière", explique-t-elle. "Elles modifient le biotope et impactent les animaux et végétaux, donc elles diminuent le nombre d’espèces."

La chercheuse ajoute que ces plantes se développent par multiplication végétale, c'est-à-dire par reproduction asexuée. "Des fragments de plantes vont se détacher et reformer des herbiers un peu plus loin avec le courant ou les activités humaines, comme le canoë ou la pêche avec un bateau."

Leur prolifération varie d'une année à l'autre, en fonction de l'ensoleillement : "De façon globale, on sait que le réchauffement climatique favorise le développent des plantes aquatiques envahissantes." Ces plantes sont plutôt résistantes, n’ont presque pas de prédateurs et s’adaptent facilement, alors il est impossible de les éradiquer.

Toutefois, certaines démarches existent pour tenter de limiter leur prolifération. Dans la Vienne, la Communauté de Communes Vienne et Gartempe (CCVG 86) organise des campagnes d'arrachage de jussies depuis plusieurs années sur ses cours d'eau. "Depuis deux ans, elle prolifère à vitesse grand V, avec les niveaux des cours d’eau très bas, et la chaleur", remarque William Boiron, Vice-Président Environnement Transition écologique à la CCVG 86. Il précise que sur la Gartempe, ses services parviennent à maîtriser la population de cette plante et constate des foyers moins importants qu'avant.

Cela a toutefois un coût, beaucoup de temps, et d'argent. L'arrachage se fait de juin à fin septembre voire octobre, et nécessite deux à trois passages par saison, avec un protocole très strict pour éviter que des boutures ne créent de nouveaux herbiers.

Financièrement, une saison d'arrachage coûte entre 52 000 et 60 000 euros par an à la CCVG 86 : 45 à 50 000 euros payés à des entreprises pour l’arrachage mécanique, et 7 à 10 000 euros pour des prestations d’arrachage manuel réalisé par le syndicat de rivière. Le syndicat de la Gartempe paye également environ 40 000 euros de prestations d’arrachage manuel. La Communauté de Communes Vienne et Gartempe a investi dans une machine d'arrachage pour un montant de 220 000 euros, qui devrait être opérationnelle pour la saison prochaine. L'investissement est colossal, mais indispensable : "Si on n’arrache pas la jussie, à un moment on ne verra plus l’eau, elle finira par traverser les cours d’eau et asphyxier la vie aquatique."

Les plantes exotiques aquatiques ne sont pas les seules perturbatrices des écosystèmes mais aussi dans la vie des humains. L'ambroisie et la berce du Caucase, ou grande berce, peuvent avoir un fort impact sur la santé. La première peut provoquer d'importantes réactions allergiques, comme des rhinites, des conjonctivites, de l'urticaire ou encore de l'asthme, en libérant seulement quelques grains de pollen dans l'air. La seconde possède une sève photosensibilisante : lorsqu'elle entre en contact avec la peau puis est exposée au soleil, elle peut entraîner des démangeaisons et des réactions pouvant aller jusqu'à des brûlures au second degré.

Des solutions existent

En publiant son évaluation, l'IPBES compte avant tout alerter les citoyens et décideurs sur l'urgence de prendre le problème des espèces exotiques invasives au sérieux : "La grave menace mondiale que représentent les espèces exotiques envahissantes est sous-appréciée, sous-estimée et souvent méconnue." Alors que les constats sont alarmants, les experts et scientifiques tiennent à rappeler que des solutions existent : "La bonne nouvelle, c’est que, pour presque tous les contextes et toutes les situations, il existe des outils de gestion, des options de gouvernance et des actions ciblées qui fonctionnent réellement", affirme le professeur Anibal Pauchard, qui copréside le rapport. Il précise que "la prévention est absolument la meilleure option, la plus rentable, mais l’éradication, le confinement et le contrôle sont également efficaces dans des contextes spécifiques."

La lutte contre les espèces exotiques envahissantes, c'est l'affaire de tous.

Véronique Barthélémy

Cheffe de projet à la DREAL de Nouvelle-Aquitaine,

Pour le professeur Frédéric Grandjean, il faut impérativement améliorer l'information quant aux conséquences des espèces exotiques envahissantes pour mieux lutter contre les invasions biologiques : "Il n’y a pas assez de communication. Il faut faire de la prévention, éviter les nouvelles introductions, et la législation n’est pas assez respectée. Lorsqu’une espèce est introduite, il faut agir très vite sur le court terme." Selon le chercheur, cette sensibilisation doit débuter dès la scolarité des citoyens, afin de montrer clairement l'impact qu'ont ces espèces sur les écosystèmes et le rôle qu'elles jouent dans l'extinction de la faune et de la flore locale.

À différentes échelles, la lutte contre les invasions biologiques se révèle extrêmement coûteuse. Les politiques publiques doivent donc agir rapidement et efficacement, en ciblant les priorités pour établir de nouvelles réglementations et stratégies. "L’objectif, c’est d’identifier les enjeux qui varient en fonction des différentes espèces et de leur localisation", rappelle Véronique Barthélémy. "Les mesures pourront avoir des impacts dans certains territoires et dans d’autres non, par rapport aux espèces indigènes présentes, à l'économie et à la santé humaine. Les objectifs des stratégies c’est d’agir où elles auront le plus d’impact."

Elle affirme que les politiques environnementales régionales et nationales doivent à terme s'organiser avec différents services de l'Etat et ministères comme celui de l'Agriculture, de la Santé, ou encore de l'Intérieur, avec le rôle crucial des douanes.

En décembre dernier, l'accord Kunming-Montréal a été adopté à l'issue de la Cop 15, afin de lutter contre la destruction de la biodiversité. Cet accord mondial constitue un plan pour la décennie 2020, et comporte l'objectif très ambitieux de réduire l’introduction et l’établissement d'espèces exotiques envahissantes prioritaires d’au moins 50 % d’ici à 2030.

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