Témoignage. Deux infirmières du CHU de Poitiers racontent leur quotidien au plus près des malades du coronavirus

En cette journée nationale des infirmiers et des infirmières, traditionnellement célébrée le 12 mai, deux soignantes du service des maladies infectieuses du CHU de Poitiers nous ont confié comment cette épidémie a marqué leur vie. 

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Ils et elles sont applaudis chaque soir par nombre de Français. Les 700.000 infirmiers et infirmières qui exercent dans l'Hexagone sont en première ligne depuis le début de l'épidémie de coronavirus. En cette journée nationale qui met à l'honneur leur profession, nous avons choisi de donner la parole à deux soignantes du CHU de Poitiers.

Isabelle Toulat, 48 ans et Sandrine Bouichou, 50 ans, ont passé ces deux derniers mois au contact direct et quotidien des malades. Voici leur témoignage. 

"C'était dur psychologiquement tous les jours"

Infirmière depuis 26 ans, Isabelle Toulat est affectée depuis quinze ans au service des maladies infectieuses au CHU de Poitiers.
"Lorsque l'épidémie a débuté, ça a été très dur. On devait s'occuper de nos patients habituels et des malades suspectés d'être porteur de la maladie, il fallait qu'on se batte sur les deux fronts. C'est devenu plus simple quand on ne s'est plus occupé que des cas Covid positifs. Je n'avais plus la hantise de transmettre la maladie à d'autres patients. Mais la trouille de ramener le virus à mon mari et mes deux enfants ne m'a jamais quittée, même si j'étais très bien protégée au travail, même si en rentrant je me changeais et je prenais une douche. C'était dur psychologiquement tout le temps pour moi, et plus encore pour ma famille et mes amis. 

Ce qui s'est passé est historique mais je veux aussi en retirer du positif. Au travail il y a eu beaucoup d'entraide et de solidarité, tous les les collègues se sont soudés. On a appris à travailler différemment, beaucoup plus ensemble. Comme il fallait limiter les allées et venues dans les chambres, on a par exemple formé des binômes avec les aides-soignants. L'épidémie nous a rapprochés. Sauf au début, je n'ai pas eu le sentiment d'avoir manqué de moyens. 

Les applaudissements, je ne les ai pas entendus parce que j'habite à la campagne; et même si personnellement je ne me vois pas comme une "sauveuse", je trouve ça bien qu'on pense à nous de cette façon, ça change. Maintenant, il faudrait que ça dure et qu'on ne nous oublie pas. Les primes du gouvernement c'est bien mais une revalorisation générable et durable ce serait plus juste."

"La crise nous a permis de mettre en place des organisations qui étaient impossibles avant"

Infirmière depuis 25 ans, Sandrine Bouichou est aussi déléguée syndicale de la coordination nationale interprofessionnelle (CNI). 

"Quand la crise a commencé, j'étais permanente syndicale. Je me suis portée volontaire pour rejoindre le service des maladies infectieuses. Ils avaient besoin de renfort pour compenser le temps très long que les équipes passaient à s’habiller et se déshabiller après chaque passage dans une chambre d’un patient Covid. Avec 5 à 6 patients par binôme infirmière/aide-soignante, nos conditions de travail étaient plutôt confortables. D’habitude la nuit à l’hôpital, dans certains services, il y a deux infirmières et une aide-soignante pour vingt-huit patients. Paradoxalement, la crise du Covid a permis de mettre en place des organisations qui étaient impossibles avant.

La solidarité des Français m'a touchée, que ce soit les applaudissements à 20 heures ou les repas qui nous étaient livrés tous les jours, j'ai été agréablement surprise. Mais on nous a mis en avant, malgré nous ; on n’a fait que notre travail.  Quand j’ai entendu le président de la République dire "la santé n’a pas de prix" dans son intervention télévisée, j’ai bien rigolé ! Ça, il ne le dit jamais quand il est face aux médecins et aux personnels de l’hôpital. Quand on va porter nos revendications avec le syndicat dans des réunions avec la direction, on nous répond qu’il n’y pas de problèmes d’effectifs, c’est juste qu’on s’organise mal et qu’on doit se réorganiser. 

Ce que j'espère pour l'avenir, c'est un changement de gouvernance de l’hôpital et  une meilleure reconnaissance des métiers. Une infirmière qui débute touche, après trois ans d’études, 1.800 euros brut. Moi, après 25 ans de carrière dont 17 à travailler de nuit, je touche 2.150 € net. Ça fait des années que l'hôpital souffre ; depuis plus d’un an, on a manifesté régulièrement, on s’est mis en grève, on a dénoncé nos conditions de travail et le fait que l’hôpital est géré par des administratifs comme s’il était une entreprise ordinaire, mais on ne nous a pas entendus. Quand la crise sera passée ou en tout cas apaisée, il faudra remettre du médical dans la gestion et donner la parole aux gens de terrain."

 
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