Avec "Le dernier des siens", la romancière Sibylle Grimbert raconte l'épopée d'un jeune scientifique français envoyé en 1835 étudier la faune du nord de l'Europe. Il va assister au massacre d'une colonie de grands pingouins dont il va parvenir un sauver un spécimen.
"Se pourrait-il que nous, êtres humains, ayons commis une erreur ?" s'interroge Gus, le personnage principal du roman de Sybille Grimbert, Le dernier des siens (Editions Anne Carrière), en lice pour le prix Renaudot des Lycéens 2022, décerné le 15 novembre prochain à Loudun (86). Cette erreur serait que les hommes soient potentiellement à l'origine de la disparition des grands pingouins, au XIXe siècle.
Depuis sa chaloupe, Gus vient d'être le témoin du massacre d'une colonie de ces animaux par des pêcheurs, sur un rocher abrupte, au large des côtes de l'Islande. Alors que la trentaine de spécimens de la colonie est désormais morte, les œufs que les femelles couvaient ramassés pour être mangés en omelette, un animal blessé flotte sur l'eau. Gus le remarque et parvient à le ramener à bord.
Frankenstein
Le dernier des siens, ce pourrait être lui, ce grand pingouin, seul rescapé de sa colonie, dont le naturaliste ne sait rien et qu'il va apprendre à observer. D'abord pour le dessiner, pour la beauté du geste, comme dans les esquisses du botaniste et ornithologue Audubon. De curiosité, le grand pingouin devient sujet de recherche scientifique puis, très progressivement, l'objet d'une relation parfaitement inattendue : les deux êtres s'apprivoisent l'un l'autre.
Sybille Grimbert excelle à dire les liens qui se nouent entre l'homme et ce grand pingouin. De l'écoute et l'attention qu'ils s'accordent l'un l'autre, émerge la possibilité d'une confiance, d'une amitié même. Sous sa plume, le lecteur assiste à ce moment où tout bascule entre deux espèces dont l'une était vouée à n'être que le prédateur de l'autre.
Le drame qui se noue dans ce roman très abouti est d'autant plus bouleversant que ce grand pingouin, animal sauvage devenu domestique, sorte de Frankenstein, "un être qui serait à jamais solitaire, effrayant pour ses comparses, incompris par les hommes et par leurs animaux domestiques", pourrait bien être le dernier spécimen de son espèce sur Terre. Si régulièrement des marins disent ou pensent avoir aperçu une colonie ici ou là, elle n'est jamais confirmée par une observation scientifique. Alors, l'interrogation demeure : que restera-t-il de cet animal sans descendance, une fois sa vie achevée ? A l'heure où l'on nous parle de la sixième extinction, la question résonne longtemps en soi après que l'on a refermé ce roman très réussi.