Soignante vacataire au CHU de Poitiers, Anaïs* témoigne de l’ambiance de travail sexiste qu’elle dit avoir subi au quotidien. Une situation qui l'a décidée à quitter le milieu hospitalier. À Poitiers, comme dans beaucoup d'hôpitaux aujourd'hui, des procédures d'alerte existent, beaucoup trop longues, estiment les syndicats. De son côté, le CHU de Poitiers assure prendre en compte la gravité des plaintes.
"Des hommes d'un certain âge, vingt ou trente ans de plus que moi, commençaient à me faire des avances, à me faire comprendre que je leur plaisais, ce qui m'a mise mal à l'aise forcément. C'étaient des "bonjour ma beauté", "bonjour ma belle" mais avec des regards très portés, très déplacés, beaucoup de sous-entendus et de propos sexuels".
Loin des murs de l’hôpital, nous avons rencontré Anaïs* il y a quelques jours. Employée comme personnel soignant vacataire au CHU de Poitiers, elle s'est mise en arrêt de travail deux semaines après le début de son contrat, parce que l'ambiance y était, selon elle, intenable.
"Ça m'a créé beaucoup d'angoisses par la suite. J'avais des soucis de sommeil, mon médecin a dû me prescrire des anxiolytiques sur une certaine période". La nervosité qui agite ses doigts en témoigne : le souvenir de sa récente expérience affecte encore Anaïs, et elle a décidé de quitter le milieu hospitalier.
Au moment des faits, la jeune femme, âgée d'une vingtaine d'années, précise qu'elle n’a pas informé la direction, persuadée qu'elle ne serait pas écoutée.
Des procédures d'alerte en place
De son côté, le CHU de Poitiers assure prendre en compte la gravité des plaintes. Depuis deux ans, une procédure est en place, qui permet "au personnel d’alerter la direction sur des faits de discrimination, de harcèlement, de violence et de sexisme dans le cadre professionnel", indique la direction de l'hôpital, qui précise que "la direction des affaires juridiques accompagne également les salariés dans leurs démarches lorsqu’un dépôt de plainte doit être engagé et leur accorde, le cas échéant, la protection fonctionnelle."
Le CHU déclare que ces deux dernières années, deux situations d’injures ou de harcèlement à caractère sexuel ont fait l'objet de sanctions administratives. "La direction est attentive à apporter une réponse proportionnée à toute situation de violence qui ne débouche pas nécessairement sur une sanction. Dans certaines situations, elle peut privilégier des mesures visant à accompagner les changements de comportements." Une cellule de médiation a été mise en place à cet effet.
#MeToo à l'hôpital : la Fédération hospitalière de France salue "la libération de la parole des femmes"https://t.co/CHqt51Bvxq
— franceinfo (@franceinfo) April 14, 2024
L'hôpital de Poitiers signale aussi l'existence d'une instance spécifiquement destinée aux étudiants de deuxième et troisième cycles de médecine et de pharmacie : "Composé de représentants d’étudiants en médecine et pharmacie, d’un représentant de la direction des affaires médicales et d’un représentant de la direction des affaires juridiques, le groupe PARLER reçoit les signalements relatifs à des faits de violence verbale ou physique, de discrimination, de harcèlement et/ou d’agissement sexiste sur les périodes de stage au CHU de Poitiers". Dans ce cadre, un signalement a été enregistré en 2023.
Des procédures jugées trop longues
Pour Sandrine Bouichou, présidente du syndicat Coordination nationale infirmière (CNI), ces procédures administratives restent trop longues, et constituent une "double peine" pour les femmes victimes, obligées d'avoir recours à des arrêts maladie pour faire face au mal-être engendré par ces situations. "Notre souci actuellement, c'est que cette enquête administrative prend beaucoup, beaucoup trop de temps et laisse sur le terrain aussi bien les personnes harcelées que les personnes harcelantes. Et c'est là où la personne harcelée peut se poser la question : est-ce que ça a une valeur, est-ce qu'on tient compte de ce que je suis en train de dire, est-ce qu'on tient compte de ma souffrance ?"
#MeToo à l'hôpital : des témoignages partout en France
82 % des femmes travaillant dans le milieu hospitalier "se sont senties discriminées au cours de leur carrière du fait de leur sexe", indiquait un sondage Ipsos commandé par l'association Donner des Elles à la Santé, paru le 11 mai 2023.
78% des femmes médecins ont été victimes de comportements sexistes, et 30% d'entre elles déclarent avoir "subi des gestes inappropriés à connotation sexuelle ou des attouchements sans leur consentement", selon le même sondage.
L'accumulation de témoignages ces dernières semaines l'atteste, cette souffrance des femmes est présente dans de nombreux services du milieu hospitalier en France.
Depuis la mise en place de la cellule de prévention de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en septembre 2021, 279 signalements ont été recueillis.
*Le prénom a été modifié
Reportage de Marie Colin et Augustin Guillot